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pensées incertaines. (Sag 9, 14) Accueillons donc la parole divine avec une humble déférence, sans dépasser les bornes de notre intelligence, ni rechercher curieusement ce qu’elle ne saurait atteindre. Mais les ennemis de la vérité ne connaissent point ces règles, et ils veulent apprécier toutes les œuvres du Seigneur selon les seules lumières de la raison. Insensés ! ils oublient que l’esprit de l’homme est trop borné pour sonder ces mystères. Et pourquoi parler ici des œuvres de Dieu, quand nous ne pouvons même comprendre les secrets de la nature et des arts ? car dites-moi comment l’alchimie transforme les métaux en or, et comment le sable devient un cristal brillant. Vous ne sauriez me répondre ; et lorsque vous ne pouvez expliquer les merveilles que la bonté divine permet à l’homme d’opérer sous vos yeux, vous présumeriez, ô homme, de scruter curieusement les ouvrages du Seigneur !
Quelle serait votre défense, et quelle excuse alléguer, si vous vous flattiez follement de comprendre des choses qui surpassent toute intelligence humaine ? car soutenir que la matière a donné l’être à toutes les créatures, et nier qu’un Dieu créateur les a tirées du néant, ce serait le comble de la folie. Aussi le saint prophète, pour fermer la bouche de l’insensé, commence-t-il son livre par ces mots Au commencement Dieu créa le ciel et la terre. Dieu créa : arrêtez donc toute curieuse recherche, humiliez-vous, et ajoutez foi à celui qui vous parle. Or c’est Dieu qui a tout fait, qui prépare toutes choses et qui les dispose selon sa sagesse. Et voyez comme l’écrivain sacré se proportionne à votre faiblesse ; il omet la création des esprits invisibles, et il ne dit point : au commencement Dieu créa les anges et les archanges. Mais il n’agit ainsi que par prudence, et pour mieux nous disposer à recevoir sa doctrine. Et en effet il parlait au peuple juif qui ne s’attachait qu’aux biens présents et terrestres, et qui ne pouvait concevoir rien d’invisible et de spirituel. C’est pourquoi il le conduit par la vue des choses sensibles à la connaissance du Créateur, et lui apprend à contempler l’Ouvrier suprême dans ses œuvres, en sorte qu’il sache adorer le Créateur, et ne point se fixer, ni s’arrêter à la créature. Malgré cette condescendance, ce même peuple n’a point laissé de se faire des dieux mortels, et de rendre les honneurs divins aux plus vils animaux. Mais jusqu’où n’eût-il point porté sa folie, si le Seigneur ne l’eût prévenu de tant de bontés et de ménagements ?
3. Et ne vous étonnez point, mon cher frère, si Moïse en a usé de la sorte dès le principe, et dès les premiers mots, puisqu’il parlait à des juifs grossiers et sensuels. Car nous voyons saint Paul, sous l’ère nouvelle de la grâce, et alors même que l’Évangile avait fait de rapides progrès, adopter la même méthode dans son discours aux Athéniens, et les amener à la connaissance du vrai Dieu par le spectacle de la nature. Le Dieu, dit-il, qui a fait le monde et tout ce qui est dans le monde, étant le Seigneur du ciel et de la terre, n’habite point dans les temples bâtis par les hommes. (Act. 17,24) Il suivait ici ce genre d’enseignement, parce qu’il s’adaptait au caractère de ses auditeurs ; et c’était par l’inspiration de l’Esprit-Saint qu’il leur proposait ainsi la doctrine céleste. Mais il savait également varier sa parole selon la diversité des personnes, et leur instruction plus ou moins avancée. Considérez-le en effet écrivant aux Colossiens : il n’observe plus la même marche, et son langage est tout différent… En le Verbe, dit-il, tout a été créé dans le ciel et sur la terre, les choses visibles et invisibles, les trônes, les dominations, les principautés, les puissances ; tout a été créé par lui et pour lui. (Col. 1,16)
Jean, le fils du tonnerre, s’écrie : Tout a été fait par le Verbe, et sans lui rien n’a été fait. (Jn. 1,3) Mais Moïse débute moins solennellement, et il a eu raison de le faire. Car il ne convenait point d’offrir des viandes solides à ceux qu’il fallait nourrir encore de lait. Les maîtres expliquent d’abord aux enfants qu’on leur confie, les premiers éléments des sciences ; et puis ils les conduisent progressivement à des connaissances plus élevées. C’est aussi cette méthode qu’ont suivie Moïse, le Docteur des nations, et Jean, fils du tonnerre. Moïse, qui dans l’ordre des temps, est le premier instituteur de l’humanité, ne lui a proposé que les premiers éléments de la doctrine ; Jean au contraire, et Paul qui lui ont succédé, ont pu développer à leurs disciples un enseignement plus parfait.
Nous comprenons donc les motifs qui ont porté Moïse à condescendre à la faiblesse de son peuple. Sous l’inspiration de l’Esprit-Saint, il parlait aux Juifs le langage qui leur convenait ; mais il ne laissa pas d’étouffer par ces mots :