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traits, entassé toute l’horreur des misères humaines, et sur la maison de l’homme juste, et sur sa personne, non-seulement ne lui a fait aucun mal ; mais, je l’ai déjà dit, au contraire, lui a été utile, comment pourra-t-on encore imputer son mal à tel on tel, comme si le mal venait des autres, comme si le mal ne venait pas du dedans ?
4. Eh quoi donc, me dira-t-on ? N’est-ce pas le démon qui a fait du mal à Adam, qui l’a supplanté, qui l’a chassé du paradis ? Non, ce n’est pas le démon, mais la nonchalance de celui qui a souffert le mal ;, c’est le défaut d’attention et de vigilance ; car si le démon, avec tant et de si grands ressorts, déployés contre Job, ne l’a pas abattu, comment a-t-il pu, avec de plus faibles armes, triompher d’Adam, si celui-ci, par sa propre indolence, ne s’est pas trahi lui-même. Quoi donc ? La victime des calomnies, le malheureux à qui on confisque ses biens, ne reçoit aucun mal ? Celui qui perd son patrimoine, qui lutte contre toutes les horreurs de la misère ? Non, celui-là n’a subi aucun mal ; au contraire, il s’est enrichi, s’il a la modestie en partage : car en quoi, répondez-moi, la pauvreté a-t-elle nuie aux apôtres ? Ne soutenaient-ils pas contre la faim, contre la soif, contre toutes les privations qui les mettaient à nu, une lutte continuelle, et n’est-ce pas par cela même qu’ils sont devenus illustres, glorieux ; qu’ils ont forcé Dieu à leur accorder son éclatant secours ? et Lazare, en quoi maladies, blessures, pauvreté, absence de toute assistance, lui ont-elles été nuisibles ? N’est-ce pas par cela même qu’il a conquis de plus – nobles couronnes ? Et quel mal pour Joseph d’avoir subi la réprobation dans son propre pays et sur la terre étrangère ? car on disait de lui : C’est un adultère, c’est un impudique. Quel mal lui a fait la servitude ? Quel mal lui a fait l’exil ? N’est-ce pas, pour ces épreuves surtout, que nous le contemplons avec admiration ? Et à quoi bon vous parler d’exil, de pauvreté, de réprobation parmi les hommes et de servitude ? La mort même, quel' mal a-t-elle fait à Abel, quoi qu’elle fût violente, quoiqu’elle fût prématurée, le crime d’un frère ? N’est-ce pas pour cela même qu’il est célèbre par toute la terre ? Voyez-vous comme mon discours a dépassé mes promesses ? Car non-seulement il a démontré que personne ne peut recevoir de mal de personne ; mais, de plus, que le mal est un profit pour ceux qui font attention à eux-mêmes. Mais pourquoi, me dira-t-on, les peines, les supplices ? pourquoi l’enfer, pourquoi tant de menaces, et si effrayantes, si personne, ni ne subit l’injustice, ni ne commet l’injustice ? Que dites-vous ? Pourquoi cette confusion dans le discours ? Je n’ai pas dit que nul ne commet l’injustice, mais j’ai dit que nul ne souffre de l’injustice. Mais comment est-il possible,-me dira-t-on, lorsque tant d’hommes commettent l’injustice, que personne ne souffre de l’injustice ? Je viens de vous en donner la raison ; les frères de Joseph Surent injustes envers lui, mais lui n’a pas souffert de l’injustice. Caïn a attenté à la vie d’Abel, mais Abel n’a pas été victime. De là, châtiments et supplices. C’est que la vertu de ceux qui souffrent, ne fait pas que Dieu supprime les punitions : la perversité des méchants fait que Dieu les inflige. Si ceux qui souffrent le mal, deviennent plus glorieux par le fait de leurs ennemis, cette gloire, ils ne la doivent pas à la volonté de l’ennemi perfide, mais à la force virile, qu’ils ont montrée. Ainsi, aux uns sont décernées les récompenses de leur sagesse ; pour les autres sont établis les supplices, préparés à la perversité. On vous a dépouillé de vos biens ? Dites : Nu, je