L’Encyclopédie/1re édition/LIEVRE

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LIEVRE, s. m. lepus, (Hist. nat. Zoolog.) animal quadrupede qui a la tête longue, étroite, arquée depuis le bout du museau jusqu’à l’origine des oreilles ; le museau gros, la levre supérieure fendue jusqu’aux narines ; les yeux grands, ovales, & placés sur les côtés de la tête ; le corps allongé ; la queue courte, & les jambes de derriere beaucoup plus longues que celles de devant, qui sont courtes & minces. Le pié de derriere, le métatarse & le tarse dénotent par leur grosseur, de même que les lombes, que l’on appelle le rable, la force que le lievre a pour la course, & la longueur des jambes de derriere, marque la facilité avec laquelle il s’élance en-avant. Il a quatre doigts dans les piés de derriere, & cinq dans ceux de devant. Le mâle a deux scrotum, un de chaque côté, mais ils ne paroissent que lorsqu’il est avancé en âge ; les autres parties extérieures de la génération sont aussi très peu apparentes. Au contraire le gland du clitoris de la femelle est presque aussi gros que celui de la verge du mâle ; l’orifice de son prépuce n’est guere plus éloigné de l’anus que la vulve ; ce n’est pourtant qu’à cette différence de longueur du periné, que l’on peut reconnoître le sexe de ces animaux à la premiere inspection : on s’y trompe souvent ; on a même cru que les lievres étoient hermaphrodites.

Le lievre a le poil fort touffu ; le dos, les lombes, le haut de la croupe & des côtés du corps, ont une couleur roussâtre avec des teintes blanchâtres & noirâtres ; le sommet de la tête est mêlé de fauve & de noir ; les yeux sont environnés d’une bande de couleur blanchâtre ou blanche, qui s’étend en-avant jusqu’à la moustache, & en-arriere jusqu’à l’oreille. Tout le reste du corps a différentes teintes de fauve & de roussâtre, de blanc, de noirâtre, &c. La plûpart des levrauts ont au sommet de la tête une petite marque blanche que l’on appelle l’étoile ; pour l’ordinaire elle disparoît à la premiere mue ; quelquefois elle reste même dans l’âge le plus avancé.

Les lievres multiplient beaucoup ; ils peuvent engendrer en tous tems, & dès la premiere année de leur vie ; les femelles ne portent que pendant trente ou trente-un jours ; elles produisent trois ou quatre petits. Ces animaux dorment ou se reposent au gîte pendant le jour ; ils ne se promenent, ne mangent, & ne s’accouplent que pendant la nuit ; ils se nourrissent de racines, de feuilles, de fruits, d’herbes laiteuses, d’écorces d’arbres, excepté celles de l’aune & du tilleul. Les lievres dorment les yeux ouverts ; ils ne vivent que sept ou huit ans au plus ; on n’entend leur voix que lorsqu’on les saisit ou qu’on les fait souffrir ; c’est une voix forte & non pas un cri aigre ; ils sont solitaires & fort timides ; ils ne manquent pas d’instinct pour leur conservation, ni de sagacité pour échapper à leurs ennemis. Ils se forment un gîte exposé au nord en été, & au midi en hiver ; on les apprivoise aisément, mais ils s’échappent, lorsqu’il s’en trouve l’occasion.

Les lievres qui sont dans les pays de collines élevées, ou dans les plaines en montagnes, sont excellens au goût ; ceux qui habitent les plaines basses ou les vallées, ont la chair insipide & blanchâtre ; enfin, ceux qui sont vers les marais & les lieux fangeux, ont la chair de fort mauvais goût : on les appelle lievres ladres. Les lievres de montagne sont plus grands & plus gros que les lievres de plaine ; ils ont plus de brun sur le corps & plus de blanc sous le cou. Sur les hautes montagnes & dans les pays du nord, ils deviennent blancs pendant l’hiver, & reprennent en été leur couleur ordinaire ; il y en a qui sont toûjours blancs ; on trouve des lievres presque par-tout. On a remarqué qu’il y en a moins en Orient qu’en Europe, & peu ou point dans l’Amérique méridionale. Hist. nat. gen. & part. tom. VI.

