L’Encyclopédie/1re édition/ALIMENS

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ALIMENS, s. m. pl. en Droit, signifient non-seulement la nourriture, mais aussi toutes les autres nécessités de la vie, & fort souvent même une pension destinée à fournir à quelqu’un ces besoins ; qu’on appelle aussi par cette raison pension alimentaire.

Ainsi l’on dit que les enfans doivent les alimens à leurs pere & mere, s’ils sont en nécessité, & un pere ou une mere à ses enfans, même naturels : un mari est obligé de nourrir & entretenir sa femme quand elle ne lui auroit point apporté de dot ; comme la femme est obligée de fournir des alimens à son mari lorsqu’il n’a pas de quoi vivre : le beau-pere & la belle-mere sont pareillement obligés d’en fournir à leur gendre & à leur bru ; & le gendre & la bru à leur beau-pere ou leur belle-mere, tant que l’alliance dure.

Le pere n’est pas obligé de fournir des alimens à un enfant qu’il est dans le cas de deshériter ; ni l’ayeul à ses petits enfans si leur pere s’est marié sans son consentement, à moins qu’il n’ait fait les sommations respectueuses.

Pour la faveur des alimens, il est défendu de faire aucune stipulation sur les revenus à écheoir pour les éteindre ou les diminuer ; on n’en admet point la compensation. Les contestations pour cause d’alimens doivent être jugées sommairement, & le jugement qui intervient doit être exécuté nonobstant l’appel. Les alimens légués par testament sont ordonnés par provision, si l’héritier est absent ou qu’il differe d’accepter la succession. Quand le Prince accorde des Lettres de surséance, ils en sont exceptés. Si les alimens ont été légués jusqu’à l’âge de puberté, elle est réputée pour ce cas ne commencer qu’à dix-huit ans.

C’est aussi en conséquence de la faveur que méritent les alimens, que le Boulanger & le Boucher, & autres marchands de fournitures de bouche, sont, dans quelques Jurisdictions, préférés aux autres créanciers. (H)

Alimens (les) méritent une attention singuliere dans la pratique de la Medecine ; car on peut les regarder 1°. comme causes des maladies lorsqu’ils sont ou vicieux ou pris en trop grande quantité : 2°. comme remedes dans les maladies, ou comme faisant partie du régime que doivent tenir les malades pour obtenir leur guérison.

Des alimens considérés comme cause de maladies.

On peut considérer dans les alimens leur quantité, leur qualité, le tems de les prendre, les suites des alimens mêmes. Tous ces motifs peuvent faire envisager les alimens comme causes d’autant de maladies, & tendent à prouver que ce n’est pas sans raison que les plus grands Medecins insistent si fort sur la diete dans la pratique ordinaire de Medecine.

I. La quantité trop grande des alimens devient la cause de nombre de maladies En effet, les alimens amassés dans l’estomac en plus grande quantité qu’il n’en peut porter, causent à ce viscere un grand travail : la digestion devient pénible, les deux orifices du ventricule se trouvent fermés de maniere que les alimens ne peuvent en sortir ; ce qui excite des cardialgies, des douleurs dans l’épigastre, des gonflemens des hypochondres, des suffocations qui sont plus grandes lorsqu’on est couché sur le dos & sur le côté gauche ; parce que le diaphragme étant horisontal, le poids & la plénitude de l’estomac l’emportent sur la contraction de ce muscle, & le ventricule ne se vuide que par des convulsions, sans avoir changé le tissu des alimens ; ce qui cause des diarrhées, des lienteries, & des coliques avec dyssenterie. S’il passe dans les vaisseaux lactées quelques parties de ces alimens indigestes & non divisés, elles épaississent le chyle, comme nous l’allons voir.

II. La qualité vicieuse des alimens produit un effet encore plus dangereux : en se digérant ils se mêlent avec les humeurs à qui elles communiquent leur mauvaise qualité. Ces qualités sont l’alkalescence, l’acidité, la qualité rance, la viscosité & la glutinosité ; toutes ces qualités méritent l’attention des Praticiens, & font un des plus grands objets dans les maladies.

1°. Tous les alimens tirés du regne animal sont alkalins, de même que toutes les plantes légumineuses & cruciferes. Les chairs des animaux vieux ou fort exercés sont encore plus alkalines. Les sels volatils des parties des animaux s’exaltent de même que les huiles, & produisent l’effet des alkalis volatils. Voyez Alkali.

