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blessures cruelles. Car celui qui aura fait mille bonnes actions, qui aura accompli toutes les vertus, devient, s’il s’enorgueillit, le plus déplorable et le plus misérable des hommes. Et cela nous est démontré par l’histoire de ce pharisien qui s’enorgueillissait en se comparant au publicain ; il tomba tout à coup au-dessous du publicain et perdit tous ses trésors de vertu par l’imprudence de sa langue, il resta (Lc. 18) nu et dépouillé par une étrange et nouvelle espèce de naufrage, car, en arrivant au port, il a submergé lui-même toute sa cargaison ; en effet, se perdre par une prière imprudente, c’est la même chose que de faire naufrage au port. Voilà pourquoi le Christ donnait à ses disciples le précepte suivant : Quand vous aurez tout fait, dites : Nous sommes des serviteurs inutiles (Lc. 17,10), voulant ainsi les préserver et les éloigner le plus possible de ce redoutable écueil. Vous voyez donc, mes bien-aimés, que celui qui recherche la gloire humaine, et n’a pas d’autre but en pratiquant la vertu, n’en retire aucun profit, et que celui qui, après avoir accompli toutes les œuvres de la vertu, vient à s’en enorgueillir, reste nu et dépouillé de tout. Fuyons donc, je vous prie, ces deux grands écueils ; ne considérons que l’œil toujours éveillé, et n’ayons aucune communication avec nos semblables du moins pour rechercher leurs louanges, mais contentons-nous de celles du Seigneur. La louange ne vient pas des hommes, mais de Dieu. (Rom. 2,29)
Et plus notre vertu s’accroît, plus nous devons rechercher la modestie et l’humilité ! Car, en nous supposant arrivés au comble de la vertu, si nous comparons avec équité ce que nous avons fait de bien avec les bienfaits dont Dieu nous a comblés, nous verrons que nous n’en avons pas égalé la moindre partie. Telle a été la pensée de tous les saints. Pour le savoir, écoutez le plus grand docteur de la terre, voyez comment cet esprit qui touche au ciel, après tant de grandes œuvres, après un pareil témoignage d’en haut : Celui-là est pour moi un vase d’élection (Act. 9,15), ne dissimule aucune de ses fautes, comme il les étale à pleines mains ; il n’oublie pas même celles dont il se savait délivré par le baptême, mais il s’écrie : Je suis le moindre des apôtres et je ne suis pas digne du nom d’Apôtre. (1Cor. 15,9) Puis, ce qui nous fait voir l’excès de son humilité, il ajoute : Parce que j’ai persécuté l’église de Dieu. Que fais-tu, ô Paul ? Dieu, dans sa miséricorde, a remis et effacé tous tes péchés, et tu les rappelles encore ! Oui, je sais, dit-il, je n’ignore pas que Dieu m’a tout remis : mais quand je considère d’un côté ce que j’ai fait, et de l’autre l’océan de la divine miséricorde, je sais bien alors que c’est à sa grâce et à sa pitié que je dois d’être ce que je suis. Car, après avoir dit : Je ne suis pas digne du nom d’Apôtre, parce que j’ai persécuté l’église de Dieu, il ajoute : mais, par la grâce de Dieu, je suis ce que je suis. Je me suis livré, dit-il, à des transports de fureur, mais par sa grâce et sa bonté ineffables, il m’en a accordé le pardon.
Ainsi vous avez vu cette âme contrite et traînant sans cesse le souvenir de ses péchés, même de ceux qui avaient précédé le baptême. Nous aussi, imitons-le, rappelons-nous chaque your même nos péchés antérieurs au baptême ; songeons-y constamment et ne les laissons jamais tomber dans l’oubli. Cela sera un frein suffisant pour nous maintenir dans la modestie et l’humilité. Mais, sans nous arrêter plus longtemps sur un homme tel que Paul, voulez-vous examiner aussi, même dans l’ancienne loi, les hommes les plus méritants qui sont restés modestes malgré leurs innombrables bonnes œuvres, et leur ineffable confiance en Dieu ? Écoutez ce que dit le Patriarche, après avoir fait alliance avec Dieu, et en avoir reçu la promesse. Je ne suis, dit-il, que poussière et cendre. (Gen. 18,27)
3. Mais puisque nous avons rappelé le patriarche, nous allons, si vous le voulez, offrir à votre charité la lecture d’hier, pour vous expliquer l’excellence de la vertu de ce juste. Tharra prit Abram et Nachor, ses fils, et Loth, ils de son fils, et Sara, sa bru, femme d’Abram, son fils, et il les emmena de la terre des Chaldéens pour les conduire au pays des Chananéens : il vint jusqu’à Charran, et s’y établit. Et les jours de Tharra à Charran furent deux cent cinq ans, et il mourut à Charran. Étudions attentivement, je vous prie, cette lecture ; pour comprendre le sens de ces paroles. D’abord, il semble se présenter une question. Tandis que le bienheureux prophète (j’entends Moïse), nous dit : Tharra prit Abram et Nachor et les emmena de la terre des Chaldéens pour les conduire au pays des Chananéens : il vint jusqu’à Charran et s’y établit ; saint Étienne, faisant l’éloge des Juifs, dit de son côté : Le Dieu de gloire s’est montré à notre père Abraham, en Mésopotamie, avant qu’il n’habitât