Le lievre, Chasse du lievre, est un animal qui vit solitairement ; il n’a pas besoin d’industrie pour se procurer sa nourriture. Excepté l’ouie qu’il a très-fine, tous ses sens sont obtus. Enfin, il n’a que la fuite pour moyen de défense. Aussi sa vie est-elle uniforme, ses mœurs sont-elles simples. La crainte forme son caractere ; son repos même est accompagné de surveillance. Il dort presque tout le jour ; mais il dort les yeux ouverts. Le moindre bruit l’effraye, & son inquiétude lui sert ordinairement de sauvegarde.

Les lievres ne quittent guère le gîte pendant le jour, à moins qu’on ne les en chasse. Le soir ils se rassemblent sur les blés, ou bien dans les autres lieux où ils trouvent commodément à paître. Pendant la nuit ils mangent, ils jouent, ils s’accouplent. La répétition de ces actes si simples fait presque toute l’histoire naturelle de la vie d’un lievre. Cependant lorsque ces animaux sont chassés, on les voit déployer une industrie & des ruses, dont l’uniformité de leur vie ne les laisseroit pas soupçonner. Voyez Instinct.

Les lievres sont fort lascifs, & multiplient beaucoup ; mais moins que les lapins, parce qu’ils engendrent un peu plus tard, & que les portées sont moins nombreuses. On peut les regarder comme animaux sédentaires. Ils passent tout l’été dans les grains : pendant la récolte, l’importunité que leur causent les moissonneurs, leur fait chercher les guerets ou les bois voisins : mais ils ne s’écartent jamais beaucoup du lieu où ils sont nés, & ils ne sont point sujets aux émigrations si familieres à d’autres especes.

Le tempérament des lievres est assez délicat, surtout dans les pays où on les conserve en abondance. Ils souffrent promptement du défaut de nourriture pendant la neige. Le givre qui couvre l’herbe les rend sujets à des maladies qui les tuent. Ils sont aussi fort exposés, sur-tout pendant leur jeunesse, aux oiseaux de proie & aux bêtes carnassieres. Mais malgré ces dangers, leur multiplication devient bien-tôt excessive par-tout où ils sont épargnés par les hommes.

Lievre, (Diete, & Mat. méd.). Le jeune lievre ou le levreau fournit un aliment délicat, succulent, relevé par un fumet qui est peut-être un principe utile & bienfaisant. Il a été dès long-tems compté parmi les mets les plus exquis ; les personnes accoutumées à une nourriture legere digerent très-bien cette viande, mangée rôtie & sans assaisonnement. Les estomacs accoutumés aux nourritures grossieres & irritantes s’en accommodent mieux, en la mangeant avec les assaisonnemens les plus vifs, comme le fort vinaigre & le poivre, soit rôtie, soit bouillie ou cuite dans une sauce très piquante, c’est-à-dire, sous la forme de ce ragout vulgairement appellé civet ; Voyez Civet.

On mange le levreau rôti dans quelques provinces du royaume, en Gascogne & en Languedoc ; par exemple, avec une sauce composée de vinaigre & de sucre, qui est mauvaise, mal-saine en soi essentiellement ; mais qui est sur-tout abominable pour tous ceux qui n’y sont pas accoutumés.

L’âge où le levreau est le plus parfait, est celui de sept à huit mois. Lorsqu’il est plus jeune, qu’il n’a par exemple, que trois ou quatre mois, sa chair n’est point faite, & est de difficile digestion, comme celle de beaucoup de jeunes animaux, par sa fadeur, son peu de consistance ; son état pour ainsi dire glaireux. Voyez Viande. A un an il est encore très-bon.

Le vieux lievre est en général, dur, sec, & par-là de difficile digestion. Mais il convient mieux par cela même aux manœuvres & aux paysans. Aussi les paysans dans les pays heureux où ils participent assez à la condition commune des hommes, pour être en état de servir quelquefois sur leurs tables des alimens salutaires & de bon goût ; préferent-ils par instinct un bon vieux lievre, un peu ferme & même dur, à un levreau tendre & fondant, & à toutes les viandes de cette derniere espece. Voyez Régime.

