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La connoissance de toutes les autres Sciences & de tous les Arts & Métiers, du Commerce & de la Navigation, entrent pareillement dans la Jurisprudence, n’y ayant aucune profession qui ne soit assujettie à une certaine police qui dépend des regles de la justice & de l’équité.

Tout ce qui regarde l’état des personnes, les biens, les contrats, les obligations, les actions & les jugemens, est aussi du ressort de la Jurisprudence.

Les regles qui forment le fond de la Jurisprudence, se puisent dans trois sources différentes, le droit naturel, le droit des gens & le droit civil.

La Jurisprudence tirée du droit naturel, qui est la plus ancienne, est fixe & invariable ; elle est uniforme chez toutes les nations.

Le droit des gens forme aussi une Jurisprudence commune à tous les peuples, mais elle n’a pas toûjours été la même, & est sujette à quelques changemens.

La partie la plus étendue de la Jurisprudence, est sans contredit le droit civil ; en effet, elle embrasse le droit particulier de chaque peuple, tant public que privé, les lois générales de chaque nation, telles que les ordonnances, édits & déclarations, & les lois particulieres, comme sont quelques édits & déclarations, les coutumes des provinces, & autres coutumes locales, les privileges & statuts particuliers, les réglemens faits dans chaque tribunal, & les usages non écrits, enfin tout ce que les commentateurs ont écrit pour interpréter les lois & les coutumes.

Encore si les lois de chaque pays étoient fixes & immuables, la Jurisprudence ne seroit pas si immense qu’elle est ; mais il n’y a presque point de nation, point de province dont les lois & les coutumes n’ayent éprouvé plusieurs variations ; & ce qui est encore plus pénible à supporter, c’est l’incertitude de la Jurisprudence sur la plûpart des questions, soit par la contradiction apparente ou effective des lois, soit par la diversité d’opinions des auteurs, ou par la diversité qui se trouve entre les jugemens des différens tribunaux, & souvent entre les jugemens d’un même tribunal.

L’ingénieux auteur de l’Esprit des Lois, dit à ce propos qu’à mesure que les jugemens se multiplient dans les monarchies, la Jurisprudence se charge de divisions, qui quelquefois se contredisent, ou parce que les juges qui se succedent pensent différemment, ou parce que les mêmes affaires sont tantôt bien, tantôt mal défendues, ou enfin par une infinité d’abus qui se glissent dans tout ce qui passe par la main des hommes. C’est, ajoûte-t-il, un mal nécessaire que le législateur corrige de tems en tems comme contraire même à l’esprit des gouvernemens modérés.

On conçoit par-là combien il est difficile, pour ne pas dire impossible, d’acquérir une connoissance parfaite de la Jurisprudence ; c’est pourquoi je croirois que dans la définition qu’on en donne, on devroit ajoûter in quantum homini possibile est, comme Cassiodore le disoit de la Philosophie, laquelle n’étant autre chose qu’une étude de la sagesse, & supposant aussi une profonde connoissance de toutes les choses divines & humaines, conséquemment a beaucoup de rapport avec la Jurisprudence.

Les difficultés que nous venons de faire envisager ne doivent cependant pas rebuter ceux qui se consacrent à l’étude de la Jurisprudence. L’esprit humain a ses bornes : un seul homme ne peut donc embrasser toutes les parties d’une science aussi vaste ; il vaut mieux en bien approfondir une partie, que de les effleurer toutes. Il n’y en a guère qui ne soit seule capable d’occuper un jurisconsulte.

L’un fait une étude du droit naturel & du droit public des gens.

D’autres s’appliquent au droit particulier de leur pays, & ceux-ci trouvent encore abondamment de

quoi se partager ; l’un s’attache aux lois générales & au droit commun, telles que les lois romaines ; un autre fait son étude du droit coutumier ; quelques-uns même s’attachent seulement à la coutume de leur province, d’autres à certaines matieres, telles que les matieres canoniques ou les matieres criminelles, les matieres féodales, & autres semblables.

Ces divers objets qu’embrasse la Jurisprudence, ont aussi donné lieu d’établir des tribunaux particuliers pour connoître chacun de certaines matieres, afin que les juges dont ces tribunaux sont composés, étant toujours occupés des mêmes objets, soient plus versés dans les principes qui y ont rapport.

Quoique le dernier état de la Jurisprudence soit ordinairement ce qui sert de regle, il est bon néanmoins de connoître l’ancienne Jurisprudence & les changemens qu’elle a éprouvés ; car pour bien pénétrer l’esprit d’un usage, il faut en connoître l’origine & les progrès ; il arrive même quelquefois que l’on revient à l’ancienne Jurisprudence, à cause des inconvéniens que l’on a reconnus dans la nouvelle.

L’étude de la Jurisprudence a toujours été en honneur chez toutes les nations policées, comme étant une science étroitement liée avec le gouvernement politique.

Chez les Romains, ceux qui se consacroient à la Jurisprudence étoient gratifiés de pensions considérables. Ils furent même honorés par les empereurs du titre de comtes de l’empire. Les souverains pontifes, les consuls, les dictateurs, les généraux d’armées, les empereurs mêmes se firent honneur de cultiver cette science, comme on le peut voir dans l’histoire de la Jurisprudence romaine que nous a donnée M. Terrasson ; ouvrage rempli d’érudition, & également curieux & utile.

La Jurisprudence n’est pas moins en recommandation parmi nous, puisque nos rois ont honoré de la pourpre tous ceux qui se sont consacrés à la Jurisprudence, tels que les magistrats & les avocats, & ceux qui professent publiquement cette science dans les universités ; & avant la vénalité des charges, les premieres places de la magistrature étoient la récompense des plus savans jurisconsultes. Voyez Droit, Jurisconsulte, Justice, Loi. (A)

Jurisprudence des arrêts est un usage formé par une suite d’arrêts uniformes intervenus sur une même question. Dans les matieres sur lesquelles il n’y a point de loi précise, on a recours à la Jurisprudence des arrêts ; & il n’y auroit point de meilleur guide si l’on étoit toujours bien instruit des véritables circonstances dans lesquelles les arrêts sont intervenus, & des motifs qui ont déterminé les juges : mais les arrêts sont les plus souvent rapportés peu exactement par les arrêtistes, & mal appliqués par ceux qui les citent. On ne doit donc pas toûjours accuser de variation la Jurisprudence. (A)

Jurisprudence bénéficiale est l’usage que l’on suit dans la décision des questions qui se présentent au sujet des bénéfices ecclésiastiques. (A)

Jurisprudence canonique ; on entend par ce terme les regles contenues dans les canons & autres lois ecclésiastiques. Voyez Canons, Droit canonique. (A)

Jurisprudence civile ; c’est la maniere dont on juge les affaires civiles & les principes que l’on suit pour leur décision. (A)

Jurisprudence consulaire ; c’est le style & l’usage des jurisdictions consulaires pour les affaires de commerce. (A)

Jurisprudence criminelle ; c’est le style & la regle que l’on suit pour l’instruction & le jugement des affaires criminelles.. (A)

Jurisprudence féodale, c’est l’usage que l’on suit dans la décision des questions concernant les fiefs. (A)