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dans le bas-ventre, peuvent donner lieu à de fausses-couches & à bien de fâcheux accidens qui s’ensuivent. La sécheresse & l’humidité peuvent aussi faire des impressions très-nuisibles sur le corps des femmes grosses & sur celui de leurs enfans ; autant qu’elles peuvent, elles doivent éviter de demeurer dans les campagnes marécageuses, au bord des rivieres, dans le voisinage des égoûts, des cloaques, sur les hautes montagnes, ou dans des endroits trop exposés aux vents desséchans du nord. Les odeurs, tant bonnes que mauvaises, peuvent leur être très-pernicieuses, entant qu’elles peuvent nuire à la respiration, en altérant les qualités de l’air, ou qu’elles affectent le genre nerveux. On a vû, selon que le dit Pline, des femmes si délicates & si sensibles, que l’odeur d’une chandelle mal éteinte leur a fait faire des fausses-couches : Liébault assûre avoir observé un pareil effet, qui peut être produit encore plus fréquemment par les vapeurs de charbon mal allumé ; Mauriceau rapporte une observation de cette espece à l’égard d’une blanchisseuse. Il y a aussi bien des exemples des mauvais effets que produisent les parfums dans l’état de grossesse, sur-tout par rapport aux femmes sujettes aux suffocations hystériques. Voyez Odeur, Parfum, Passion hystérique.

Si l’enfant dans la matrice trouvoit des sucs entierement préparés pour servir à sa nourriture, il risqueroit beaucoup moins pour sa conformation & sa vie, du défaut de régime de la mere ; mais elle ne fait qu’ébaucher l’élaboration des humeurs qui doivent fournir au développement & à l’accroissement de son fruit : ainsi quand elles sont mal digérées, il reste à l’embryon beaucoup de travail pour en achever l’assimilation, à quoi ses organes délicats ne suffisent pas le plus souvent ; d’où peuvent s’ensuivre bien des maux différens, tant pour la mere que pour l’enfant. Lorsqu’il s’agit donc d’établir les regles auxquelles les femmes enceintes doivent se conformer pour la maniere de se nourrir, il est nécessaire de considérer les différens états où elles se trouvent, la différence de leur tempérament, & les différens tems de leur grossesse. Plus les femmes sont délicates, moins elles sont avancées dans leur grossesse, & plus le fœtus est incommodé du trop de nourriture ; il faut qu’elle soit proportionnée aux forces & aux besoins réciproques de la mere & de l’enfant. Quand les femmes enceintes se sentent des dégoûts, des nausées, de la plénitude, elles doivent se condamner à la diete ; il arrive quelquefois qu’elles ont une aversion marquée pour la viande, les œufs, & toutes les substances animales ; c’est un avertissement de la nature qui leur conseille de vivre de végétaux & de les assaisonner avec des aromates ou des acides, pour tempérer leurs humeurs qui ont trop de penchant à la putréfaction. Voyez Dégoût, Envie. Il est donc souvent très-important aux femmes-grosses d’écouter leur sentiment secret, comme la voix de la nature qui les instruit de la conduite qu’elles doivent tenir ; elles peuvent en sûreté suivre le conseil d’Hippocrate (aphoris. xxxviij. lib. II.) qui porte que les alimens & la boisson qui ne sont pas de la meilleure qualité, sont cependant préférables dès qu’ils sont plus propres à exciter l’appétit, & qu’on en use en quantité convenable : car il n’est pas moins pernicieux aux femmes grosses de manger trop, que de vivre d’alimens indigestes, sur-tout dans le commencement de la grossesse, qu’il faut chercher à diminuer la plénitude & à ne point affoiblir l’estomac ; à quoi on ne peut réussir qu’en ne prenant que peu d’alimens, mais autant qu’on le peut, bien choisis & qui puissent s’assimiler aisément. Voyez Alimens, Assimilation. Au bout de deux ou trois mois, les femmes enceintes qui joüissent d’une bonne santé, peuvent augmenter la quantité de leur nourriture à

mesure que le fœtus consume davantage des humeurs de la mere ; elles peuvent manger indifféremment de toutes sortes d’alimens qui ne sont pas indigestes : elles doivent cependant préférer ceux qui contiennent peu d’excrémens & plus de parties aqueuses. Les femmes grosses qui digerent bien le lait, peuvent en faire usage, il donne un chyle doux, à-demi assimilé ; le lait de vache est le plus nourrissant, & dans le dernier mois de la grossesse, il est le plus convenable.

