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yeux fixés sur cet animal, le crapaud en s’enflant dirigea les siens sur ceux de l’observateur, dont insensiblement la vue se troubla, & qui tomba enfin en syncope. Qui est-ce qui n’a pas observé un chien-couchant & les effets de son œil sur la perdrix, dès qu’une fois les yeux du pauvre oiseau rencontrent ceux du chien, la perdrix s’arrête, paroît toute troublée, ne pense plus à sa conservation & se laisse prendre facilement. Je me souviens d’avoir lu qu’un chien en regardant fixément des écureuils qui étoient sur des arbres, les avoit arrêtés, stupéfiés, & fait tomber dans sa gueule.

Il est aisé d’observer que l’homme n’est pas à couvert de semblables impressions. Il y a peu de gens qui n’ayent quelquefois éprouvé les effets d’un œil colere, fier, imposant, dédaigneux, lascif, suppliant, &c. Ces sortes d’effets ne peuvent certainement venir que des différentes éjaculations de l’œil, & sont un degré de maléfice. Voilà tout ce qu’une mauvaise philosophie peut dire de moins pitoyable.

Les Démonographes entendent par maléfice une espece de magie par laquelle une personne par le moyen du démon, cause du mal à une autre. Outre la fascination dont nous venons de parler, ils en comptent plusieurs autres especes, comme les philtres, les ligatures, ceux qu’on donne dans un breuvage ou dans un mêts, ceux qui se font par l’haleine, &c. dont la plûpart peuvent être rapportées au poison ; de sorte que quand les juges séculiers connoissent de cette espece de crime & condamnent à quelque peine afflictive ceux qui en sont convaincus, le dispositif de la sentence porte toujours que c’est pour cause d’empoisonnement & de maléfice. Voyez Ligature, Philtre, &c.

MALE-GOUVERNE, s. f. (Hist. ecclés.) nom que l’on donne en certains monasteres, aux bâtimens qui sont accessibles aux personnes de dehors, & où la regle ne s’observe pas.

MALEMBA, (Géog.) royaume dans la basse-Éthiopie, au midi du royaume de Metamba. La Coanza, dont la source est inconnue, le coupe d’orient en occident. (D. J.)

MALEMUCK, s. m. (Hist. nat.) oiseau qui est commun sur les côtes de Spitzberg. Ils s’attroupent comme des moucherons, pour manger la graisse des baleines, qui nage à la surface des eaux ; ils en prennent avec tant d’excès qu’ils sont obligés de la rejetter, après quoi ils en prennent de nouveau. Lorsqu’une baleine a été frappée avec le harpon, ils sont fort avides de s’abreuver de son sang : en un mot, il n’est point d’animal plus vorace. Cet oiseau a comme deux becs, l’un au-dessus de l’autre. Il a trois ongles liés par une peau grise ; sa queue est large & ses aîles longues ; la couleur de ses plumes varie, mais en général il est gris & blanc sous le ventre. Il ne plonge point sous l’eau, mais il se soutient à sa surface ; l’odeur de ces animaux est d’une puanteur révoltante.

MALETTE a berger, (Botan.) bursa pastoris. Offic. Voyez Tabouret, Botan. (D. J.)

MALEUS Sinus, (Géog. anc.) le golfe de Malée qui étoit sans doute près du cap Malée. Florus en parle lib. III. cap. vj. (D. J.)

MAL FAÇON, s. f. (Art méchan.) se dit de tout defaut de matiere & de construction, causé par ignorance, négligence de travail, ou épargne. Par exemple, les jurés-experts sont obligés par leurs statuts & réglemens, de visiter les bâtimens que l’on construit, pour réformer les mal-façons & autres abus qui se commettent dans l’art de bâtir.