2°. L’acidité des alimens est occasionnée par les fruits acides, les herbes, les fruits d’été, les boissons acides, le lait, les vins acides, l’esprit-de-vin, la bierre, & enfin toutes les substances où l’acide domine. Cette acidité produit des maladies dans ceux où les organes sont trop foibles pour dénaturer ces acides & empêcher leur effet pernicieux. V. Acide.

3°. La qualité rance des alimens est sur-tout remarquable dans les chairs salées, le lard, les graisses trop vieilles, de même que les huiles ; elle est aussi produite par le séjour trop long de ces alimens dans l’estomac sans être digérés. Elle produit les mêmes maladies que l’alkalicité des humeurs, & demande les mêmes remedes.

4°. L’acrimonie muriatique est produite par les alimens salés, les poissons, les chairs salées, la grande quantité de sel dans les alimens & leur assaisonnement de trop haut goût : la quantité des épiceries & aromates engendrent des maladies qui dépendent de l’acrimonie muriatique, telles que le scorbut des pauvres & des gens de mer, & le scorbut des gens oisifs, & sur-tout des riches & des gens de Lettres. Voyez Scorbut & Acrimonie.

5°. La viscosité & la glutinosité se trouvent dans les alimens durs, ténaces, compacts, dont le suc est muqueux, visqueux & comme de la colle ; tels sont les viandes dures, les extrémités des animaux, les peaux, les cartilages, les tendons ; telles sont les plantes légumineuses, les féves & les pois, les féves de marais, &c. Cette viscosité produit les maladies de l’épaississement & de la viscosité des humeurs ; l’obstruction des petits vaisseaux, les flatuosités, les coliques venteuses & souvent bilieuses avec diarrhées.

Mais ces différentes sortes d’alimens ne produisent ces effets qu’à raison de leur trop grande quantité ou de la disposition particuliere du tempérament : d’ailleurs le défaut de boisson suffisante ou même le trop de boisson servent encore à diminuer les forces des organes de la digestion.

III. Le tems de prendre les alimens influe sur leur altération. Si on les prend lorsque l’estomac est plein & chargé de crudités ou de salure, ils ne servent qu’à l’augmenter : lorsque l’estomac est vuide, & leur quantité immoderée ou leur qualité vicieuse, ils ne peuvent produire que des effets pernicieux.

Si on mange après une grande évacuation de sang, de semence ou de quelqu’autre humeur, la digestion devient difficile à cause de la déperdition des esprits animaux.

3°. Lorsque l’on mange dans le tems de la fievre, alors les sucs digestifs ne peuvent se séparer par l’érétisme & la trop grande tension des visceres ; il se forme un nouveau levain qui entretient & augmente celui de la fievre.

La cure des maladies dont la cause est produite par les alimens, se réduit à enlever la salure qu’ils ont formée, à empêcher la régénération d’une nouvelle, & à fortifier l’estomac contre les effets produits, ou par la quantité ou par la qualité des alimens.

Le premier moyen consiste à employer les émétiques, si l’estomac est surchargé, selon la nature & la force du tempérament ; l’émétique est préférable aux purgatifs, d’autant que ceux-ci mêlent une partie de la salure dans le sang, & que l’émétique l’emporte de l’estomac & purge seul ce viscere de la façon la plus efficace. Cependant c’est au Médecin à examiner les cas, la façon & les précautions que demande l’émétique.

Le second moyen consiste à empêcher la salure ou les crudités de se former de nouveau ; les remedes les meilleurs sont le régime & la diete, qui consistent à éviter les causes dont on a parlé ci-dessus : ainsi on doit changer la quantité, la qualité des alimens, & les régler selon les tems indiqués par le régime. Voyez Régime. (N)

