Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 7.djvu/1029

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

y a quinze ou seize milliers de mulets, il ne se trouve ordinairement à la fin de l’été que trois cents mâles & autant de femelles.

Les mulets vont chaque jour chercher dans la campagne des alimens, qu’ils rapportent dans le guêpier pour nourrir les mâles, les femelles, & les mulets qui y restent ; ces alimens sont des fruits, de la chair, des mouches, & sur-tout des abeilles. Lorsqu’une guêpe rencontre une abeille, elle se jette dessus, la divise en deux parties avec ses dents, & emporte le ventre, qu’elle trouve sans doute meilleur que le corcelet & la tête, parce qu’il est rempli de miel. On ne sait que trop combien les guêpes gâtent les fruits en les suçant ; ces insectes sont si avides de chair, que les bouchers de campagne ne pourroient pas en préserver leurs viandes, s’ils ne prenoient le parti d’exposer en-avant sur leurs boutiques un foie de veau ou une rate de bœuf, que les abeilles préferent à d’autres viandes, parce qu’ils sont plus aisés à couper ; elles se jettent toutes sur ces morceaux, & ne vont pas plus loin. Les Bouchers trouvent encore un autre avantage en les rassemblant ainsi, c’est que les grosses mouches bleues dont viennent les vers qui sont corrompre la viande, craignent les guêpes, & n’approchent pas d’un lieu où il y en a beaucoup. Lorsqu’un mulet arrive au guêpier avec sa proie, plusieurs guêpes l’entourent & prennent leur part de ce qu’il a apporté ; si c’est un aliment solide, elles le coupent en morceaux ; si c’est un suc tiré des fruits, le mulet le fait sortir de sa bouche par gouttes que les autres viennent sucer.

A la fin du mois d’Août, les mulets construisent les derniers gâteaux du guêpier, & la mere y dépose les œufs des mâles & des femelles en finissant sa porte ; ainsi c’est au commencement de l’autonne que le guêpier est complet, & que le nombre des guêpes y est le plus grand. Un guêpier a quelquefois plus de seize mille alvéoles. Comme il arrive souvent que la mere pond successivement deux, & même trois œufs dans chacun, il se trouve à la fin de l’été jusqu’à trente mille guêpes dans ce guêpier. Alors la mere, les mâles, & les femelles nouvellement nés sortent du guêpier comme les mulets pour chercher leur nourriture. Tout est en vigueur & en bon ordre, mais cet état florissant ne dure qu’un mois ou six semaines. Au commencement d’Octobre ces insectes semblent n’avoir plus d’instinct, tout est en desordre dans le guêpier ; les mulets & les mâles tirent des alvéoles les œufs & les petits vers, les tuent & les dispersent au loin : ensuite toutes les guêpes languissent dans les premiers froids de l’autonne ; si elles se raniment lorsque le soleil les rechauffe, ce n’est que pour quelques momens ; à mesure que l’hyver approche, elles perdent leurs forces ; les mouches dont elles se nourrissoient leur résistent, enfin les mâles & les mulets périssent par le froid. Les femelles se soûtiennent mieux, elles se retirent dans le guêpier ou dans des trous, mais il en meurt beaucoup : celles qui peuvent vivre jusqu’au printems ayant été fécondées avant la mort des mâles, sont en état de former chacune un guêpier.

Pour observer les guêpes, on renferme un guêpier dans une ruche vitrée ; pour cette opération il faut être vêtu de façon à ne pas craindre leur aiguillon. On déterre un guêpier & on le met dans une ruche ; les guêpes après s’être dispersées y rentrent, & lorsque la nuit est venue, on ferme la ruche & on la transporte où l’on veut avec le guêpier qu’elle contient. Les guêpes appellées aériennes, parce qu’elles ont leurs nids en plein air, sont plus petites qu’aucunes de celles qui vivent en société ; leurs guêpiers sont attachés à une branche d’arbre, à une paille de chaume, à une plante, à un mur, &c. Ils different

des autres en ce que les gâteaux sont posés verticalement, & qu’ils n’ont point d’enveloppe commune qui les mette à l’abri ; mais leur position est favorable à l’écoulement de l’eau, & ils sont enduits d’un vernis qui y résiste. Ces guêpes ne quittent leur nid que pour chercher leur nourriture & celle des vers qui doivent perpétuer leur espece : elles ressemblent aux guêpes soûterreines par leur maniere de vivre & de se multiplier.

