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« Mais Jean ayant appris dans la prison les œuvres merveilleuses de Jésus-Christ lui fit dire par deux de ses disciples qu’il lui envoya, etc. (2). » Saint Luc marque que les disciples de saint Jean rapportèrent à leur maître les miracles de Jésus-Christ, et que saint Jean les envoya le trouver. Cette circonstance néanmoins ne fait aucune difficulté, mais elle renferme seulement une grande instruction, puisqu’elle fait voir que les disciples de saint Jean avaient comme une secrète envie contre le Sauveur. Mais la parole qui suit est un peu plus difficile et mérite que nous nous y arrêtions davantage. « Êtes-vous celui qui doit venir, ou si nous devons en attendre un autre (3) ? » Comment celui qui avait connu Jésus-Christ avant même qu’il fît des miracles, à qui le Saint-Esprit l’avait révélé, à qui la voix du Père l’avait enseigné, qui avait dit hautement devant tout le monde : « Voilà l’Agneau de Dieu (Jn. 1,29) », comment, dis-je, envoie-t-il savoir maintenant si c’est celui qui doit venir, ou s’il en doit venir un autre ? Si vous doutez que Jésus soit le Christ, comment prétendez-vous qu’on vous croie lorsque vous rendez témoignage d’une chose que vous ignorez ? Avant qu’un homme assure une chose, il faut qu’il la sache tellement, qu’il mérite qu’on ajoute foi à ce qu’il dit. N’est-ce pas vous qui disiez : « Je ne suis pas digne de dénouer le cordon de ses souliers ? » (Luc. 3,15). N’avez-vous pas dit : « Pour moi je ne vous connaissais pas ; mais celui qui m’a envoyé baptiser avec de l’eau, m’a dit : « Celui sur qui vous verrez descendre et demeurer le Saint-Esprit, c’est celui qui baptise par le Saint-Esprit ? » (Jn. 1,33) N’avez-vous pas vu le Saint-Esprit sous la forme d’une colombe ? N’avez-vous pas ouï la voix du Père ? (Mat. 3,17) Ne l’avez-vous pas empêché vous-même, lorsqu’il s’est venu faire baptiser ? Ne lui avez-vous pas dit : « C’est moi qui ai besoin d’être baptisé par vous, et vous venez à moi ? » (Id. 44) N’avez-vous pas dit à vos disciples : « Il faut qu’il croisse et que je diminue ? » (Jn. 3,30) N’avez-vous pas enfin témoigné devant tout le peuple que ce serait lui « qui baptiserait par le Saint-Esprit, et par le feu », et que « c’était lui qui était l’Agneau de Dieu qui portait le péché du monde ? » (Id) N’avez-vous pas rendu ces témoignages de Jésus-Christ avant qu’il fît aucun miracle ? Comment donc maintenant qu’il s’est fait connaître par tant de prodiges, que sa réputation s’est répandue dans toute la Judée, qu’il ressuscite les morts, qu’il chasse les démons, qu’il guérit toutes sortes de maladies, comment, dis-je, envoyez-vous maintenant savoir si c’est celui qui doit venir, ou si on en doit attendre un autre ? Tout ce que vous nous avez dit jusqu’ici n’était donc qu’un songe et une fable, ou un artifice pour nous tromper ?

Qui serait, mes frères, l’esprit un peu raisonnable qui pût avoir cette pensée, je ne dis pas de saint Jean qui tressaillit de joie dès le ventre de sa mère ; qui annonça Jésus-Christ avant même que de naître ; qui passa toute sa vie dans le désert, et y vécut comme un ange ; mais je dis même du dernier des hommes ? Pourrait-il, après tant de témoignages qu’on lui avait rendus de Jésus-Christ ou qu’il en avait rendus lui-même aux autres, douter encore de ce qu’il était ? Il est donc visible que si saint Jean s’informe ainsi de Jésus-Christ, ce n’est pas qu’il ne sût qui il était ou qu’il en doutât.

On ne peut pas dire qu’à la vérité il l’avait connu avant sa prison, mais que depuis il était devenu timide, et que sa crainte lui avait fait dissimuler ce qu’il savait. Pouvait-il espérer sa délivrance par cette ambassade ? Et quand il l’aurait espérée, aurait-il pu trahir la vérité, lui qui était si résolu de mourir ? S’il n’eût été ainsi préparé à la mort, aurait-il témoigné tant de vigueur et tant de force en parlant à tout un peuple accoutumé depuis longtemps à répandre le sang des prophètes ? Aurait-il repris avec une liberté si généreuse ce tyran incestueux en présence de ses sujets, et avec aussi peu de crainte que s’il eût parlé à un homme du peuple ?

Si sa prison l’avait rendu timide, comment n’eût-il pas rougi au moins devant ses disciples qui étaient témoins de tout ce qu’il avait publié de Jésus-Christ, et comment les eût-il choisis pour cette ambassade, puisqu’il aurait pu en envoyer d’autres, et s’épargner ainsi cette honte ? Car il savait fort bien qu’ils avaient conçu de la jalousie contre Jésus-Christ, et qu’ils auraient été ravis de trouver une occasion de le décrier. Comment n’aurait-il point même appréhendé la confusion de témoigner, devant tous les Juifs, qu’il avait quelque doute touchant Jésus-Christ, après qu’en leur présence il lui avait rendu des témoignages si avantageux ?