Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 4, 1864.djvu/140

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de notre vie. Quel est-il ? C’est de ne point accuser le mariage, c’est de ne pas regarder comme un empêchement et un obstacle au chemin qui mène à la vertu, d’avoir une femme, d’élever des enfants, d’être chef d’une famille, et d’exercer une profession manuelle. Voyez, dans l’exemple qui nous occupe, il y avait aussi un mari et une femme, ils étaient à la tête d’un atelier, ils travaillaient de leurs mains, et ils offraient le spectacle d’une vertu bien plus parfaite que ceux qui vivent dans des monastères. Et qu’est-ce qui nous le prouve ? Le salut que Paul leur adresse ; ou plutôt, non pas le salut seulement, mais ce qu’il atteste ensuite. Car après avoir dit : Saluez Priscille et Aquila, il ajouta aussi leur titre. Et quel titre ? Il n’a pas dit ces riches, ces personnages illustres, de famille noble ; qu’a-t-il dit ? Mes coopérateurs dans le Seigneur. Or, il ne saurait y avoir rien d’égal à cela comme recommandation de vertu, et ce n’est pas là le seul trait qui nous fasse voir leur vertu, c’est encore qu’il ait demeuré chez eux, non pas un jour, non pas deux ou trois, mais deux années entières. En effet, de même que les puissants de la terre ne choisissent jamais pour y descendre les maisons des gens obscurs et de basse condition, mais qu’ils recherchent les splendides demeures de quelques personnes marquantes, de sorte que la bassesse du rang de leurs hôtes ne porte pas atteinte à la grandeur de leur dignité ; ainsi faisaient les apôtres : ils ne descendaient pas chez les premiers venus, et si les grands s’attachent à la splendeur de la résidence, les Apôtres demandaient la vertu de l’âme, ils recherchaient avec soin les fidèles qui leur étaient dévoués et ils venaient loger dans leur maison. En effet, il y avait un précepte du Christ qui l’ordonnait ainsi. Quand vous entrerez, dit-il, dans une ville ou dans une maison, demandez qui de ses habitants mérite de vous recevoir, et demeurez-y. (Luc. 9,4) Ainsi, Priscille et Aquila étaient dignes de Paul ; et s’ils étaient dignes de Paul, ils étaient dignes des anges. Quant à moi, j’appellerais hardiment cette pauvre maisonnette une église, un ciel. Car où était Paul, là aussi était le Christ. Cherchez-vous, dit-il, une preuve du Christ qui parle en moi ? (2Co. 13,3) Et là où était le Christ, là aussi les anges se portaient continuellement en foule.

Or ces fidèles qui, même auparavant, s’étaient montrés dignes des attentions de saint Paul, songez ce qu’ils durent devenir, en habitant deux ans avec lui, à même d’observer sa tenue, sa démarche, son regard, sa mise, toutes ses actions, toutes ses habitudes. Car, dans les saints, ce ne sont pas seulement les paroles, ni les enseignements et les exhortations, mais encore tout le reste de la conduite de la vie qui est capable de devenir pour les gens attentifs une école complète de sagesse. Figurez-vous ce que ce devait être de voir Paul prendre ses repas, adresser des reproches ou des exhortations, prier, verser des larmes, enfin dans toutes ses démarches. Si nous autres, qui ne possédons de lui que quatorze lettres, nous les portons par tout l’univers, ceux qui possédaient la source de ces épîtres et la langue même de l’univers, la lumière des Églises, le fondement de la foi, la colonne et la base de la vérité, quels ne seraient-ils pas devenus, dans le commerce d’un tel ange ? Et si ses vêtements étaient redoutables aux malins esprits, et avaient une si grande vertu, avec quelle abondance sa société intime n’aurait-elle pas attiré la grâce du Saint-Esprit. Voir le lit où Paul reposait la couverture qui l’enveloppait, les sandales où il mettait ses pieds, cela n’aurait-il pas suffi pour leur inspirer une componction continuelle ? Car si les démons tressaillaient à la vue de ses vêtements, bien plus les fidèles qui vivaient avec lui devaient-ils se sentir contrits et humiliés à cet aspect. Mais, une chose qui vaut la peine d’être examinée, c’est le motif qui lui fit nommer, dans cette salutation, Priscille avant son mari. Il ne dit pas : Saluez Aquila et Priscille, mais, Priscille et Aquila. Ce qu’il n’a point fait au hasard, mais, je pense, parce qu’il lui savait plus de piété que son mari. Et ce que j’avance là, vous pouvez vous convaincre, par la lecture même des Actes, que ce n’est pas une simple conjecture. Apollo, homme éloquent et très-versé dans les saintes Écritures, mais qui ne connaissait que le baptême de Jean, avait été recueilli par Priscille, qui l’avait initié à la voie de Dieu, et en avait fait un docteur accompli. (Act. 18,24-25) Car les femmes du temps des apôtres ne s’inquiétaient pas comme celles d’aujourd’hui, d’avoir de belles toilettes, d’embellir leur visage avec du fard et des traits de couleur, elles ne tourmentaient pas leur mari pour lui faire acheter une robe plus chère que celle de leur voisine et de leur égale, pour avoir des mulets blancs avec des freins saupoudrés d’or, un cortège