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est du 3e degré, il divise ces courbes en genres & especes, & en fait l’énumération. Voyez Courbe.

Mais ces écrits, quelque admirables qu’ils soient, ne sont rien, pour ainsi dire, en comparaison de l’immortel ouvrage du même auteur, intitulé, Philosophiæ naturalis principia mathematica, qu’on peut regarder comme l’application la plus étendue, la plus admirable, & la plus heureuse qui ait jamais été faite de la Géométrie à la Physique : ce livre est aujourd’hui trop connu pour que nous entrions dans un plus grand détail ; il a été l’époque d’une révolution dans la Physique : il a fait de cette science une science nouvelle, toute fondée sur l’observation, l’expérience, & le calcul. Voyez Newtonianisme, Gravitation, Attraction, &c. Nous ne parlons point de l’optique du même auteur, ouvrage non moins digne d’éloges, mais qui n’appartient point à cet article, ni de quelques autres écrits géométriques moins considérables, mais tous de la premiere force, tous brillans de sagacité & d’invention ; comme son analysis per æquationes numero terminorum infinitas ; son analysis per æquationum series, fluxiones & differentias ; la méthode des fluxions ; sa méthode différentielle, &c. Quand on considere ces monumens immortels du génie de leur auteur, & quand on songe que ce grand homme avoit fait à vingt-quatre ans ses principales découvertes, on est presque tenté de souscrire à ce que dit Pope, que la sagacité de Newton étonna les intelligences célestes, & qu’ils le regarderent comme un être moyen entre l’homme & elles : on est du-moins bien fondé à s’écrier, homo homini quid præstat ! qu’il y a de distance entre un homme & un autre !

L’édifice élevé par Newton à cette hauteur immense, n’étoit pourtant pas encore achevé ; le calcul intégral a été depuis extrèmement augmenté par MM. Bernoulli, Cotes, Maclaurin, &c. & par les mathématiciens qui sont venus après eux. Voyez Intégral. On a fait des applications encore plus subtiles, & si on l’ose dire, plus difficiles, plus heureuses & plus exactes de la Géométrie à la Physique. On a beaucoup ajoûté à ce que Newton avoit commencé sur le système du monde : c’est sur-tout quant à cette partie qu’on a corrigé & perfectionné son grand ouvrage des Principes mathématiques. La plupart des mathématiciens qui ont contribué à enrichir ainsi la Géométrie par leurs découvertes, & à l’appliquer à la Physique & à l’Astronomie, étant aujourd’hui vivans, & nous même ayant peut-être eu quelque part à ces travaux, nous laisserons à la postérité le soin de rendre à chacun la justice qu’il mérite : & nous terminerons ici cette petite histoire de la Géométrie ; ceux qui voudront s’en instruire plus à fond, pourront consulter les divers auteurs qui ont écrit sur ce sujet. Parmi ces auteurs il en est qui ne sont pas toûjours exacts, entr’autres Wallis, que sa partialité en faveur des Anglois, doit faire lire avec précaution, voy. Algebre. Mais nous croyons qu’on trouvera tout ce qu’on peut desirer sur ce sujet dans l’histoire des Mathématiques que prépare M. de Montucla, de l’académie royale des Sciences & des Belles-Lettres de Prusse, déjà connu par son histoire de la quadrature du cercle, publiée en 1754, & que nous avons citée au mot Duplication.

L’histoire abrégée que nous venons de donner est plus que suffisante dans un ouvrage tel que le nôtre, où nous devons principalement nous attacher à faire connoître les inventeurs, non les inventeurs en détail à qui la Géométrie doit quelques propositions particulieres & isolées, mais les esprits vraiment créateurs, les inventeurs en grand qui ont ouvert des routes, perfectionné l’instrument des découvertes, & imaginé des méthodes. Au reste en finissant cette histoire, nous ne pouvons nous dispenser de remarquer

à l’honneur de notre nation, que si la Géométrie nouvelle est principalement dûe aux Anglois & aux Allemands, c’est aux François qu’on est redevable des deux grandes idées qui ont conduit à la trouver. On doit à Descartes l’application de l’Algebre à la Géométrie, sur laquelle le calcul différentiel est fondé ; & à Fermat, la premiere application du calcul aux quantités différentielles, pour trouver les tangentes : la Géométrie nouvelle n’est que cette derniere méthode généralisée. Si on ajoûte à cela ce que les François actuellement vivans ont fait en Géométrie, on conviendra peut-être que cette science ne doit pas moins à notre nation qu’aux autres.

Objet de la Géométrie. Nous prierons d’abord le lecteur de se rappeller ce que nous avons dit sur ce sujet dans le Discours prélimin. Nous commençons par considérer les corps avec toutes leurs propriétés sensibles ; nous faisons ensuite peu-à-peu & par l’esprit la séparation & l’abstraction de ces différentes propriétés ; & nous en venons à considérer les corps comme des portions d’étendue pénétrables, divisibles, & figurées. Ainsi le corps géométrique n’est proprement qu’une portion d’étendue terminée en tout sens. Nous considérons d’abord & comme d’une vûe générale, cette portion d’étendue quant à ses trois dimensions ; mais ensuite, pour en déterminer plus facilement les propriétés, nous y considérons d’abord une seule dimension, c’est à-dire la longueur, puis deux dimensions, c’est-à-dire la surface, enfin les trois dimensions ensemble, c’est-à-dire la solidité : ainsi les propriétés des lignes, celles des surfaces & celles des solides sont l’objet & la division naturelle de la Géométrie.

C’est par une simple abstraction de l’esprit, qu’on considere les lignes comme sans largeur, & les surfaces comme sans profondeur : la Géométrie envisage donc les corps dans un état d’abstraction où ils ne sont pas réellement ; les vérités qu’elle découvre & qu’elle démontre sur les corps, sont donc des vérités de pure abstraction, des vérités hypothétiques ; mais ces vérités n’en sont pas moins utiles. Dans la nature, par exemple, il n’y a point de cercle parfait ; mais plus un cercle approchera de l’être, plus il approchera d’avoir exactement & rigoureusement les propriétés du cercle parfait que la Géométrie démontre ; & il peut en approcher assez exactement pour avoir toutes ces propriétés, sinon en rigueur, au moins à un degré suffisant pour notre usage.

On connoît en Géométrie plusieurs courbes qui s’approchent continuellement d’une ligne droite sans jamais la rencontrer, mais qui étant tracées sur le papier, se confondent sensiblement avec cette ligne droite au bout d’un assez petit espace, voyez Asymptote ; il en est de même des vérités géométriques. Elles sont en quelque maniere la limite, &, si on peut parler ainsi, l’asymptote des vérités physiques, le terme dont celles-ci peuvent approcher aussi près qu’on veut, sans jamais y arriver exactement. Mais si les théorèmes mathématiques n’ont pas exactement lieu dans la nature, ces théorèmes servent du-moins à trouver avec une précision suffisante pour la pratique, la distance inaccessible d’un lieu à un autre, la mesure d’une surface donnée, le toisé d’un solide ; à calculer le mouvement & la distance des astres ; à prédire les phénomenes célestes. Pour démontrer des vérités en toute rigueur, lorsqu’il est question de la figure des corps, on est obligé de considérer ces corps dans un état de perfection abstraite qu’ils n’ont pas réellement : en effet, si on ne s’assujettit pas, par exemple, à regarder le cercle comme partait, il faudra autant de théorèmes différens sur le cercle, qu’on imaginera de figures différentes plus ou moins approchantes du cercle parfait ; & ces figures elles-mêmes pourront être encore absolument hypothétiques &