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ser. Cependant il ne paroît pas que la société serve beaucoup à augmenter leur industrie. Cela vient sans doute de ce que leurs besoins sont simples, de ce qu’ils sont trop foibles & trop mal armés pour que de leur union puisse résulter une meilleure défense, & de ce que le terrier les met promptement à couvert de tous les périls qu’ils peuvent éviter.

Quoique la sociabilité soit un caractere distinctif des lapins, quelques-uns d’entr’eux se mettent seuls au gîte pendant les beaux jours, & cela arrive surtout lorsqu’ils ont été inquiétés dans le terrier par le furet, la belette, &c. mais dans tous les cas ils passent la meilleure partie de la journée dans un état de demi sommeil. Le soir ils sortent pour aller au gagnage, & ils y emploient une partie de la nuit. Alors ils s’écartent quelquefois jusqu’à un demi-quart de lieue pour chercher la nourriture qui leur convient. Ils relevent aussi ordinairement une fois le jour, surtout lorsque le tems est serein, mais sans s’écarter beaucoup du terrier ou du bois qui leur sert de retraite. Pendant l’été, les nuits étant courtes, les lapins relevent souvent plus d’une fois par jour, surtout les lapereaux encore jeunes, les hazes pleines & celles qui alaitent.

S’il doit arriver un orage pendant la nuit, il est pressenti par les lapins ; ils l’annoncent par un empressement prématuré de sortir & de paître ; ils mangent alors avec une activité qui les rend distraits sur le danger, & on les approche très-aisément. Si quelque chose les oblige de rentrer au terrier, ils resortent presque aussi-tôt. Ce pressentiment a pour eux l’effet du besoin le plus vif.

Ordinairement les lapins ne se laissent pas si aisément approcher sur le bord du terrier ; ils ont l’inquiétude qui est une suite naturelle de la foiblesse. Cette inquiétude est toûjours accompagnée du soin de s’avertir réciproquement. Le premier qui apperçoit frappe la terre, & fait avec les piés de derriere un bruit dont les terriers retentissent au loin. Alors tout rentre précipitamment : les vieilles femelles restent les dernieres sur le bord du trou, & frappent du pié sans relâche jusqu’à ce que toute la famille soit rentrée.

Les lapins sont extrémement lascifs ; on dit aussi qu’ils sont constans, mais cela n’est pas vraissemblable : il est même certain qu’un mâle suffit à plusieurs femelles. Celles-ci sont presque toûjours en chaleur, & cette disposition subsiste quoiqu’elles soient pleines ; cependant elles paroissent être importunées par les mâles lorsqu’elles sont prêtes à mettre bas. La plûpart sortent alors du terrier & vont en creuser un nouveau au fond duquel elles déposent leurs petits. Ce terrier, qu’on nomme rabouillere, est fait en ziz-zag. Pendant les premiers jours la mere n’en sort que quand elle est pressée par l’extrême besoin de manger : elle en bouche même avec soin l’entrée. Au bout de quelques jours elle y laisse une petite ouverture qu’elle aggrandit par degrés, jusqu’à ce que les lapereaux soient en état de sortir eux-mêmes du trou ; ils ont alors à-peu-près trois semaines.

Dans l’espece du lapin les femelles portent depuis quatre jusqu’à sept & huit petits. Le tems de la gestation est de trente ou trente & un jours. A cinq mois ils sont en état d’engendrer. Il est très-commun de voir pleines à la fin de Juin des femelles de l’année : la multiplication de ces animaux seroit donc excessives s’ils n’étoient pas destinés à servir de nourriture à d’autres especes ; mais heureusement ils ont beaucoup d’ennemis. Le putois, le furet, l’hermine ou roselet, la belette, la fouine, vivent principalement de lapins : les loups & les renards leur font aussi la guerre ; mais ils sont moins dangereux que les autres qui les attaquent jusques dans le terrier. Lorsqu’on détruit avec soin les animaux carnassiers, il faut dé-

truire aussi les lapins qui sans cela ravagent les récoltes

pendant l’été, & font périr les bois pendant l’hiver. On chasse les lapins au fusil, avec le secours du furet & celui des filets. Voyez Garenne. Mais quand on a dessein de les détruire, ces moyens sont infideles. Ces animaux s’instruisent par expérience, un grand nombre évitent les filets, & ils se laissent tourmenter dans le terrier par les furets sans vouloir sortir. Il faut donc défoncer les terriers mêmes : c’est dans les pays exactement gardés le seul moyen de prévenir une multiplication dont l’excès est une imprudence à l’égard de soi, & un crime à l’égard des autres.

Lapin, (Diete & Mat. medic.) Le lapin sauvage ou libre qui se nourrit dans les terreins secs, élevés & fertiles en herbes aromatiques peu aqueuses, est un aliment très-délicat, très-succulent, & d’un goût très-relevé. Le lapin domestique, ou celui qui se nourrit dans les pays gras ou dans des terreins couverts d’herbes fades & grasses, comme les bords des ruisseaux, les prés arrosés, les potagers ou marais, &c. est au contraire d’un goût plat, fade & quelquefois même d’un fumet desagréable, sur-tout lorsqu’il a vécu de chou ; car l’odeur bonne ou mauvaise de certaines herbes qui se communique aisément à la chair de plusieurs animaux qui les broutent, exerce éminemment cette influence sur la chair du lapin : en sorte qu’il est tout ordinaire d’en trouver qui sentent le thim ou le chou, comme on dit communément à plein nez ou à pleine bouche.

Le bon lapin est mis par les experts en bonne chere au rang du gibier le plus exquis, même les meilleurs connoisseurs le mettent au premier rang dans les pays où le petit gibier est le plus parfait, comme en Provence & en Languedoc.

Quoique le goût du lapin soit bien différent de celui du lievre, cependant lorsqu’on considere ces deux alimens médicinalement, les observations & les regles diététiques leur sont à-peu-près communes, parce que l’estomac n’est pas pourvu d’un sentiment aussi exquis que le palais. Cependant comme on n’a pas observé dans le lapin la qualité laxative que possede le lievre, le premier me paroît en général plus salutaire que le second, plus propre à être donné aux valétudinaires & aux convalescens qui commencent à user de viande. Le lapin se digere bien & très-bien, plus généralement que le lievre. D’ailleurs il est plus communément bon, & même lorsqu’il est vieux ; & quoique le lapereau soit plus tendre que le vieux lapin, cependant on trouve de ces animaux excellens à tout âge.

Les Pharmacologistes ont presqu’oublié le lapin dans leurs excursions dans le regne animal, non pas absolument pourtant, ils ont vanté sa graisse, sa tête brûlée & même le charbon de son corps entier, & son cerveau ; mais cet éloge est fort modéré en comparaison de celui de plusieurs animaux, du lievre, par exemple. Voyez Lievre. (b)

Lapin, peaux de, (Pelleterie.) les peaux de lapin revêtues de leur poil, bien passées & bien préparées, servent à faire plusieurs sortes de fourrures, comme aumusses, manchons, doublures d’habit.

Quand les peaux de lapin sont d’un beau gris cendré, on les appelle quelquefois, mais improprement, petit-gris, parce qu’alors elles ressemblent par la couleur à de certaines fourrures de ce nom beaucoup plus précieuses faites de peaux de rats ou écureuils qu’on trouve dans les pays du Nord. Voyez Petitgris.

Le poil de lapin, après avoir été coupé de dessus la peau de l’animal, mêlé avec de la laine de vigogne, entre dans la composition des chapeaux appellés vigognes ou dauphins. Voyez l’art. Chapeau.

Le poil des lapins de Moscovie & d’Angleterre est