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milieu de ses ennemis, encore respirant le meurtre, encore bouillants de colère, encore avides de déchirer les disciples, car leurs passions étaient encore excitées, et leur fureur allumée. Mais quand Paul écrivait ainsi, il y avait dix-sept ans que la prédication de l’Évangile était commencée. Après avoir dit : Trois ans après je suis allé à Jérusalem (Gal. 1,18), il dit encore : quatorze ans après, je suis allé à Jérusalem. (Gal. 2,1) Celui donc qui n’a rien craint au début de sa prédication aurait été effrayé si longtemps après ? celui qui ne tremblait pas à Jérusalem aurait tremblé à Antioche ! Celui qui était resté impassible au milieu des ennemis qui l’entouraient, aurait eu peur au milieu d’un cercle, non plus d’ennemis, mais de fidèles et de disciples, et aurait quitté le droit chemin ! Qui pourrait s’imaginer qu’un homme capable d’affronter un bûcher élevé et embrasé, tremblât de crainte en le voyant éteint et réduit en cendres ? Si Pierre avait été timide et faible, c’est au commencement de sa prédication, dans la capitale des Juifs, qui lui étaient tous hostiles, c’est alors qu’il aurait été effrayé, mais non pas si longtemps après dans une ville entièrement chrétienne, et au milieu de ses vrais amis. Ainsi, ni le temps, ni le lieu, ni l’entourage, ne nous permettent de croire aux paroles que nous avons rapportées, et d’accuser Pierre d’aucune crainte.
Ainsi vous ôtes de mon avis. Cependant, vous commenciez par admirer Paul, et par vous être charmés de sa franchise ; notre discours a changé l’accusateur en accusé. Mais, comme je disais en commençant, que nous n’en étions pas plus avancé, si nous prétendions que Paul avait raison, parce qu’alors il serait clair que Pierre aurait eu tort, et que la honte de cette faute retomberait toujours sur nous, quel que fût le coupable ; de même, je vous le dis encore, nous ne gagnerons rien à écarter de Pierre toute accusation, puisque alors Paul semblerait avoir accusé son confrère dans l’apostolat avec une audace imprudente. Eh bien ! délivrons aussi l’autre apôtre de tout blâme. Quoi donc ? nous avons vu ce qu’était Pierre ; Paul n’était-il pas tel que lui ! quoi de plus ardent que Paul, qui mourait tous les jours pour le Christ ? Cependant, ne parlons pas de courage, car ce n’est pas ce dont il s’agit, mais il faut voir s’il avait de la haine contre l’Apôtre, ou si cette dispute est le résultat de la vanité et de la jalousie. En vérité, j’ai honte de parler ainsi ; laissons cela. En effet. Paul était le serviteur, non seulement de Pierre, le chef de tous ces saints, mais il l’était aussi de tous les apôtres ; et quoiqu’il les surpassât tous par ses travaux, il se regardait comme le dernier d’entre eux. Je suis, dit-il, le moindre des apôtres ; je ne mérite même pas le nom d’apôtre (1Cor. 15,9) ; il ne dit pas cela, seulement pour les apôtres, mais pour tous les saints en général. Cette grâce m’a été accordée à moi, dit-il, qui suis le moindre de tous les saints. (Eph. 3,8)
8. Voyez-vous cette humilité ? voyez-vous comme il se met au-dessous de tous les saints, et, à plus forte raison des apôtres ? Celui qui avait de pareilles dispositions envers tout le monde savait toutes les prérogatives de respect qui étaient dues à Pierre, il le respectait au-dessus des autres hommes ; en un mot, il avait pour lui les sentiments qu’il méritait. Et voici ce qui le prouve : Tous les yeux du monde étaient tournés vers Paul, de lui dépendaient les Églises de toute la terre, chaque jour il était accablé d’une foule de soins, de toutes parts il était assiégé par des procurations, des patronages, des réprimandes, des