Les femelles pleines sont communément assez tendres ; & dans les pays, comme dans le bas-Languedoc, où le lievre est d’ailleurs excellent, on les sert rôties sur les bonnes tables. Les vieilles hases & les bouquins ne se mangent en général, qu’en ragoût ou en pâte.

Le lievre varie considérablement en bonté, selon le pays qu’il habite. Le plus excellent est celui des climats tempérés & secs, & qui habite dans ces climats les lieux élevés ; mais non pas cependant les montagnes proprement dites, qui sont froides & humides dans tous les climats. Ceux qui vivent sur les côteaux, dans les provinces méridionales du royaume sont des plus parfaits. Ceux des environs de Paris ne font pas même soupçonner ce que peut être un bon lievre de Languedoc.

La seule qualité particuliere & vraiment médicamenteuse de la chair de lievre, qui soit démontrée par l’expérience ; c’est qu’elle lâche assez constament le ventre, & purge même efficacement plusieurs sujets. Cette qualité est confirmée par l’expérience ; & c’est sans fondement que quelques auteurs, entre autres le continuateur de la Cynosure d’Herman, avancent que cette chair resserre le ventre.

Il n’est point d’animal chez qui on ait trouvé tant de parties médicamenteuses, que dans celui-ci. Schroeder en compte quatorze, & le continuateur de la Cynosure d’Herman en grossit encore la liste. Mais toutes ces drogues sont absolument hors d’usage, excepté les poils qui entrent dans une espece d’emplâtre agglutinatif, qui est de Galien, & qui est d’ailleurs composé d’aloës, de myrrhe & d’encens. Cet emplâtre est vanté comme un spécifique pour arrêter le sang après l’artériotomie ; mais on peut assurer que les poils de lievre, soit entiers, soit brûlés, selon l’ancienne recette, sont l’ingrédient le moins utile de cette composition, ou pour mieux dire, en sont un ingrédient absolument inutile. D’ailleurs, on n’applique plus d’emplâtre pour arrêter le sang, dans l’opération de l’artériotomie ; la compression suffit, & ce n’est presque que ce moyen, ou l’agaric de Brossart qu’on emploie dans ce cas. Voyez Artériotomie. (b).

Lievre, (Pelleterie.) Le lievre fournit outre sa chair, deux sortes de marchandises dans le commerce ; savoir, sa peau & son poil.

Les Pelletiers fourreurs préparent les peaux de lievre toutes chargées de leur poil, & en font plusieurs sortes de fourrures qui sont très-chaudes, & qu’on croit même fort bonnes pour la guérison de toutes sortes de rhumatismes.

Le poil du lievre est d’une couleur rougeâtre ; mais il vient de Moscovie des peaux de lievres toutes blanches, qui sont beaucoup plus estimées que celles de France.

Le poil de lievre, détaché de la peau, étoit autrefois d’un grand usage en France pour la chapellerie ; mais par un arrêt du conseil de l’année 1700, il est défendu expressément aux Chapelliers de s’en servir.

Avant que de couper le poil de dessus la peau pour en faire des chapeaux ; on en arrache le plus gros qui est sur la superficie, parce qu’il n’y a que celui du fond, dont on puisse faire usage.

Lievre de mer, lepus marinus. (Hist. nat.) Animal qui n’a point de sang & qui est mis au rang des animaux mous, comme la séche, le polype, &c. Rondelet fait mention de trois especes de lievres de mer, très-différens du poisson que l’on appelle en Languedoc lebre de mar. Voyez Scorpioides.

Le lievre de mer des anciens est donc, selon Rondelet, un poisson mou que Dioscoride a comparé à un calemar & Ælien à un limaçon, tiré hors de sa coquille : Pline le désigne comme une masse ou une piece de chair sans forme. On a donné à cet animal le nom de lievre, parce qu’il a une couleur rouge fort obscure qui approche de celle du lievre. Les anciens disent que le lievre de mer est venimeux, que lorsqu’on en a mangé, on enfle, on pisse le sang, le poumon s’ulcere, &c. Dioscoride donne pour remede, le lait d’ânesse, la décoction de mauve, &c.

