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MAITRISE, s. f. (Gram. & Hist.) terme de ceux qui sont parvenus à la qualité de maitres dans la fabrique d’étoffe. On appelle maitre, l’ouvrier qui, après avoir fait cinq années d’apprentissage & cinq années de compagnonage, & avoir fait son chef d’œuvre, s’est fait enregistrer au bureau de la communauté sur le livre tenu à cet effet.

Les fils de maitre ne sont point tenus à cet apprentissage ni au compagnonage ; ils sont enregistrés sur le livre de la communauté, dès qu’ils sont parvenus à l’âge de vingt-un ans, en faisant toujours un chef-d’œuvre pour prouver qu’ils savent travailler, & sont en état de diriger des métiers, soit en qualité de maitre, soit en qualité de marchand.

On appelle marchand, celui qui, après s’être fait enregistrer maitre de la maniere qu’il est prescrit ci-dessus, prend une lettre de marchand en la qualité de fabriquant, & a payé pour cet effet la somme de 300 livres, au moyen de quoi il peut donner de l’ouvrage à tout autant de maitres, qu’on appelle communément ouvriers, qu’il en peut employer ; les maitres au contraire ne peuvent point travailler pour leur compte, mais uniquement pour le compte des marchands en qualités.

MAITRISE DES EAUX ET FORÊTS, est un certain département ou jurisdiction pour les eaux & forêts.

Les grandes maîtrises sont les départemens des grands maîtres ; les maîtrises particulieres sont le territoire de chaque maître particulier.

On dit communément que les maîtrises sont bailliageres, c’est-à-dire que ce ne sont point des justices personnelles, mais territoriales, & que l’une ne peut empiéter sur le territoire de l’autre, non plus que les bailliages.

Les officiers des maîtrises ont succédé dans cette fonction aux baillifs & sénéchaux.

Les anciennes ordonnances défendoient de vendre ces places, mais par édit du mois de Février 1544, elles ont été érigées en titre d’office & rendues vénales.

Le nombre des officiers des maîtrises ayant été trop multiplié, il fut réduit par édit du mois d’Avril 1667 pour chaque maîtrise, à un maître particulier, un lieutenant, un procureur du roi, un garde-marteau, un greffier, un arpenteur, & un certain nombre de sergens à garde.

Il y a eu en divers tems beaucoup d’autres officiers créés pour les maîtrises, comme des maîtres lieutenans alternatifs & triennaux, des conseillers rapporteurs des défauts, des commissaires enquêteurs, examinateurs, des gardes-scels, des inspecteurs des eaux & forêts, des avocats du roi, &c. mais tous ces offices ont depuis été supprimés ou réunis, soit au corps de chaque maîtrise, ou singulierement à quelqu’un des offices qui sont subsistans.

Les officiers des maîtrises sont reçus en la table de marbre, où ressortit l’appel des jugemens de la maîtrise dont ils font corps. Voyez le titre second de l’ordonnance des eaux & forêts, & les deux articles précédens, Maitre des eaux et forêts, Maitre particulier, & le mot Eaux et Forêts, & tous les mots indiqués à la fin de cet article. (A)

MAITRISES, (Arts, Commerce, Politique.) Les maitrises & acceptions sont censées établies pour constater la capacité requise dans ceux qui exercent le négoce & les arts, & encore plus pour entretenir parmi eux l’émulation, l’ordre & l’équité ; mais au vrai, ce ne sont que des rafinemens de monopole vraiment nuisibles à l’intérêt national, & qui n’ont du reste aucun rapport nécessaire avec les sages dispositions qui doivent diriger le commerce d’un grand peuple. Nous montrerons même que rien ne contribue davantage à fomenter l’ignorance, la mauvaise

foi, la paresse dans les différentes professions.

Les Egyptiens, les Grecs, les Romains, les Gaulois, conservoient beaucoup d’ordre dans toutes les parties de leur gouvernement ; cependant on ne voit pas qu’ils ayent adopté comme nous les maitrises, ou la profession exclusive des arts & du commerce. Il étoit permis chez eux à tous les citoyens d’exercer un art ou négoce ; & à peine dans toute l’histoire ancienne trouve-t-on quelque trace de ces droits privatifs qui font aujourd’hui le principal réglement des corps & communautés mercantilles.

Il est encore de nos jours bien des peuples qui n’assujettissent point les ouvriers & les négocians aux maitrises & réceptions. Car sans parler des orientaux, chez qui elles sont inconnues, on assure qu’il n’y en a presque point en Angleterre, en Hollande, en Portugal, en Espagne. Il n’y en a point du tout dans nos colonies, non plus que dans quelques-unes de nos villes modernes, telles que Lorient, S. Germain, Versailles & autres. Nous avons même des lieux privilégiés à Paris où bien des gens travaillent & trafiquent sans qualité légale, le tout à la satisfaction du public. D’ailleurs combien de professions qui sont encore tout-à-fait libres, & que l’on voit subsister néanmoins à l’avantage de tous les sujets ? D’où je conclus que les maitrises ne sont point nécessaires, puisqu’on s’en est passé long-tems, & qu’on s’en passe tous les jours sans inconvénient.

Personne n’ignore que les maitrises n’ayent bien dégénéré de leur premiere institution. Elles consistoient plus dans les commencemens à maintenir le bon ordre parmi les ouvriers & les marchands, qu’à leur tirer des sommes considérables ; mais depuis qu’on les a tournées en tribut, ce n’est plus, comme dit Furetiere, que cabale, ivrognerie & monopole, les plus riches ou les plus forts viennent communément à bout d’exclure les plus foibles, & d’attirer ainsi tout à eux ; abus constans que l’on ne pourra jamais déraciner qu’en introduisant la concurrence & la libeté dans chaque profession : Has perniciosas pestes ejicite, refrenate coemptiones istas divitum, ac velut monopolii exercendi licentiam. Lib. I. Eutopiæ Mori.

Je crois pouvoir ajouter là-dessus ce que Colbert disoit à Louis XIV. « La rigueur qu’on tient dans la plûpart des grandes villes de votre royaume pour recevoir un marchand, est un abus que votre majesté a intérêt de corriger ; car il empêche que beaucoup de gens ne se jettent dans le commerce, où ils réussiroient mieux bien souvent que ceux qui y sont. Quelle nécessité y a-t-il qu’un homme fasse apprentissage ? cela ne sauroit être bon tout au plus que pour les ouvriers, afin qu’ils n’entreprennent pas un métier qu’ils ne savent point ; mais les autres, pourquoi leur faire perdre le tems ? Pourquoi empêcher que des gens qui en ont quelquefois plus appris dans les pays étrangers qu’il n’en faut pour s’établir, ne le fassent pas, parce qu’il leur manque un brevet d’apprentissage ? Est-il juste, s’ils ont l’industrie de gagner leur vie, qu’on les en empêche sous le nom de votre majesté, elle qui est le pere commun de ses sujets, & qui est obligée de les prendre en sa protection ? Je crois donc que quand elle feroit une ordonnance par laquelle elle supprimeroit tous les réglemens faits jusqu’ici à cet égard, elle n’en feroit pas plus mal ». Testam. polit. ch. xv.

Personne ne se plaint des foires franches établies en plusieurs endroits du royaume, & qui sont en quelque sorte des dérogeances aux maîtrises. On ne se plaint pas non plus à Paris de ce qu’il est permis d’y apporter des vivres deux fois la semaine. Enfin ce n’est pas aux maîtrises ni aux droits privatifs qu’on a dû tant d’heureux génies qui ont excellé parmi nous en tous genres de littérature & de science.