L’Encyclopédie/1re édition/PHILTRE

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PHILTRE, s. m. (Hist. anc. & Divinat.) breuvage ou autre drogue pour donner de l’amour ; ce mot est grec, φίλτρον, & vient du verbe φιλεῖν, aimer.

On distingue les philtres en faux & en véritables ; & l’on tient pour faux ceux que donnent quelquefois les vieilles femmes ou les femmes débauchées ; ceux-là sont ridicules, magiques & contre nature, plus capables d’inspirer de la folie que de l’amour à ceux qui s’en servent : les symptômes en sont même dangereux.

Tous les démonographes conviennent qu’on emploie de ces sortes de philtres, & les mettent au nombre des maléfices. Il est certain que les anciens les connoissoient, & que dans la confection de ces poisons ils invoquoient les divinités infernales. Il entroit dans leur composition diverses herbes ou matieres, telles que le poisson appellé remore, certains os de grenouilles, la pierre astroïtès, & sur-tout l’hippomanès. Voyez Hippomanès. Delrio ajoûte qu’on s’y est aussi servi de sperme ou semence humaine, de sang menstruel, de rognures d’ongles, des métaux, des reptiles, des intestins de poissons & d’oiseaux, & qu’il y a eu des hommes assez impies pour mêler avec tout cela de l’eau benite, du saint-chrême, des reliques des saints, des fragmens d’ornemens d’église, &c. On a des exemples de personnes ainsi maléficiées & précipitées dans une rage d’amour ; mais l’auteur que nous venons de citer prétend qu’un philtre ne peut pas agir à moins qu’il n’y ait dans la personne à qui on l’a donné, un penchant & des dispositions à aimer la personne qui le lui a donné, & encore qu’un ferme refus de consentement de la part de la premiere empêche l’effet du philtre. Delrio, Disquisit. magic. lib. III. part. I. quæst. iij. sect. 1 & 2.

On entend par véritables philtres ceux qui peuvent concilier une inclination mutuelle entre une personne & une autre, par l’interposition de quelque moyen naturel & magnétique qui transplante, pour ainsi dire, l’affection. Mais on demande s’il est des philtres de cette nature ; & d’ordinaire on répond que non. Quelques-uns croient avoir des expériences contraires. On dit que si un homme met un morceau de pain sous son aisselle, pour l’imbiber de sa sueur & de la matiere de l’insensible transpiration, le chien qui en aura mangé ne le quittera jamais. On tient qu’Hartmannus ayant donné un philtre tiré des végétaux à un moineau, cet oiseau ne le quitta plus depuis, demeurant avec lui dans son cabinet, & volant pour le suivre quand il visitoit ses malades. Vanhelmont a écrit qu’ayant tenu une certaine herbe dans sa main durant quelque tems, & pris ensuite la patte d’un petit chien de la même main, cet animal le suivit partout & quitta son premier maître. Le même auteur ajoûte que les philtres demandent une consermentation de mumie, pour attirer l’amour à un certain objet, & rend par-là raison pourquoi l’attouchement d’une herbe échauffée transplante l’amour à un homme ou à une brute. C’est, dit-il, parce que la chaleur qui échauffe l’herbe n’étant pas seule, mais animée par les émanations des esprits naturels, détermine l’herbe vers soi & se l’identifie ; & ayant reçu ce ferment, elle attire magnétiquement l’esprit de l’autre objet, & le force d’aimer ou de prendre un mouvement amoureux ; delà il conclut qu’il y a des philtres déterminés. Les malades, après avoir mangé ou bu quelque chose, soupçonnent quelquefois certaines personnes de leur avoir donné quelque charme, & se plaignent principalement du desordre de l’estomac & de l’esprit. On dit encore que la passion amoureuse causée par un philtre revient périodiquement. Le docteur Langius témoigne qu’il a guéri un Jeune homme, qui ayant mangé à quatre heures après midi, la moitié d’un citron qu’il avoit reçu d’une femme, sentoit tous les jours à la même heure un amour empressé qui le faisoit courir de côté & d’autre, pour la chercher & la voir. Cela lui duroit une heure ; & comme il ne pouvoit satisfaire son envie, à cause de l’absence de cette femme, son mal augmenta & le jetta dans un état pitoyable. Les philtres causent de fréquentes manies & assez souvent la perte de la mémoire. Il peut y avoir des breuvages qui produisent cet effet ; mais il est difficile de croire qu’il y en ait qui inspirent de l’amour plûtôt pour une personne que pour une autre. Dictionn. des arts.