Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 3, 1864.djvu/247

Cette page n’a pas encore été corrigée

ordinaire, on voit l’invisible avant le visible, lorsqu’avant tout salaire, on endure les fatigues ; on commence par supporter tout ce qui est incommode et fâcheux, et ce n’est qu’ensuite qu’on attend les biens qu’on a mérités ; c’est l’espoir fondé sur l’invisible qui fait qu’on s’applique à ce qu’on voit ; lorsqu’il en est ainsi, quelle absurdité, en ce qui touche Dieu, de douter, d’hésiter, de réclamer, avant les fatigues, les récompenses, et de se montrer moins généreux que les laboureurs, que les marins ?
Car ce n’est pas seulement par notre répugnance à nous confier dans l’avenir, que nous montrons moins de, sagesse qu’eux, il y a encore une autre raison, aussi considérable, qui les rend supérieurs à nous. Quelle est-elle ? C’est que, quoiqu’ils n’aient pas absolument la certitude de voir leurs espérances satisfaites, ils n’en continuent pas moins à supporter les fatigues : mais toi, tu as pour t’assurer de tes couronnes, le plus sûr garant, et même avec cette caution, tu montres moins de constance. Car souvent le laboureur, les semailles faites, après avoir donné ses soins à la terre, et vu croître et mûrir une riche moisson, voit la grêle, ou la nielle, ou les sauterelles, ou d’autres fléaux quelconques lui arracher la récompense de ses labeurs, et, après tant de sueurs, il retourne chez lui les mains vides. Et le marchand à son tour, après avoir franchi les vastes mers, amenant avec lui un vaisseau bien rempli, souvent, à l’entrée même du port, le voilà saisi par les vents qui le brisent contre un écueil, c’est à peine s’il a pu se sauver tout nu. Et généralement pour toutes les affaires de la vie, souvent il arrive des catastrophes qui font perdre le résultat qu’on attendait. Mais, pour les combats qui te sont proposés, il n’en est pas de même ; nécessité absolue que celui qui a combattu, que celui qui a semé la piété, qui a supporté beaucoup de fatigues, obtienne son résultat. Car ni la mobilité irrégulière de l’atmosphère, ni les vents impétueux ne peuvent nous enlever les récompenses de ces fatigues ; Dieu ne l’a pas permis ; nos récompenses sont en réserve dans les trésors du ciel, à l’abri de toute déprédation. De là encore ce que Paul disait : L’affliction produit la patience, la patience l’épreuve, et l’épreuve l’espérance ; cette espérance n’est point trompeuse. (Rom. 5,4-5) Ne dites donc point que les choses à venir sont invisibles : car si vous voulez les examiner avec attention, elles sont beaucoup plus visibles que ce que vous touchez de vos mains. C’est encore ce que nous montre Paul, quand il fait entendre ces mots : Les choses éternelles, qu’il oppose à celles qui n’ont qu’un temps: ce caractère qu’elles n’ont qu’un temps montre qu’elles sont périssables. Car avant de paraître, elles s’enfuient, elles s’envolent avant de s’être fixées, les vicissitudes en sont rapides, la possession mal assurée. Ce qui s’applique à la fortune, à la gloire, à la puissance, à la beauté du corps, à la force, en un mot, évidemment à toutes les choses de la vie. C’est pourquoi le prophète raillant, et ceux qui vivent dans les délices, et ceux que possède la fureur de s’enrichir, et tous les autres dérèglements de la folle pensée : Ils ont regardé, dit-il, comme stable, ce qui n’est que fugitif. (Amo. 6,5) Car, de même qu’on ne peut pas se saisir d’une ombre, ainsi des choses de la vie terrestre ; les unes s’évanouissent au moment de la fin, les autres, même avant la fin, avec plus de rapidité que n’importe quel torrent. Pour les choses à venir, il n’en est pas de même ; elles ne connaissent ni changement, ni vicissitudes, ni vieillesse, ni altération quelconque ; ce sont des fleurs toujours vivantes d’une persistante beauté. De sorte que, s’il faut dire qu’il y a des choses invisibles, obscures, incertaines, il faut entendre par là les choses présentes, celles dont la possession n’est pas durable, qui changent de maîtres, qui, chaque jour, passent de l’un à l’autre, et, par un nouveau bond, retournent de celui-ci à celui-là. Après avoir montré, après nous avoir dit que les choses présentes n’ont qu’un temps, que les choses à venir sont éternelles, Paul commence à parler de la résurrection, en ces mots : Car nous savons que si cette maison de terre, cette habitation, cette tente vient à être défaite, Dieu nous donne une maison, qu’aucune main d’homme n’a faite, éternelle demeure dans les cieux. (2Cor. 5,1)
6. Voyez encore, en cet endroit, la propriété des expressions dont il s’est servi, montrant par la seule puissance des mots la puissance des pensées. Car ce n’est pas sans intention qu’il appelle notre corps une tente, il veut faire voir que la vie présente n’a qu’un temps, il veut faire concevoir le changement qui s’opère en mieux. Il nous dit presque : Pourquoi tes gémissements, tes larmes, mon bien-aimé, parce qu’on te frappe, parce qu’on te chasse, parce