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LA PLANÈTE MARS.

tiennes les unes avec les autres paraissent intentionnels. Est-ce de l’eau qui coule là ? Oui, sans doute, en principe ; mais il peut s’y associer une autre forme de l’eau, dont nous parlions tout à l’heure, des brumes allongées au-dessus de ces tracés, qui les élargissent à nos yeux et leur font subir des changements apparents considérables.

Peut-être aussi des phénomènes de végétation s’ajoutent-ils à cette circulation des eaux.

Quant aux dédoublements, il est difficile d’admettre que réellement de nouveaux canaux se forment du jour au lendemain, semblables et parallèles aux premiers : nous préférons imaginer qu’ils puissent être dus soit aux brumes dont nous avons parlé, soit plutôt à une double réfraction dans l’atmosphère martienne. Étant données les conditions de température (la chaleur solaire traversant facilement l’atmosphère martienne pour échauffer le sol), l’évaporation doit être très intense, et il doit y avoir constamment, au-dessus de ces cours d’eau, une grande quantité de vapeur rapidement refroidie, qui peut donner naissance à des phénomènes de réfraction spéciaux. (Voy. aussi L’Astronomie, 1889, p. 461, article de M. Meisel). Il nous paraît rationnel de ne pas oublier les effets de la réfraction, surtout à cause de cette particularité que parfois toute trace d’un canal disparaît pour faire place à deux nouvelles lignes seulement voisines.

M. A. de Boë a attribué ces dédoublements à des images secondaires qui se formeraient dans l’œil de l’observateur, comme il arrive, en effet, en regardant une ligne droite tracée à l’encre sur un carton blanc placé en deçà ou au delà de la vision précise. Mais peut-on admettre que les observateurs des canaux ne les voient que lorsque l’image n’est pas au point ?

Quoi qu’il en soit des explications, qui sont assurément prématurées et que nous ne présentons qu’à titre de premières hypothèses, les variations considérables observées en ce réseau aquatique sont pour nous un témoignage que cette planète est le siège d’une énergique vitalité. Ces mouvements divers nous paraissent s’effectuer en silence, à cause de l’éloignement qui nous en sépare ; mais, tandis que nous observons tranquillement ces continents et ces mers, lentement emportés devant notre regard par la rotation de la planète autour de son axe, tandis que nous nous demandons sur lequel de ces rivages il serait le plus agréable de vivre, peut-être y a-t-il là, en ce moment même, des orages, des volcans, des tempêtes, des tumultes sociaux et tous les combats de la lutte pour la vie. De même, les astronomes de Vénus, armés d’instruments d’optique analogues aux nôtres, contemplant la Terre et la voyant planer dans une calme tranquillité au milieu d’un ciel pur, ne se doutent pas assurément que sur ces campagnes dorées par le soleil et sur ces mers azurées qui se découpent en golfes si délicats, l’intérêt, l’am-