* Si certains alimens très-sains sont, par la raison qu’ils nourrissent trop, des alimens dangereux pour un malade, tout aliment en général peut avoir des qualités ou contraires ou favorables à la santé de celui qui se porte le mieux. Il seroit peut-être très-difficile d’expliquer physiquement comment cela se fait, ce qui constitue ce qu’on appelle le tempérament n’étant pas encore bien connu ; ce qui constitue la nature de tel ou tel aliment ne l’étant pas assez ; ni par conséquent le rapport qu’il peut y avoir entre tels & tels alimens & tels & tels tempéramens. Il y a des gens qui ne boivent jamais de vin, & qui se portent fort bien ; d’autres en boivent, & même avec excès, & ne s’en portent pas plus mal. Ce n’est pas un homme rare qu’un vieil ivrogne : mais comment arrive-t-il que celui-ci seroit enterré à l’âge de vingt-cinq ans, s’il faisoit même un usage modéré du vin, & qu’un autre qui s’enivre tous les jours parvienne à l’âge de quatre-vingts ans ? Je n’en sai rien : je conjecture seulement que l’homme n’étant point fait pour passer ses jours dans l’ivresse, & tout excès étant vraissemblablement nuisible à la santé d’un homme bien constitué, il faut que ceux qui font excès continuel de vin sans en être incommodés, soient des gens mal constitués, qui ont eu le bonheur de rencontrer dans le vin un remede au vice de leur tempérament, & qui auroient beaucoup moins vécu s’ils avoient été plus sobres. Une belle question à proposer par une Académie, c’est comment le corps se fait à des choses qui lui semblent très-nuisibles : par exemple, les corps des forgerons, à la vapeur du charbon, qui ne les incommode pas, & qui est capable de faire périr ceux qui n’y sont pas habitués ; & jusqu’où le corps se fait à ces qualités nuisibles. Autre question, qui n’est ni moins intéressante ni moins difficile, c’est la cause de la répugnance qu’on remarque dans quelques personnes pour les choses les meilleures & d’un goût le plus général ; & celle du goût qu’on remarque dans d’autres pour les choses les plus malsaines & les plus mauvaises.

Il y a selon toute apparence dans la nature un grand nombre de lois qui nous sont encore inconnues, & d’où dépend la solution d’une multitude de phénomenes. Il y a peut-être aussi dans les corps bien d’autres qualités ou spécifiques ou générales, que celles que nous y reconnoissons. Quoi qu’il en soit, on sait par des expériences incontestables qu’entre ceux qui nous servent d’alimens, ceux qu’on soupçonneroit le moins de contenir des œufs d’insectes, en sont imprégnés, & que ces œufs n’attendent qu’un estomac, & pour ainsi dire, un four propre à les faire éclorre. Voyez Mém. de l’Acad. 1730. page 217. & Hist. de l’Acad. 1707. page 9. où M. Homber dit qu’un jeune homme qu’il connossoit, & qui se portoit bien, rendoit tous les jours par les selles depuis quatre ou cinq ans une grande quantité de vers longs de cinq ou six lignes, quoiqu’il ne mangeât ni fruit ni salade, & qu’il eût fait tous les remedes connus. Le même Auteur ajoûte que le même jeune homme a rendu une fois ou deux plus d’une aune & demie d’un ver plat divisé par nœuds : d’où l’on voit, conclut l’Historien de l’Académie, combien il y a d’œufs d’insectes dans tous les alimens.

M. Lemery a prouvé dans un de ses Mémoires, que de tous les alimens ceux qu’on tire des végétaux étoient les plus convenables aux malades, parce qu’ayant des principes moins développés, ils semblent être plus analogues à la nature. Cependant le bouillon fait avec les viandes est la nourriture que l’usage a établie, & qui passe généralement pour la plus saine & la plus nécessaire dans le cas de maladie, où elle est presque toûjours la seule employée : mais ce n’est que par l’examen de ses principes qu’on se peut garantir du danger de la prescrire trop forte dans les circonstances où la diete est quelquefois le seul remede ; ou trop foible, lorsque le malade extenué par une longue maladie a besoin d’une nourriture augmentée par degrés pour réparer ses forces. Voilà ce qui détermina M. Geoffroy le cadet à entreprendre l’analyse des viandes qui sont le plus d’usage, & ce qui nous détermine à ajoûter ici l’analyse de la sienne.

Son procédé général peut se distribuer en quatre parties : 1°. par la simple distillation au bain-marie, & sans addition, il tire d’une certaine quantité, comme de quatre onces d’une viande crue, tout ce qui peut s’en tirer : 2°. il fait bouillir quatre autres onces de la même viande autant & dans autant d’eau qu’il faut pour en faire un consommé, c’est-à-dire, pour n’en plus rien tirer ; après quoi il fait évaporer toutes les eaux où la viande a bouilli, & il lui reste un extrait aussi solide qu’il puisse être, qui contient tous les principes de la viande, dégagés de phlegme & d’humidité : 3°. il analyse cet extrait, & sépare ces principes autant qu’il est possible : 4°. après cette analyse il lui reste encore de l’extrait une certaine quantité de fibres de la viande très-desséchées, & il les analyse aussi.