conseils, des exhortations, des enseignements ; enfin, par mille affaires dont il devait s’occuper. Eh bien ! laissant tout cela, il se rendit à Jérusalem, sans avoir d’autre motif pour ce voyage, que de voir Pierre, comme il le dit lui-même : Je vins à Jérusalem pour voir Pierre. (Gal. 1,18) C’est ainsi qu’il l’honorait et le mettait au-dessus de tous. Eh bien ! après l’avoir vu, le quitta-t-il aussitôt ? nullement, car il resta quinze jours avec lui. Or, si vous voyez un officier brave et distingué, la guerre étant déclarée, l’armée disposée, le combat commencé, quand une foule de soins le réclament de tous côtés, si vous le voyez abandonner son poste et s’éloigner pour voir un ami, auriez-vous besoin, dites-moi, d’une autre preuve de son affection pour cet homme ? Pour moi, je ne le crois pas. Pensez donc la même chose sur Pierre et sur Paul. Ici une rude guerre était engagée, l’armée disposée, le combat commencé, non seulement contre les hommes, mais contre les principautés, contre les puissances, contre les chefs de ce monde de ténèbres (Eph. 6,12), et c’était le combat du salut des hommes. Néanmoins, il avait tant de respect pour Pierre, qu’au milieu d’obligations si imminentes et si pressantes, il courut le trouver à Jérusalem, et resta quinze jours avec lui avant de songer au retour. Vous avez vu le courage de Pierre, le dévouement de Paul pour tous les apôtres, et pour Pierre en particulier ; il faut maintenant arriver à la solution de la question elle-même. Car, puisqu’il aimait Pierre, et que celui-ci n’était ni timide ni faible, puisqu’il n’y avait entre eux ni haine ni opposition, que signifie ce que je vous ai lu, et comment l’expliquer ?
9. Ici, soyez attentifs, élevez et soutenez vos esprits pour me comprendre et bien voir le jour favorable que je vous présenterai. En effet, pendant que je fouille la terre avec tant de peine et que vous êtes sur le point devoir paraître l’or sans vous fatiguer, il serait absurde que vous perdissiez un pareil trésor par votre négligence. Il faut que je reprenne mon discours d’un peu plus haut, afin de vous éclaircir cette instruction. Quand Jésus fut monté au ciel, après avoir accompli sa mission pour le salut des hommes, il laissa à ses disciples la parole divine de sa loi ; ainsi Paul dit : Il mit en nous la parole de la réconciliation; et aussi : Nous faisons la fonction d’ambassadeurs pour Jésus-Christ, comme si Dieu exhortait par notre bouche (2Cor. 5,19, 20), c’est-à-dire comme si c’était le Christ. Alors, quand ils prêchaient ainsi sur toute la terre, il n’y avait pas d’hérésies ; la nature humaine n’avait que deux dogmes, l’un pur et l’autre corrompu. En effet, tous les hommes étaient gentils ou juifs. Il n’était pas encore question de Manès, de Marcion, de Valentin, ni d’aucun autre ; car, que sert de compter toutes les hérésies ? Mais, quand l’ivraie eut été semée avec le froment, la corruption de l’hérésie vint à se répandre. Le Christ envoya Pierre aux Juifs et Paul aux Gentils. Et je ne parle pas ainsi de moi-même, mais vous pouvez entendre les paroles de Paul : Il confia à Pierre l’apostolat chez les circoncis et à moi chez les Gentils. (Gal. 2,8) Ici, la circoncision désigne la nation. Et comment le voit-on ? par ce qui suit. Car après avoir dit : il confia à Pierre l’apostolat chez les circoncis, il ajoute : il me l’a donné chez les Gentils, ce qui montre bien que le mot de circoncision indique ici la différence des nations. C’est donc de cette différence de nations qu’il s’agit, et non de la circoncision en elle-même, et ce sont les Juifs qu’il désigne en parlant de circoncision ; c’est comme s’il disait : Il confia à Pierre l’apostolat chez les