Si les femmes enceintes doivent se garantir des mauvais effets du trop de nourriture, elles n’ont pas moins à craindre de l’excès opposé, à cause de l’alkalescence des humeurs que produit toûjours une diete trop sévere. Les femmes grosses & les enfans ne peuvent point-du-tout supporter l’abstinence ; on doit y avoir égard jusque dans leurs maladies : le jeûne forcé leur est presque toûjours préjudiciable, à-moins qu’elles ne soient extrèmement pléthoriques, ou que l’embryon ne soit très-petit ; ainsi quand elles se sentent de la disposition à manger, elles seroient très-imprudentes de ne pas se satisfaire avec modération, & elles doivent se faire un peu de violence pour prendre de la nourriture, quand elles en sont détournées par un dégoût excessif, sur-tout lorsque la grossesse est avancée.

La boisson des femmes grosses est aussi sujette à quelques variétés ; dans les commencemens, la petitesse du fœtus & la mollesse de ses organes exigent moins de boissons aqueuses ; ainsi elles peuvent boire dans ce tems-là un peu de vin pur, & ensuite le bien tremper dans le cours de la grossesse. Quand la température de l’air est très-chaude, il faut qu’elles fassent un grand usage de boissons délayantes, mais elles doivent craindre l’usage de la glace, qui peut causer de violentes coliques, & quelquefois même des fausses-couches, comme l’éprouva, selon que le rapporte Mauriceau, une impératrice de son tems ; à l’égard des liqueurs fortes, ce sont de vrais poisons pour les femmes enceintes, mais sur-tout pour leur fruit, attendu que par l’effet qu’elles produisent de raccornir les fibres, d’épaissir, de coaguler la lymphe, elles s’opposent à son développement, produisent des engorgemens, des tumeurs, des difformités, qui se manifestent quelquefois aussi-tôt que l’enfant voit le jour, ou dans la suite entant qu’il ne prend pas un accroissement proportionné à son âge, & qu’il vieillit de bonne heure : c’est ce qu’on observe à l’égard des enfans qui naissent de femmes du peuple & de celles qui habitent des pays où l’on fait un grand usage d’eau-de-vie. En général les femmes enceintes doivent éviter tout ce qui peut donner trop de mouvement, d’agitation, au sang, & disposer à des pertes, &c. comme sont les alimens acres, échauffans, les boissons de même qualité, & l’exercice du corps poussé à l’excès.

C’est principalement dans les premiers tems de la grossesse, que l’exercice pouvant être facilement nuisible, est presqu’absolument interdit ; c’est avec raison que l’on condamne la conduite des femmes enceintes qui se livrent à des mouvemens violens : rien cependant n’est plus commun parmi elles, sur-tout lorsqu’elles sont dans la vivacité de la premiere jeunesse ; à peine la conception est-elle déclarée, qu’il leur arrive quelquefois de passer les nuits à danser & le jour à chanter ; ce qui est le plus souvent la cause des fausses-couches aux quelles elles sont sujettes. Si dans les commencemens de la grossesse les femmes avoient l’attention de se reposer, elles pourroient ensuite se livrer à l’exercice avec plus de sécurité, lorsque les racines du placenta seroient implantées plus solidement dans la substance de la matrice, & que le fœtus y auroit acquis plus de force. Les femmes élevées délicatement ne doivent pas se modeler sur celles de la campagne, qui malgré leur grossesse,