La premiere partie de l’opération est en quelque sorte détachée des trois autres, parce qu’elle n’a pas pour sujet la même portion de viande, qui est le sujet des trois dernieres. Elle est nécessaire pour déterminer combien il y avoit de phlegme dans la portion de viande qu’on a prise ; ce que les autres parties de l’opération ne pourroient nullement déterminer.

Ce n’est pas cependant qu’on ait par-là tout le phlegme, ni un phlegme absolument pur ; il y en a quelques parties que le bain-marie n’a pas la force d’enlever, parce qu’elles sont trop intimement engagées dans le mixte, & ce qui s’enleve est accompagné de quelques sels volatils, qui se découvrent par les épreuves chimiques.

La chair de bœuf de tranche, sans graisse, sans os, sans cartilages ni membranes, a donné les principes suivans : de quatre onces mises en distillation au bain-marie, sans aucune addition, il est venu 2. onces 6. gros 36. grains de plegme ou d’humidité qui a passé dans le récipient. La chair restée seche dans la cornue s’est trouvée réduite au poids d’une once 1. gros 36. grains. Le phlegme avoit l’odeur de bouillon. Il a donné des marques de sel volatil en précipitant en blanc la dissolution de mercure sublimé corrosif ; & le dernier phlegme de la distillation en a donné des marques encore plus sensibles en précipitant une plus grande quantité de la même dissolution. La chair desséchée qui pesoit 1. once 1. gros 36. grains, mise dans une cornue au fourneau de reverbere, a d’abord donné un peu de phlegme chargé d’esprit volatil, qui pesoit 1. gros 4. grains ; puis 3. gros 46. grains de sel volatil & d’huile fétide qui n’a pu s’en séparer. La tête morte pesoit 3. gros 30. grains : c’étoit un charbon noir, luisant & léger, qui a été calciné dans un creuset à feu très-violent. Ses cendres exposées à l’air se sont humectées, & ont augmenté de poids : lessivées, l’eau de leur lessive n’a point donné de marques de sel alkali, mais de sel marin, en précipitant en blanc la dissolution du mercure dans l’esprit de nitre. Elle n’a causé aucun changement à la dissolution du sublimé corrosif, si ce n’est qu’après quelque tems de repos il s’est formé au bas du vaisseau une espece de nuage, en forme de coagulum léger. Or nous ne connoissons jusqu’à présent que les sels qui sont de la nature du sel ammoniac, ou le sel marin, qui précipitent en blanc la dissolution de mercure par l’esprit de nitre, & seulement les terres absorbantes animales qui précipitent légerement la dissolution du sublimé corrosif.

Quatre onces de chair de bœuf séchée au bain-marie, ensuite arrosée d’autant d’esprit-de-vin bien rectifié, & laissée en digestion pendant un très-long tems, n’ont donné à l’esprit-de-vin qu’une foible teinture : l’esprit n’en a détaché que quelques gouttes d’huile ; la couleur qu’il a prise étoit rousse, & son odeur étoit fade. L’huile de tartre, mêlée avec cet esprit, en a développé une odeur urineuse : son mêlange avec la dissolution de mercure par l’esprit de nitre a blanchi ; il s’y est fait un précipité blanc jaunâtre ; puis cette liqueur est devenue ardoisée, à cause du sel ammoniac urineux dont l’esprit-de-vin s’étoit imbu. L’essai de cet esprit-de-vin, mêlé avec la dissolution du sublimé corrosif, a produit un précipité blanc qui est devenu un peu jaune : la précipitation ne s’est faite dans le dernier cas que par le développement d’une portion du sel volatil urineux, qui a passé dans l’esprit-de-vin avec le sel ammoniacal.

Quatre onces de chair de bœuf ayant été cuites dans un vaisseau bien fermé avec trois chopines d’eau, & la cuisson répétée six fois avec pareille quantité de nouvelle eau, tous les bouillons mis ensemble, & les derniers n’ayant plus qu’une odeur de veau très légere, on les a fait évaporer à feu lent ; on les a filtrés vers la fin de l’évaporation pour en séparer une portion terreuse, & il est resté dans le vaisseau un extrait médiocrement solide qui s’humectoit à l’air très-facilement & qui s’est trouvé peser 1 gros 56 grains ; c’est-à-dire, que quatre onces de bœuf bouilli donnant 1 gros 56 grains d’extrait, une livre de semblable bœuf eût donné 7 gros 8 grains de pareil extrait ; plus 11 onc. 16 gros 64 grains de phlegme, & 3 onces 2 gros de fibres dépouillées de tout suc. On conçoit que ce produit doit varier selon la qualité du bœuf. Au reste, le bouillon fait d’une bonne chair de bœuf, dénuée de membranes, de tendons, de cartilages, ne se met presque jamais en gelée : j’entens par gelée une masse claire & tremblante.