MAL-FAISANT, adj. (Gram. & Morale.) qui nuit, qui fait du mal. Si l’homme est libre ; c’est-à-dire, si l’ame a une activité qui lui soit propre, & en vertu de laquelle elle puisse se déterminer à faire

ou ne pas faire une action, quelles que soient ses habitudes ou celles du corps, ses idées, ses passions, le tempérament, l’âge, les préjugés, &c. il y a certainement des hommes vertueux & des hommes vicieux ; s’il n’y a point de liberté, il n’y a plus que des hommes bien faisans & des hommes mal-faisans ; mais les hommes n’en sont pas moins modéfiables en bien & en mal ; les bons exemples, les bons discours, les châtimens, les récompenses, le blâme, la louange, les lois ont toujours leur effet : l’homme mal-faisant est malheureusement né.

MAL-FAISANTE, (Insect.) Voyez Mille-piés.

MALHEUR, (Morale.) infortune, désastre, accident dommageable & fâcheux.

Les malheurs sont tout l’appanage de l’humanité. Il y en a pour tous les états de la vie ; personne ne peut s’y soustraire, ni se flater de s’en mettre à l’abri ; il est peut-être même plus sage de préparer son ame à l’adversité que de s’occuper à la prévenir. On voit des gens des plus estimables sur la liste de ces noms sacrés que l’envie a persécutés, que leur mérite a perdus, & qui ont laissé aux remords de leurs persécuteurs le soin de leur propre vengeance. Les malheurs développent souvent en nous des sentimens, des lumieres, des forces que nous ne connoissions pas, faute d’en avoir eu besoin. Ergotele chanté par Pindare, n’eût point triomphé sans l’injuste exil qui l’éloigna de sa patrie ; sa gloire se seroit flétrie dans la maison de son pere, comme une fleur sur sa tige. L’infortune fait sur les grandes ames ce que la rosée fait sur les fleurs, si je puis me servir de cette comparaison ; elle anime leurs parfums ; elle tire de leur sein les odeurs qui embaument l’air. Socrate se disoit l’accoucheur des pensées : je croi que le malheur l’est des vertus. Ce sage a été lui-même un bel exemple de l’injustice des hommes, à condamner celui qu’ils devoient le plus respecter. Après cela, qui peut répondre de sa destinée ? Il ne tiendroit quelquefois qu’à cinq ou six coquins de faire pendre le plus honnête homme, en attestant qu’il a fait un vol, auquel il n’a pu penser. Enfin nous n’avons à nous que notre courage, qui forcé de céder à des obstacles insurmontables, peut plier sans être vaincu. Cette pensée poétique de Sénéque est fort belle : « La vraie grandeur est d’avoir en même-tems la foiblesse de l’homme, & la force de Dieu ». Les Poëtes nous disent que lorsqu’Hercule fut détacher Prométhée (qui représente la nature humaine), il traversa l’Océan dans un vase de terre : c’est donner une vive idée du courage, qui dans la chair fragile surmonte les tempêtes de ce monde. (D. J.)

MALHEUREUX, MISÉRABLE. (Gramm.) On dit indifféremment une vie malheureuse, une vie misérable ; c’est un malheureux ; c’est un homme misérable. Mais il y a des endroits où l’un de ces deux mots est bon, & l’autre ne vaut rien. On est malheureux au jeu, on n’y est pas misérable ; mais on devient misérable, en perdant beaucoup au jeu. Misérable semble marquer un état fâcheux, soit que l’on y soit né, soit que l’on y soit tombé. Malheureux semble marquer un accident qui arrive tout-à-coup, & qui ruine une fortune naissante ou établie. On plaint proprement les malheureux ; on assiste les misérables. Voici deux vers de Racine qui expriment fort bien la différence de ces deux mots :

Haï, craint, envié, souvent plus misérable
Que tous les malheureux que mon pouvoir accable.


De plus, misérable a d’autres sens que malheureux n’a pas ; car on dit d’un méchant auteur & d’un méchant ouvrage : c’est un auteur misérable, cela est misérable. On dit encore à-peu-près dans le même sens : Vous me traitez comme un misérable ; c’est-à-dire, vous