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LE DÉDOUBLEMENT DES CANAUX.

se montrent doubles. Les deux nouveaux canaux, toujours parallèles entre eux comme des rails de chemin de fer, offrent des écartements et des largeurs variables, et il arrive que l’un des deux n’occupe pas exactement l’emplacement du canal antérieur au dédoublement,

Ce fait est si extraordinaire, si incompréhensible, que la première idée qui se présente à notre jugement est qu’il n’est pas réel, qu’il doit y avoir là quelque illusion d’optique. Comment admettre, en effet, qu’un canal de plusieurs centaines et même de plusieurs milliers de kilomètres de longueur s’efface pour produire à sa place deux canaux plus ou moins analogues éloignés à des centaines de kilomètres l’un de l’autre ? que la Seine cesse de couler à Paris, pour être remplacée par deux cours d’eau coulant aussi de l’est à l’ouest, l’un passant par Nancy, Reims et Amiens, l’autre par Mâcon, Tours et Saint-Malo ?

En admettant que les canaux existent, c’est-à-dire que la surface de Mars soit vraiment recouverte d’un réseau de lignes fines (quelle que soit, d’ailleurs, la nature de ces lignes), on est porté à penser que leur dédoublement est une apparence et non une réalité.

J’ai proposé d’admettre[1] que ces dédoublements, ces géminations pouvaient être des effets causés par l’atmosphère de Mars, comme il arrive chez nous pour les parhélies et les parasélènes, images secondaires du Soleil et de la Lune produites par de la vapeur d’eau cristallisée en petits prismes de neige dans les hauteurs de l’atmosphère. Il peut se faire que dans l’atmosphère de Mars certains gaz, certaines vapeurs, certains états de l’air produisent une double réfraction rappelant, par exemple, celle du spath d’Islande.

Les canaux ne se dédoublent pas tous dans la même région : quelques-uns restent simples, tandis que leurs voisins se dédoublent. Les effets observés peuvent dépendre de la température des régions aériennes. Ces géminations, d’autre part, se manifestent en certaines saisons et non en d’autres. Les nouveaux canaux sont parfois très larges, parfois très étroits. Toutes ces variations peuvent avoir pour cause l’état de l’atmosphère.

Il y aurait une autre cause encore plus simple, c’est que les observateurs seraient tout simplement dupes d’une illusion d’optique due à une mise au point défectueuse, ce défaut de mise au point faisant réellement paraître doubles des lignes simples observées soit à l’œil nu, soit à l’aide d’instruments. Nous allons passer en revue cette explication, en en suivant autant que possible l’ordre chronologique.

Au mois de juin 1891, mon savant ami Adolphe de Boë, astronome à

  1. Tome I, p. 488 et 588.