L’extrait de bœuf qui pesoit 1. gros 56. grains analysé, a fourni 1. gros 2. grains de sel volatil attaché aux parois du récipient, non en ramifications, comme ordinairement les sels volatils, mais en crystaux plats, formés pour la plûpart en parallélepipedes. L’esprit & l’huile qui sont venus ensemble après le sel volatil, pesoient 38. grains. Le sel fixe de tartre, mêlé avec ce sel volatil, a paru augmenter sa force, ce qui pourroit faire soupçonner ce dernier d’être un sel ammoniacal urineux. La tête morte ou le charbon resté dans la cornue, étoit très-rarefié & très léger ; il ne pesoit plus que six grains : sa lessive a précipité en blanc la dissolution de mercure, comme a fait la lessive de la cendre de chair de bœuf crue dont j’ai parlé ci-dessus. Les 6. gros 36. grains de la masse des fibres de bœuf desséchées, analysées de la même façon, ont rendu 2. gros d’un sel volatil de la forme des sels volatils ordinaires, & qui s’est attaché aux parois du récipient en ramifications, & mêlé d’un peu d’huile fétide assez épaisse, mais moins brune que celle de l’extrait qui a été tirée du bouillon. L’esprit qui étoit de couleur citrine, séparé de son huile, a pesé 36. grains ; la tête morte pesoit 1. gros 60. grains.

La lessive qu’on a faite après la calcination n’a pû altérer la dissolution du mercure par l’esprit de nitre, parce que lorsqu’on a analysé ces fibres de bœuf desséchées, elles étoient déjà dénuées, non-seulement de tout leur sel essentiel ammoniacal, mais encore de leur sel fixe, qui est de nature de sel marin, puisqu’elles ont passé pour la plus grande partie avec les huiles dans l’eau pendant la longue ébullition de cette chair. Cette lessive a seulement teint légerement de couleur d’opale la dissolution du sublimé corrosif ; preuve qu’il y restoit encore une portion huileuse. On sait que les matieres sulphureuses précipitent cette dissolution en noir ; ou plûtôt en violet foncé, dont la couleur d’opale est un commencement.

On connoît donc par l’analyse de l’extrait des bouillons, qu’il passe dans l’eau pendant l’ébullition de la chair de bœuf, un sel ammoniacal qu’on peut regarder comme le sel essentiel de cette viande, & qui paroît dans la distillation de l’extrait sous une forme différente de celui qu’on retire de la chair lorsqu’on la distille crue.

M. Geoffroy a fait les mêmes opérations sur la chair de veau, celle de mouton, celle de poulet, de coq, de chapon, de pigeon, de faisan, de perdrix, de poulet-d’inde ; & voici la table du produit de ses expériences.

