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du fleuve sans forces, sans usage de ses sens, en un mot comme sans vie. Tous ces effets furent produits si subitement, que le froid n’avoit pas pû pénétrer dans l’intérieur, pour agir immédiatement, comme à l’extérieur, par sa faculté de resserrer les solides, de condenser, de figer les fluides : ce ne pouvoit être que par le moyen des nerfs qu’il se fit un desordre si prompt & si terrible dans toute l’économie animale de ce jeune héros ; desordre qui faisoit un état si dangereux, que l’habileté & le zele des medecins de Philippe son pere eurent bien de la peine à l’en tirer, à le rappeller, pour ainsi dire, à la vie, & à lui rendre la santé ; parce que la lésion des fonctions avoit été d’autant plus considérable, que le sujet étoit plus robuste, & qu’il ne se trouva point dans son corps de partie foible disposée à souffrir pour le tout ; ensorte que le mal intéressa dans ce cas généralement toutes les conditions nécessaires pour l’entretien de la santé. Voyez, sur la théorie relative aux accidens de cette espece, l’article Equilibre, (Economie animale.)

La cause à laquelle on vient d’attribuer ces derniers phénomenes comme effets du froid, sans qu’il porte ses impressions immédiatement, en tant que froid externe, sur les parties internes de l’animal, semble être encore plus prouvée par ce qui arrive en conséquence de l’application subite d’une colonne d’air froid, ou de quelqu’autre corps bien froid, sur une partie bien chaude & bien sensible de la surface de notre corps ; application qui excite une sorte de tremblement sur toute la peau, un vrai frisson momentané, c’est à-dire qui dure autant que la sensation même du froid. C’est ainsi que l’aspersion de l’eau bien froide sur le visage des personnes disposées à la syncope, rappelle les sens & rétablit les mouvemens vitaux prêts à être suspendus, en produisant une sorte de secousse dans tout le genre nerveux : c’est ainsi que l’on a quelquefois arrêté des hémorrhagies, en touchant quelque partie du corps bien chaude, avec un morceau de métal bien froid, ou un morceau de glace ; en occasionnant par la sensation vive qui résulte de cette application, une sorte de crispation des solides en général, qui resserre comme par accident les vaisseaux qui se trouvent ouverts.

Ces considérations concernant les effets du froid externe sur le corps humain (effets que l’on peut distinguer en les appellant sympathiques, parce qu’ils influent sur des parties où ils n’ont pû être portés ou produits que par communication, & non immédiatement), menent à dire quelque chose d’autres effets du froid dans les animaux, produits par des causes absolument internes, sans aucun concours du froid externe : tels sont tous les obstacles à l’action du cœur & des arteres, tant qu’ils ne peuvent pas être facilement surmontés par sa puissance motrice ; tout ce qui de la part des humeurs s’oppose à leur propre cours, comme le trop de consistance, leur épaississement, leur trop grande quantité qui fait une masse trop difficile à mouvoir, leur volume trop diminué par les grandes évacuations, les hémorrhagies surtout qui diminuent trop considérablement la partie rouge du sang, le nombre de ses globules, tout ce qui empêche la distribution du fluide nerveux & en conséquence le mouvement des organes vitaux, même de ceux qui sont soûmis à la volonté, comme dans les parties paralysées qui sont toûjours froides ; enfin tout ce qui peut diminuer ou suspendre l’agitation, le frottement de la partie élastique de nos humeurs entre elles, & contre les vaisseaux qui les contiennent. Voyez Fievre maligne, lipyrie, intermittente, Venin, Poison, Gangrene, &c.

Ces différentes causes internes du froid animal sont certaines & fréquentes : il en est cependant encore

d’autres d’une différente nature, qui produisent des effets que l’on ne sauroit attribuer à celles qui viennent d’être exposées, puisqu’il s’agit de cas où l’on éprouve une sensation de froid très-marqué & souvent très-vif, sans qu’il y ait aucune diminution d’agitation dans les solides & dans les fluides ; au contraire même souvent avec des mouvemens violens dans les principaux organes de la circulation du sang, du cours des humeurs, avec toutes les dispositions nécessaires pour la conservation de leur fluidité ; ensorte qu’il arrive quelquefois que les parties supérieures du corps sont brûlantes, tandis que les inférieures sont glacées ; qu’un côté du corps est refroidi, pendant que l’on sent beaucoup d’ardeur dans le côté opposé ; que l’on sent comme un air froid se répandant sur un membre, comme par un mouvement progressif, tandis que l’on est fatigué de bouffées de chaleur ; qu’il se fait des transports d’humeurs, des engorgemens dans d’autres parties, avec les symptomes les plus violens. On ne peut attribuer la cause de semblables phénomenes qu’à l’action des nerfs, qui par l’effet d’un cours irrégulier des esprits animaux, sont tendus & resserrent les vaisseaux dans quelques parties ; d’où les humeurs devenues surabondantes par rapport à la diminution de la capacité des vaisseaux, sont comme repoussées dans d’autres parties qui n’opposent point de résistance extraordinaire, où elles sont portées avec beaucoup d’agitation, tandis que leur cours est presque arrêté dans les vaisseaux resserrés ; de maniere qu’il s’établit dans ceux-ci une disposition, telle qu’elle peut être produite par le froid externe, pour exciter la sensation qui résulte de son application sur les parties sensibles ; & dans ceux-là une disposition telle qu’il la faut pour faire augmenter la génération de la chaleur animale, & le sentiment qu’elle fait naître. Voyez Chaleur animale, & sur ces effets singuliers, ce qui est dit en son lieu de chacune des différentes maladies dans lesquelles on les observe, telles que la Fievre nerveuse, la Passion hypocondriaque, hystérique, les Vapeurs, l’Epilepsie, &c.

Dans d’autres cas il survient en peu de tems, & quelquefois subitement, à des personnes qui ont toute leur chaleur naturelle, tant au dehors qu’au-dedans, un froid répandu sur toute la surface du corps avec pâleur, frisson, tremblement dans les membres, sueur froide ; tous symptomes que l’on ne peut encore attribuer qu’au resserrement plus ou moins prompt, qui se fait dans les vaisseaux capillaires par le moyen des nerfs, ensuite d’une distribution irréguliere, plus abondante qu’elle ne devroit être, du fluide nerveux dans l’habitude du corps, & dans les organes du mouvement ; resserrement qui arrête le cours des humeurs, dans tous les tégumens, & en exprime sous forme sensible la matiere de la transpiration condensée par le défaut de chaleur animale.

On observe ces différens phénomenes avec plus ou moins d’intensité dans les grandes passions de l’ame, comme le chagrin, la peur, la surprise, l’effroi, la terreur, &c. Voyez Passions, animi pathemata.

Après avoir considéré quelles sont les différentes causes tant externes qu’internes, qui peuvent nous affecter de la sensation du froid, il reste à dire quelque chose des différens moyens que l’on peut employer pour faire cesser la disposition contre nature qui produit cette sensation ; parce que l’on peut inférer de l’effet de ces moyens, la confirmation de tout ce qui a été avancé ici concernant la théorie du froid animal.

Parmi les causes, tant externes qu’internes, qui peuvent produire la disposition à laquelle en est attachée la sensation, il n’en est point de si générale & de si commune, que l’application du froid de l’air am-