On a donné le nom de cartonnieres à de petites guêpes d’Amérique, parce que leur guêpier est enveloppé d’une sorte de carton très-fort & très-blanc ; cette couverture leur est nécessaire, parce qu’elles sont plus délicates que les guêpes d’Europe, & que l’air est nuisible à leurs vers. La plus grande différence qu’il y a entre ces guêpes cartonnieres & les guêpes soûterreines dont il a été fait mention, consiste dans la maniere de construire le guêpier. Voyez Guêpier. Mém. pour servir à l’hist. des Insectes, tom. VI. Abregé de l’hist. des Insectes, tom. II. Voyez Insecte. (I)

GUÊPIER, s. m. Les guêpes construisent comme les abeilles des gâteaux & des alvéoles, qui forment un groupe revêtu d’une enveloppe en tout ou en partie ; cette masse est appellée guêpier. Les guêpes soûterreines placent leur guêpier sous terre ; elles font d’abord un trou qui a un pouce de diametre, sur un demi-pié, ou un pié, & quelquefois deux piés de longueur ; ensuite elles creusent une cavité qui a jusqu’à quatorze ou quinze pouces de diametre ; à mesure qu’elles alongent le guêpier, elles transportent au-dehors, grain à grain, toute la terre qui remplit cet espace. La figure de ces guêpiers n’est pas toûjours la même ; il y en a de sphériques, d’ovoïdes, & de coniques : on ne voit à l’extérieur que deux ouvertures ; les guêpes entrent par l’une & sortent par l’autre : l’enveloppe a un pouce ou un pouce & demi d’épaisseur ; elle est composée de plusieurs lames minces, dont la forme ressemble en quelque façon à celle des coquilles appellées peignes ; leur convexité est du côté extérieur du guêpier, & les bords de l’une de ces lames sont collés sur le milieu de celles sur lesquelles elle se trouve, desorte qu’il reste entr’elles des cavités ; leur substance est de même nature que celle du papier, aussi les guêpes la tirent des végétaux. L’humidité de la terre & l’eau des pluies ne pénetre pas à-travers l’enveloppe, parce qu’il y a dans son épaisseur des cavités entre les différentes lames qui la composent, & qui sont quelquefois jusqu’au nombre de quinze ou seize les unes sur les autres. L’intérieur du guêpier est divisé par plusieurs cloisons horisontales, de même substance que l’enveloppe extérieure, il s’en trouve jusqu’à quinze dans les plus grands guêpiers ; celles du milieu ont un plus grand diametre que les autres ; dans ceux dont la forme est ovoïde, il y a un demi-pouce de distance entre chacune des cloisons, & elles tiennent les unes aux autres par des liens verticaux, qui sont placés en différens endroits de la surface des cloisons ; il n’y en a que trois ou quatre entre les plus petites, mais on en a vû jusqu’à cinquante entre les plus larges ; ces liens ont une ou deux lignes de diametre. Les bords de chaque cloison sont aussi attachés à l’enveloppe du guêpier par quelques liens, entre lesquels les guêpes peuvent passer pour aller d’une cloison à une autre, & traverser le guêpier entre toutes les cloisons. Chacune de ces cloisons est un gâteau où se trouvent des alvéoles hexagones comme celles des abeilles, mais il n’y en a que sur la face inférieure. Ces alvéoles servent de logement aux œufs, aux vers, aux nymphes, & aux jeunes guêpes qui n’ont pas encore pris l’essor. On a compté jusqu’à dix milles alvéoles dans des guêpiers de grandeur médiocre ; ceux des guêpes aériennes