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livres embellis d’estampes, qu’ils aiment les images.

On fait des images & médailles avec la colle de poisson. Pour cet effet, prenez de la colle de poisson bien nette & bien claire ; brisez-la avec un marteau ; lavez-la d’abord en eau claire & fraiche, ensuite en eau tiede ; ayez un pot neuf ; mettez-la dans ce pot à tremper dans de l’eau pendant une nuit ; faites-la bouillir doucement une heure jusqu’à ce qu’elle prenne corps ; elle en aura suffisamment, si elle fait la goute sur l’ongle. Cela fait, ayez vos moules prêts ; serrez-les à l’entour d’une corde, ou avec du coton, ou d’une meche de lampe, qui serve à retenir la colle ; frottez-les de miel ; versez dessus la colle jusqu’à ce que tout le moule en soit couvert ; exposez-les au soleil ; la colle s’égalisera & se séchera ; quand elle sera seche, l’image se détachera du creux, d’elle-même, sera mince comme le papier, ou de l’épaisseur d’une médaille, selon la quantité de colle dont on aura couvert le moule. Les traits les plus déliés seront rendus, & l’image sera lustrée. Si on l’eût voulu colorer, on eût teint l’eau dans laquelle on a fait bouillir la colle, soit avec le bois de Brésil, de Fernambouc, soit avec la graine d’Avignon, le bois d’Inde, &c. Il faut que l’eau n’ait qu’une teinte légere, & que la colle ne soit pas trop épaisse ; l’image en viendra d’autant plus belle.

* IMAGINAIRE, adj. (Gram.) qui n’est que dans l’imagination ; ainsi l’on dit en ce sens un bonheur imaginaire, une peine imaginaire. Sous ce point de vûe, imaginaire ne s’oppose point à réel ; car un bonheur imaginaire est un bonheur réel, une peine imaginaire est une peine réelle. Que la chose soit ou ne soit pas comme je l’imagine, je souffre ou je suis heureux ; ainsi l’imaginaire peut être dans le motif, dans l’objet ; mais la réalité est toûjours dans la sensation. Le malade imaginaire est vraiment malade, d’esprit au moins, sinon de corps. Nous serions trop malheureux, si nous n’avions beaucoup de biens imaginaires.

Imaginaire, adj. on appelle ainsi en Algebre les racines paires de quantités négatives. La raison de cette dénomination est, que toute puissance paire d’une quantité quelconque, positive ou négative, a nécessairement le signe , parce que par , ou par , donnent également + ; Voyez Quarré, Puissance, Négatif & Multiplication. D’où il s’en suit que toute puissance paire, tout quarré, par exemple, qui a le signe , n’a point de racine possible (voyez Racine.), & qu’ainsi la racine d’une telle puissance est impossible ou imaginaire. Les quantités imaginaires sont opposées aux quantités réelles. Voyez Réel & Équation.

Non-seulement toute racine paire d’une quantité négative, comme , est imaginaire ; mais encore si on y joint une quantité réelle b, le tout devient imaginaire ; ainsi est imaginaire, ce qui est évident ; car si étoit égal à une quantité réelle c, on auroit , ce qui est impossible.

Les quantités composées de réel & d’imaginaire, s’appellent mixtes imaginaires, & les autres imaginaires simples.

J’ai démontré le premier dans les mémoires de l’académie de Berlin, pour l’année 1746, & même dans un ouvrage antérieur, envoyé à l’académie de Berlin au commencement de 1746, que toute quantité imaginaire donnée à volonté, & de telle forme qu’on voudra, peut toûjours se réduire à , e & f étant des quantités réelles. M. Euler a démontré depuis cette même proposition, dans les mémoires de l’académie de Berlin 1749, mais il est aisé de

voir que sa démonstration ne differe en aucune façon de la mienne. Pour s’en convaincre, on peut comparer la page 273 des mémoires de Berlin de 1749, avec l’article 79 de ma dissertation sur les vents.

J’ai démontré de plus, dans les mêmes mémoires de 1746, que toute racine imaginaire d’une équation quelconque pouvoit toûjours se réduire à , e & f étant des quantités réelles. M. Euler a donné de son côté, dans les mémoires de 1749, une démonstration de cette proposition, qui differe entierement de la mienne, & qui ne me paroît pas aussi simple. On peut voir les démonstrations des deux propositions dont je viens de parler, dans le traité de M. de Bougainville le jeune, sur le calcul intégral.

Un corollaire de cette proposition, qui est démontré fort simplement dans les mémoires de Berlin 1746, c’est que si est une des racines d’une équation, en sera une autre ; & voilà pourquoi les racines imaginaires des équations vont toûjours en nombre pair. Voyez Racine.

Deux quantités imaginaires jointes ensemble peuvent former une quantité réelle ; p. ex. est une quantité réelle. Voyez Cas irréductible. (O)

Imaginaire, (Docimastique.) poids imaginaire ou fictif. Voyez Poids fictif.

IMAGINATION, IMAGINER, (Logique, Métaphys. Litterat. & Beaux-Arts.) c’est le pouvoir que chaque être sensible éprouve en soi de se représenter dans son esprit les choses sensibles ; cette faculté dépend de la mémoire. On voit des hommes, des animaux, des jardins ; ces perceptions entrent par les sens, la mémoire les retient, l’imagination les compose ; voilà pourquoi les anciens Grecs appellerent les Muses filles de Mémoire.

Il est très-essentiel de remarquer que ces facultés de recevoir des idées, de les retenir, de les composer, sont au rang des choses dont nous ne pouvons rendre aucune raison ; ces ressorts invisibles de notre être sont dans la main de l’Être suprême qui nous a faits, & non dans la nôtre.

Peut-être ce don de Dieu, l’imagination, est-il le seul instrument avec lequel nous composions des idées, & même les plus métaphysiques.

Vous prononcez le mot de triangle, mais vous ne prononcez qu’un son si vous ne vous représentez pas l’image d’un triangle quelconque ; vous n’avez certainement eu l’idée d’un triangle que parce que vous en avez vû si vous avez des yeux, ou touché si vous êtes aveugle. Vous ne pouvez penser au triangle en général si votre imagination ne se figure, au moins confusément, quelque triangle particulier. Vous calculez ; mais il faut que vous vous représentiez des unités redoublées, sans quoi il n’y a que votre main qui opere.

Vous prononcez les termes abstraits, grandeur, vérité, justice, fini, infini ; mais ce mot grandeur est-il autre chose qu’un mouvement de votre langue qui frappe l’air, si vous n’avez pas l’image de quelque grandeur ? Que veulent dire ces mots vérité, mensonge, si vous n’avez pas apperçu par vos sens que telle chose qu’on vous avoit dit existoit en effet, & que telle autre n’existoit pas ? & de cette expérience ne composez-vous pas l’idée générale de vérité & de mensonge ? & quand on vous demande ce que vous entendez par ces mots, pouvez-vous vous empêcher de vous figurer quelque image sensible, qui vous fait souvenir qu’on vous a dit quelquefois ce qui étoit, & fort souvent ce qui n’étoit pas ?