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contribue selon son pouvoir. Non, la pauvreté ne peut être un obstacle à une pareille contribution. Quelque pauvre que vous soyez, vous n’êtes pas plus pauvre que cette veuve de l’Évangile, qui donna tout ce qu’elle avait. (Luc. 21,2) Quelque pauvre que vous soyez, vous n’êtes pas plus pauvre que cette veuve de Sidonie, qui, ne possédant qu’une poignée de farine, pressée par la faim, n’ayant rien en réserve, se voyant entourée d’enfants, ne se dispensa pas, s’empressa au contraire de recevoir le prophète. (1Ro. 17,11)
Mais pourquoi saint Paul a-t-il dit : mette à part chez soi, amassant peu à peu, à la lettre, thésaurisant. Comme celui qui mettait à part aurait pu avoir honte d’offrir une somme modique, c’est pour cela qu’il dit : Gardez chez vous ce que vous mettez à part, et lorsque vous aurez grossi la somme en mettant à plusieurs reprises, alors venez nous l’offrir. Il se sert du mot thésaurisant, afin de vous apprendre que cette contribution est un revenu, que cette dépense est un trésor, et le plus précieux des trésors. Un trésor terrestre est sujet à être pris, à être diminué, perd souvent ceux qui l’acquièrent ; un trésor céleste est bien différent : on ne peut le perdre, il ne peut être pris par les voleurs, il est le salut de ceux qui le possèdent, il ne diminue pas avec le temps, l’envie ne peut nous en dépouiller, il est à l’abri de toute rapine, il procure mille biens à ceux qui l’amassent.
4. Suivons donc le conseil de l’Apôtre, et, selon qu’il nous le recommande, ayons en réserve dans nos maisons un argent sacré, qui soit comme la sauvegarde de nos fortunes particulières ; car de même que l’argent d’un particulier, déposé dans le trésor du prince, participe à la sûreté de ce trésor, ainsi l’argent des pauvres, amassé peu à peu dans votre maison pendant tous les jours consacrés au Seigneur, fera la sûreté du reste ; et vous serez vous-même le dispensateur de vos propres fonds, nommé par le bienheureux Paul. Que dis-je ? ce que vous aurez amassé d’abord sera pour vous un motif et une occasion d’amasser davantage. Lorsque vous aurez pris une heureuse habitude, vous pourrez vous exciter vous-même sans que personne vous exhorte. Que la maison de chacun devienne donc par là une église, en devenant dépositaire d’un argent sacré, puisqu’une des marques auxquelles on reconnaît les églises ce sont les trésors qui en dépendent[1]. Tout lieu où est déposé l’argent des pauvres est inaccessible aux démons ; et cet argent vaut mieux pour garder les maisons et pour les défendre que les troupes de soldats, que les piques, les boucliers et les épées.
Après avoir marqué le temps et la manière d’amasser cet argent, et les personnes qui doivent être chargées de cet office, l’Apôtre abandonne la quantité à la volonté de ceux qui contribuent ; car il ne dit pas : Contribuez de tant, pour que le précepte ne soit pas à charge, et que les pauvres ne puissent pas se rejeter sur leur impuissance ; mais il règle la grandeur de la contribution sur le pouvoir de ceux qui contribuent : Que chacun de vous, dit-il, mette à part chez soi quelque chose, amassant peu à peu ce qu’il pourra avec l’aide du Seigneur, annonçant, par ces derniers mots, que le secours du ciel ne manquera pas ; car saint Paul ne cherchait pas seulement à faire secourir les pauvres, mais à les faire secourir avec joie. Il savait que c’est beaucoup moins pour le soulagement de l’indigence, que Dieu a ordonné l’aumône, que pour l’avantage de ceux qui la font. En effet, s’il n’eût pensé qu’aux pauvres, il eût simplement ordonné de les soulager, sans recommander de le faire avec joie ; mais vous voyez que, dans plusieurs endroits, saint Paul insiste sur ce dernier point : Ne donnez pas, dit-il dans une de ses épîtres, ne donnez pas ce que vous avez envie de donner, avec tristesse et comme par force ; car Dieu aime celui qui donne avec joie (2Co. 9,7) ; non simplement celui qui donne, mais celui qui donne avec plaisir. Que celui qui fait l’aumône, dit-il ailleurs, la fasse avec simplicité ; que celui qui gouverne s’en acquitte avec vigilance ; que celui qui exerce les œuvres de miséricorde, les exerce avec joie. (Rom. 12,8) La nature de l’aumône consiste à donner avec joie, et à croire qu’on reçoit plus qu’on ne donne. Aussi l’Apôtre emploie-t-il tous les moyens pour alléger le précepte, pour faire contribuer avec plaisir au soulagement du pauvre.
Et voyez-en combien de manières il s’est efforcé d’ôter à l’aumône tout son fardeau. Premièrement, il ne fait pas contribuer une ou deux personnes, mais toute la ville ; et le mot qu’il emploie signifie une contribution générale,

  1. Chaque église avait un bâtiment qui lui était annexé, nommé en grec gazophilakion. On y déposait les deniers qui devaient être employés au soulagement des pauvres.