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grand que la méchanceté, le vice et la fourberie. Considérez le corps des bilieux : voyez comme il est laid, comme toute fraîcheur y est flétrie ; comme il est faible, grêle, inhabile à toutes choses. Il en est de même des âmes bilieuses. La jaunisse de l’âme, c’est proprement la méchanceté. Non, non, la méchanceté n’a pas de force. Voulez-vous que je vous rende la chose sensible par de nouveaux exemples, celui d’un fourbe et celui d’un homme simple et sans artifice ?

Absalon était un fourbe ; il gagnait tout le monde à son parti. Voyez jusqu’où était portée son astuce. Il allait disant : Est-ce que vous avez un juge ? afin de se concilier chacun… David, au contraire, était sans artifice. Eh bien ! voyez comment ils finirent tous deux ; considérez le prodigieux délire d’Absalon. Uniquement préoccupé de faire du mal à son père, dans tout le reste il était aveugle. Mais il n’en était pas ainsi de David. Car « Celui qui marche avec simplicité marche avec confiance ». (Pro. 10,9) Entendez : celui qui ne prend point de peine superflue, qui ne machine aucune entreprise criminelle. Croyons-en donc saint Paul, ayons pitié des hommes qui ont du fiel, pleurons sur leur sort, et faisons tous nos efforts pour extirper la méchanceté de leur âme. Quand nous avons de la bile (cette humeur est d’ailleurs utile en soi, et indispensable à la vie de l’homme ; j’entends la bile naturelle), quand nous avons, dis-je, un excès de bile, nous faisons tous nos efforts pour l’évacuer, malgré les services que nous rend cette humeur : dès lors n’est-il pas absurde de ne prendre aucune peine pour évacuer la bile qui est dans notre âme, bile qui n’est pas seulement inutile, mais pernicieuse ? « Que celui qui veut être sage parmi vous, devienne fou, afin de devenir sage ». (1Cor. 3,18) Écoutez maintenant les paroles de saint Luc : « Ils prenaient leur nourriture en allégresse et simplicité de cœur, louant Dieu, et ils trouvaient grâce aux yeux de tout le peuple ». (Act. 2, 43.47) Encore aujourd’hui, ne voyons-nous pas les hommes simples et droits universellement honorés ? Personne ne leur porte envie, quand ils prospèrent, personne n’insulte à leurs infortunes : tous s’associent à leurs joies, à leurs peines. Au contraire, qu’un méchant vienne à prospérer, on dirait qu’il vient d’arriver un malheur, tout le monde gémit qu’il éprouve un contre-temps, c’est fête pour tout le monde.

Plaignons donc ces hommes : ils trouvent tous et partout les mêmes ennemis autour d’eux. Jacob était sans malice : néanmoins il triompha de l’astucieux Esaü. « La sagesse n’entrera pas dans une âme artificieuse ». (Sag. 1, 4) – « Que toute amertume soit bannie du milieu de vous » : qu’il n’en subsiste aucun vestige. Car il suffirait de remuer ce reste, cette étincelle, pour mettre en feu toute votre âme. Sachons donc nous représenter ce qu’est au juste l’amertume : figurons-nous un homme hypocrite, astucieux, toujours prêt au mal, soupçonneux. En voilà assez pour causer des colères et des ressentiments sans fin. Car il est impossible qu’une pareille âme demeure en repos : l’amertume est un principe de courroux et de fureur. Un tel homme est emporté, toujours renfermé en lui-même, sombre, et ne connaît pas le repos. Comme je le disais, ces gens sont les premiers à récolter le fruit de leur malignité. « Toute clameur ». Qu’est-ce à dire ? Est-ce qu’il nous est défendu même de crier ? Oui, la douceur doit se l’interdire. La clameur porte la colère, comme un cheval son écuyer : arrêtez le cheval, et vous avez raison du cavalier… Je dis cela surtout pour les femmes, toujours prêtes à pousser des cris et des clameurs. Le cri n’est utile que pour proclamer, pour enseigner : partout ailleurs il est déplacé, même dans la prière. Voulez-vous une preuve d’expérience ? Ne criez jamais, et jamais vous ne vous emporterez : voilà un moyen pour vous corriger de la colère. S’il est impossible qu’on s’irrite, quand on ne crie pas, il est impossible aussi de ne pas s’irriter, quand on crie. Ne venez donc point me parler de tempéraments indomptables, rancuniers, tout fiel et tout bile : nous vous enseignons maintenant à en finir d’un coup avec cette passion.

3. Il n’est donc pas médiocrement important pour l’éducation de l’âme de s’abstenir de tout cri, de toute clameur. En vous interdisant les cris, vous coupez les ailes à la colère, vous réprimez l’enflure de votre cœur. Car autant il est impossible de lutter sans élever les mains, autant il est impossible d’être pris dans le filet, quand on ne crie pas. Liez les mains d’un athlète, et ordonnez-lui de disputer le prix du ceste : il ne pourra le faire. Il en est de même pour le courroux. Le cri a jusqu’au