suis sorti du ventre de ma mère, nu je m’en retournerai. (Job. 1,21) Ajoutez-y la parole de l’Apôtre : Nous n’avons rien apporté en ce monde, et il est sans doute que nous n’en pouvons rien emporter. (1Ti. 6,7) On a mal parlé de vous, on vous a chargé de mille outrages ? Rappelez-vous cette parole : Malheur à vous lorsque les hommes diront du bien de vous ! (Luc. 6,26) Et réjouissez-vous, et tressaillez d’allégresse, lorsque les hommes prononceront contre vous une parole mauvaise. (Mat. 5,11) Vous avez été jeté en exil ; considérez que votre patrie n’est pas en ce monde. Voulez-vous suivre la sagesse ? Il vous a été ordonné de regarder la terre entière comme une terre étrangère. Mais vous êtes tombé dans une maladie grave ? dites cette parole dé l’Apôtre : Encore que dans nous l’homme extérieur se détruise, néanmoins l’homme intérieur se renouvelle de jour en jour. (2Co. 4,16) Mais voici qu’un tel a subi une mort – violente : considérez Jean, sa tête tranchée dans la prison, apportée sur un plat, servant de salaire à une courtisane qui danse. Considérez les récompenses à venir. Toutes ces souffrances causées par l’injustice d’autrui, expient les péchés, opèrent la sanctification. Telle en est l’utilité incomparable, pour ceux qui savent noblement les supporter.
5. Eh bien donc ! puisque, ni les pertes d’argent, ni les calomnies et les outrages, ni l’exil, ni les maladies, ni les tourments, ni même ce grand épouvantail : la mort, ne causent aucun dommage à ceux qui en sont frappés ; puisqu’au contraire, il y a là utilité et profit, comment vous est-il possible de me montrer qu’on souffre du mal, puisque, de ces causes que je viens de dire, ne résulte aucun mal ? Je veux entreprendre une démonstration foule contraire. Ceux qui souffrent les plus grands maux, des pertes incalculables, qui subissent des souffrances qu’on ne peut guérir, ce sont ceux qui les causent. Car quoi de plus misérable que Caïn se conduisant envers son frère comme vous savez ? Qui mérite plus de pitié que l’épouse de Philippe, qui a tranché la tête de Jean ? Que les frères de Joseph, qui l’ont vendu et jeté en exil ? Que le démon, qui a déchiré Job de tant de blessures ? Car il ne sera pas puni seulement des crimes qu’il fait commettre ; mais, pour ses vains efforts, il subira le châtiment terrible de sa malice infernale. Ne voyez-vous pas encore ici comment mon discours a dépassé mes promesses ? non seulement les victimes que les méchants se proposent de frapper ne souffrent aucun mal, mais encore tout le mal retombe sur la tête de ces méchants. Évidemment, puisque ni la richesse, ni la liberté, ni le séjour dans la patrie, ni les autres biens que j’ai dits, ne constituent la vertu de l’homme ; puisqu’elle consiste dans l’honnêteté, dans l’âme, il s’ensuit que, par la perte de ces biens, la vertu de l’homme, en réalité, n’a rien perdu. Eh quoi ! si quelqu’un vient à perdre la sagesse même ? Eh bien ! même dans ce cas, la perte n’est pas le fait d’autrui, la perte vient du dedans ; on ne doit l’attribuer qu’à soi-même. Comment, me dit-on, elle vient du dedans ? on ne doit l’attribuer qu’à soi-même ? Quand un homme, frappé par un autre, ou dépouillé de ses biens, ou subissant quelque grave injure, profère un blasphème, alors il est atteint d’un mal, d’un mal affreux. Toutefois ce mal ne lui vient pas de celui qui lui fait injure, mais il lui vient de sa propre lâcheté. Ce que j’ai dit, je veux le redire. Nul homme, supposez le plus pervers, ne peut faire plus que le démon, acharné, implacable ennemi, ni le dépasser en perversité, en rage funeste. Ce monstre pourtant n’a pas pu, en s’attaquant à un homme qui vivait avant la loi, avant la grâce, malgré tant de traits, tant de