La premiere espece de lievre de mer, selon Rondelet, est la plus venimeuse Cet animal a un os comme la séche sous le dos, & deux nageoires recourbées aux côtés ; sa queue est menue d’un côté, & recoquillée : il a entre la queue & le dos deux petites cornes, molles & charnues, comme celles des limaçons. La tête ressemble à celle du poisson appellé marteau ; il y a de l’autre côté une ouverture qui laisse passer une masse de chair que l’animal avance & retire à son gré. La bouche est placée entre les deux côtés de la tête. Les parties internes ressemblent à celles de la séche ; il a aussi une liqueur noire.

Le lievre de mer de la seconde espece ne differe de celui de la premiere, que par l’extérieur qui est symétrique, & non pas irrégulier, comme dans la premiere espece. La bouche est placée entre deux larges excroissances charnues ; il n’y a point d’os comme la séche sous le dos, mais au-dehors ; il y a deux petites cornes molles, plus petites & plus pointues que dans le premier lievre de mer : le second est le plus grand.

La troisieme espece de lievre de mer est très-différente des deux premieres ; Rondelet ne lui a donné le même nom, qu’à cause qu’elle a la même propriété venimeuse ; cependant c’est aussi un animal mou, de figure très-informe. Voyez Rond. Hist. des poissons, liv. XVII.

Lievre, bec de, (Physiolog.) division difforme de l’une ou de l’autre des deux levres. Vous en trouverez la méthode curative au mot Bec de lievre.

Comme il y a plusieurs accidens qui dépendent de la situation & de la compression du corps de l’enfant dans l’utérus, peut-être, dit un homme d’esprit, qu’on pourroit expliquer celui-ci par cette cause.

Il peut arriver qu’un doigt de l’enfant appliqué sur la levre la presse trop dans un point : cette compression en gênera les vaisseaux, & empêchera que la nourriture y soit portée. Cette partie trop mince & trop foible en proportion des parties latérales qui reçoivent tout leur accroissement, se déchirera au moindre effort, la levre sera divisée.

Il est vrai, continue-t-il, que si on ne fait attention qu’à l’effort nécessaire pour diviser avec quelqu’instrument la levre d’un enfant nouveau né, on a peine à croire que la pression d’un de ses doigts puisse causer cette division tandis qu’il est dans le sein de sa mere ; mais on est moins surpris du phénomene, on en comprend mieux la possibilité, quand on se rappelle qu’une soie qui lie la branche d’un arbrisseau, devenant supérieure à tout l’effort de la seve, l’empêche de croître ou occasionne la division de l’écorce & des fibres ligneuses.

Cette supériorité de force qui se trouve dans les liquides, dont l’impulsion donne l’accroissement aux animaux, aux végétaux, consiste principalement dans la continuité de son action ; mais cette action considérée dans chaque instant est si foible, que le moindre obstacle peut la surmonter. En appliquant ce principe à un enfant nouvellement formé, dont les chairs n’ont presque aucune consistance, & en qui l’action des liquides est proportionnée à cette foiblesse, l’on reconnoîtra avec combien de facilité la levre d’un enfant peut être divisée par la compression continuelle faite par l’action de ses doigts, dont la solidité & la résistance surpassent de beaucoup celle de la levre. La division de la levre supérieure est quelquefois petite, quelquefois considérable, quelquefois double ; & toutes ces différences s’expliquent encore aisément par le même principe. Je conviens de tout cela, mais j’ajoute que cette hypothèse qu’on nomme principe, n’est qu’un roman de l’imagination, une de ces licences ingénieuses, de ces fictions de l’esprit humain qui, voulant tout expliquer, tout deviner, ne tendent qu’à nous égarer au lieu de répandre la lumiere dans le méchanisme de la nature. (D. J.)

Lievre ou saisine de beaupré, (Marine.) ce sont plusieurs tours de corde qui tiennent l’aiguille de l’éperon avec le mât de beaupré.

Lievre, lepus, (Astronomie.) constellation dans l’hémisphere méridional, dont les étoiles sont dans le catalogue de Ptolomée au nombre de douze, dans celui de Tycho au nombre de treize, & dans le catalogue anglois au nombre de dix-neuf.