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presqu’absolument relégués à l’usage pharmaceutique extérieur, mais qui ne different réellement, comme aliment, des légumes usuels que par le moindre agrément, ou si l’on veut le désagrément du goût, qui n’a pas empêché cependant que les paysans ne les aient mangés en tems de disette. Galien dit même que le lupin étoit une nourriture fort ordinaire des anciens Grecs ; mais toutes ces observations particulieres font la matiere des articles particuliers, voyez ces articles.

Les semences légumineuses sont du genre des substances farineuses, voyez Farine & Farineux ; & la composition particuliere qui les spécifie, paroît dépendre de l’exces extrème du principe terreux surabondant qui établit dans la classe des corps muqueux le genre des corps farineux.

Les legumes ont été regardés dans tous les tems par les Medecins comme fournissant une nourriture abondante, mais grossiere & venteuse. Les modernes leur ont reproché de plus la qualité incrassante, & même éminemment incrassante, voyez Incrassant & Nourrissant. La qualité venteuse est la plus réelle de ces qualités nuisibles ; mais en général c’est un inconvenient de peu de conséquence pour les gens vraiment sains, que celui de quelques flatuosités, quoique c’en soit un assez grave pour les mélancholiques, & les femmes attaquées de passion hystérique, pour que cette espece d’aliment doive leur être défendu. Quant à la crainte chimérique d’épaissir les humeurs, d’en entretenir ou d’en augmenter l’épaississement par leur usage, & de procurer ou soutenir par-là des arrêts, des hérences, des obstructions ; & à la loi constante qui défend les légumes d’après cette spéculation dans toutes les maladies chroniques où l’épaississement des humeurs est soupçonné ou rédouté, ce sont-là des lieux communs théoriques. Il ne faut dans l’usage des légumes, comme dans celui de plusieurs autres alimens, peut-être de tous les alimens vrais & purs, tels que sont des légumes, avoir égard qu’à la maniere dont ils affectent les premieres voies, c’est-à-dire à leur digestion. Tout légume bien digéré est un aliment sain : or plus d’un sujet à humeurs censées épaisses, plein d’obstructions, &c. digere très-bien les légumes, donc ce sujet peut manger des légumes ; & quand même il seroit démontré, comme il est très-vraissemblable, que l’usage des légumes seroit incrassant & empâtant, comme celui des farines céréales, & qu’on connoîtroit des peuples entiers vivant de pois ou de feves (le peuple des forçats n’est nourri sur nos galeres qu’avec des feves, & il est gras, charnu, fort), comme on en connoît qui vivent de farines de maïs, & que les premiers fussent comme les derniers gras, lourds, &c. l’induction de cet effet incrassant à l’effet obstruant n’est rien moins que démontré, sur-tout y ayant ici la très-grave différence d’un usage journalier, constant, à un usage passager, alterné par celui de tous les autres alimens accoutumés, &c.

Les légumes, du moins quelques-uns, les haricots, les feves & les pois se mangent verts, ou bien mûrs & secs. Dans le premier état on les mange encore ou cruds ou cuits ; les légumes verds cruds sont en général une assez mauvaise chose ; mauvaise, dis-je, pour les estomacs malades, cela s’entend toujours, c’est pour les estomacs à qui les crudités ne conviennent point, une mauvaise espece de crudité. Les légumes verts cuits différent peu des légumes respectifs mangés secs & cuits ; ils sont même communément plus faciles à digérer. Les auteurs de diete disent qu’ils nourrissent moins ; mais qu’est-ce qu’un aliment plus ou moins nourrissant pour des hommes qui font leur repas d’un grand nombre d’alimens différens, & qui mangent toujours au-delà de leur besoin réel ? voyez Nourrissant. C’est aux légumes secs & mûrs

que convient tout ce que nous avons dit jusqu’ici.

Les légumes se mangent, comme tout le monde sait, soit sous forme de potage, soit avec les viandes, entiers ou en purée : cette derniere préparation est utile en général. Les peaux qu’on rejette par-là sont au-moins inutiles, & peuvent même peser à certains estomacs. C’est à cette partie des légumes que les anciens medecins ont principalement attribué les qualités nuisibles qu’ils leur reprochoient, savoir d’être venteux, tormineux, resserrant, &c. D’ailleurs la discontinuité des parties du légume réduit en purée doit en rendre la digestion plus facile. Il a été dès long-tems observé que des légumes mangés entiers, & sur-tout les lentilles, étoient, quoique convenablement ramollis par la cuite, rendus tout entiers avec les gros excrémens.

On regarde assez généralement, comme une observation constante, comme un fait incontestable, que les légumes ne cuisent bien que dans les eaux communes les plus pures, les plus legeres ; & que les eaux appellées dures, crûes, pesantes, voyez Eau douce sous l’article Eau, Chimie, les durcissent, ou du-moins ne les ramollissent point, même par la plus longue cuite ou décoction. La propriété de bien cuire les légumes est même comptée parmi celles qui caractérisent les meilleures eaux : la raison de ce phenomene n’est point connue, il me semble qu’on n’en a pas même soupçonné une explication raisonnable ; mais peut-être aussi ce fait prétendu incontestable n’est-il au contraire qu’une croyance populaire.

Des quatre farines résolutives, trois sont tirées de semences légumineuses, savoir de la feve, du lupin & de l’orobe. Voyez Farines résolutives & Résolutif. (b)

LÉGUMIER ou POTAGER, s. m. (Jardinage.) est un jardin destiné uniquement à élever des plantes potageres ou légumes. Voyez Potager.

LÉGUMINEUSE, Plante, (Nomencl. Bot.) les plantes légumineuses sont celles dont le fruit, qui s’appelle gousse ou silique, est occupé par des semences. Voyez Silique. (D. J.)

LÉIBNITZIANISME ou PHILOSOPHIE DE LÉIBNITZ, (Hist. de la Philosoph.) Les modernes ont quelques hommes, tels que Bayle, Descartes, Léibnitz & Newton, qu’ils peuvent opposer, & peut-être avec avantage, aux génies les plus étonnans de l’antiquité. S’il existoit au-dessus de nos têtes une espece d’êtres qui observât nos travaux, comme nous observons ceux des êtres qui rampent à nos piés, avec quelle surprise n’auroit-elle pas vu ces quatre merveilleux insectes ? combien de pages n’auroient-ils pas rempli dans leurs éphémérides naturelles ? Mais l’existence d’esprits intermédiaires entre l’homme & Dieu n’est pas assez constatée pour que nous n’osions pas supposer que l’immensité de l’intervalle est vuide, & que dans la grande chaîne, après le Créateur universel, c’est l’homme qui se présente ; & à la tête de l’espece humaine ou Socrate, ou Titus, ou Marc-Aurele, ou Pascal, ou Trajan, ou Confucius, ou Bayle, ou Descartes, ou Newton, ou Léibnitz.

Ce dernier naquit à Léipsic en Saxe le 23 Juin 1646 ; il fut nommé Godefroi-Guillaume. Frédéric son pere étoit professeur en Morale, & greffier de l’université, & Catherine Schmuck, sa mere, troisieme femme de Frédéric, fille d’un docteur & professeur en Droit. Paul Léibnitz, son grand oncle, avoit servi en Hongrie, & mérité en 1600 des titres de noblesse de l’empereur Rodolphe II.

Il perdit son pere à l’âge de six ans, & le sort de son éducation retomba sur sa mere, femme de mérite. Il se montra également propre à tous les genres d’études, & s’y porta avec la même ardeur & le mê-