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fait réserver une part, accomplissant ainsi la loi apostolique : L’ouvrier mérite sa nourriture. (Mt. 10,10 ; Lc. 10,7) Du reste, il ne laisse prendre que ce qu’il faut : Excepté ce que mes jeunes gens ont mangé, et la part de ceux qui sont venus avec moi, Eschol, Aunan et Mambré ; ils recevront leur part. Voyez toute la probité et la délicatesse du juste, comment il prouve sa sagesse par son mépris des richesses et sa modération, et comme il fait tout pour qu’on ne puisse attribuer sa conduite à l’arrogante ou au mépris, ni à l’orgueil de la victoire.
7. Nous aussi imitons un pareil homme, je vous en conjuré, cherchons à rester irrépréhensibles, à ne point nous enorgueillir sous prétexte de notre vertu, et à ne point négliger la vertu sous prétexte de modestie ; conservons en tout la juste mesure, et prenons l’humilité pour base et pour fondement de toutes nos bonnes œuvres, afin d’y asseoir solidement l’édifice de notre vertu ; car la vertu n’est véritable que si elle est jointe à l’humilité. Avec une base pareille, on pourra élever le monument aussi haut que l’on voudra. C’est la puissante fortification, le mur inébranlable, la tour inexpugnable qui soutient tout l’édifice et l’empêche d’être renversé parla force des vents, l’impétuosité des tempêtes et la violence des ouragans : elle le rend inaccessible et invincible à toutes les attaques, comme s’il était bâti en diamant, et nous fait obtenir pour récompense les grands bienfaits de la largesse de Dieu. C’est par elle que le patriarche reçoit l’immense honneur de tant de promesses divines. Vous saurez, avec la permission de Dieu, d’après ce qui va suivre, comment, en méprisant actuellement les présents du roi de Sodome, il a obtenu de Dieu de grands et d’ineffables bienfaits. C’est ainsi que, non seulement lui, mais tous les justes ont mérité leur gloire : tous ceux d’entre vous qui lisent assidûment les saintes Écritures, en trouveront partout la preuve. Dieu, dans sa bonté, lorsqu’il nous voit mépriser les biens de la terre, nous prodigue ces mêmes biens et nous prépare en même temps les biens du ciel. Vous pouvez le reconnaître dans les richesses du patriarche, dans la gloire de sa vie, et dans toute son existence terrestre. Méprisons donc les richesses présentes, afin d’être capables d’obtenir les richesses véritables ; dédaignons cette vaine gloire pour acquérir celle qui est vraie et solide ; prenons en pitié la prospérité actuelle, afin d’atteindre ces biens inexprimables ; ne comptons le présent pour rien et ne désirons que les biens de l’avenir. Il n’est pas possible qu’un homme attaché uniquement aux choses de la terre conçoive le désir de ces biens ineffables. De même qu’une taie voile les yeux du corps, de même le désir des choses présentes obscurcit le jugement des hommes et les empêche de voir ce qu’il leur faudrait. Mais il est pareillement impossible que celui qui chérit ces biens solides et immuables s’abaisse jamais à désirer les biens périssables qui disparaissent ou se flétrissent sitôt qu’on y touche. Celui qui est frappé des traits de l’amour divin et qui aspire au bonheur éternel, voit la terre avec d’autres yeux ; il sait que la vie présente n’est qu’une figure et une illusion, et qu’elle ne diffère point des songes. Aussi, comme le dit saint Paul : Ce monde est une image qui passe. (1Cor. 7,31) Faisant voir ainsi que les choses humaines ne sont que des apparences fugitives, comme une ombre ou comme un songe, et n’ayant rien de vrai et de solide. Ne serait-il pas puéril de poursuivre une ombre, de s’enorgueillir d’un songe et de s’attacher à des objets fugitifs ? Ce monde est une image qui passe. Puisque vous savez qu’il passe, pourquoi le chercher encore ? puisque vous savez que la vie humaine n’est qu’un fantôme sans réalité, pourquoi vous tromper volontairement ? puisque vous savez combien les choses d’ici-bas sont changeantes et périssables, pourquoi ne pas les laisser, et ne pas mettre tous vos désirs dans les choses éternelles, inébranlables, impérissables et immuables ?
8. Pour connaître la sagesse de ce docteur du monde, voyez comment, pour prouver le néant de toutes les splendeurs de cette vie, il dit dans un autre endroit : Les choses visibles ne durent qu’un temps. (2Cor. 4,18) La richesse, la gloire, la renommée, les dignités, là puissance, l’empire même, avec le diadème et le trône au-dessus de tous les autres, tout cela ne dure qu’un temps, tout cela subsiste un instant, et cesse bientôt de paraître à nos yeux. Que devons-nous donc chercher, si tout ce qui est visible ne dure qu’un temps ? Nous devons chercher, dit l’Apôtre, non plus ce qui est visible, mais ce qui est invisible, ce qui échappe aux yeux du corps. Mais, lui direz-vous, d’où vient ce conseil de négliger ce que l’on peut apercevoir, pour rechercher ce que l’on n’aperçoit pas ? De la nature même de ces