Onces. Gros. Grains.
Chair de bœuf crue, distillée au bain marie.
Eau premiere.
Quatre onces de chair de bœuf ont donné de premiere humidité 2 6 36
Bœuf séché au bain-marie 1 1 36
Total 4
Extrait de bœuf bouilli.
Quatre onces de bœuf ont donné d’extrait 1 56
Les fibres séchées 6 36
Total 8 20
Eau tirée par le bain marie 2 6 36
A quoi il faut ajoûter un second flegme que le bain-marie n’a pû enlever 1 16
Total de l’humidité qui se trouve contenue dans quatre onc. de chair de bœuf, 2 onces 7 gros 52 grains.
Total 4
Poids des masses de la chair de bœuf pour une livre.
Une livre de seize onces contiendra en eau 11 6 64
En extrait 7 8
Fibres séchées 3 2
Total 16
Analyse de l’extrait de quatre onces de bœuf qui ont produit 1 gros 56 grains.
Sel volatil 1 2
Huile & esprit 38
Tête-morte ou charbon 6
Perte 10
Total 1 56
Analyse de six gros trente-six grains de fibres desséchées.
Sel volatil 2
Esprit volatil 36
Onces. Gros. Grains.
Tête-morte ou charbon 1 60
Perte 2 12
Total 6 36
Chair de veau crue.
Eau premiere.
Quatre onces de cette chair ont donné de premiere humidité 2 6 54
Veau séché au bain-marie 1 1 18
Total 4
Extrait de veau.
Quatre onces de veau ont produit d’extrait 2 30
Les fibres séchées 5 62
Eau par le bain-marie 2 6 54
Total 3 7 2
A quoi il faut ajoûter un second flegme que le bain-marie n’a pû enlever, ou la perte 70
Total 70
Eau de la premiere évaporation 2 6 54
Eau de la seconde évaporation 70
Total 2 7 52
Poids des masses de la chair de veau pour une livre.
Une livre de seize onces contiendra
En eau 11 6 64
En extrait 1 1 48
Fibres séchées 2 7 32
Total 16
Analyse de l’extrait de 4 onces de veau, 2 gros 30 grains.
Sel volatil 1 12
Huile & esprit
Tête-morte 1
Perte 18
Total 2 30
Analyse de cinq gros 62 grains de fibres de veau desséchées.
Sel volatil 1 66
Huile & esprit 1 37
Tête-morte 2 18
Perte 13
Total 5 62
Chair de mouton distillée au bain-marie.
Eau premiere.
Quatre onces de cette chair ont donné
de premiere humidité 2 6 30
Mouton séché au bain-marie 1 1 42
Total 4
Extrait de mouton bouilli.
Quatre onces de mouton ont produit 2 58
Fibres séchées 5 60
Eau par le bain-marie 2 6 30
Total 3 7 4
A quoi il faut ajoûter un second flegme que le bain-marie n’a pû enlever 68
Total 4
Onces. Gros. Grains.
Poids de masses pour une livre.
Une livre de 16 onces contiendra,
En eau 11 5 32
En extrait 1 3 16
Fibres séchées 2 7 24
Total 16
Analyse de l’extrait de 4 onc. de mouton, 2 gros 58 grains.
Sel volatil 1
Huile & esprit 1
Tête-morte 54
Perte 4
Total 2 58
Analyse de 5 gros 60 grains de fibres desséchées.
Sel volatil & huile inséparable 3 12
Esprit 24
Tête-morte 2
Perte 24
Total 5 60
Chair d’agneau : une livre de chair sans graisse.
Extrait difficile à sécher & toûjours humide 1 1 39
Poulet : chair & os, 9 onces 4 gros 48 grains.
Eau 6 6 44
Extrait 7 36
Fibres charnues & os séchés après l’extrait 1 6 40
Total 9 4 48
Analyse de 7 gros 36 grains d’extrait de poulet.
Esprit, huile & flegme 4 15
Sel volatil & huile 58
Tête-morte 2 20
Perte 15
Total 7 36
Analyse des fibres desséchées du poulet, 6 gros 18 grains.
Esprit & huile épaisse 3 34
Sel volatil 1
Tête-morte 1 6
Perte 50
Total 6 18
Analyse des os de poulet après l’ébullition, 3 gros 9 grains.
Esprit, huile, & sel volatil 69
Tête-morte 2 8
Perte 4
Total 3 9
Vieux coq, pesant 2 liv. 2 onces 6 gros.
Extrait gélatineux sec 4 7 66
Chapon : chair de chapon dégraissé, 1 liv. 2 onces 2 gros 48 grains.
Extrait difficile à sécher. 1 5
Pigeons de voliere : deux pigeons pesant 14 onces.
Extrait solide en tablettes 7 35
Onces. Gros. Grains.
Faisan : chair de faisan, pesant 2 liv. avec les os.
Extrait mou 2 4 16
Fibres séchées avec les os 9 2 32
Eau 20 1 24
Total 32
Analyse de simple chair de faisan, 4 onces.
Eau 2 6 36
Esprit & huile 4
Sel volatil 2 36
Tête-morte 2 48
Perte 24
Total 4
Analyse de l’extrait de faisan, 1 gros 56 grains.
Esprit & huile 46
Sel volatil 36
Tête-morte 36
Perte 8
Total 1 56
Fibres séchées de faisan sans os, 6 gros 36 grains.
Esprit, sel volatil, & huile épaisse 5 10
Tête-morte 1 12
Perte 14
Total 6 36
Perdrix : deux vieilles perdrix, pesant 1 liv. 2 onces 5 gros.
Extrait huileux ou gras & humide 1 6 30
Poulet d’Inde : un poulet d’Inde, pesant 9 liv.
Extrait gras & huileux, quoiqu’en tablettes 12 43
Cœurs de veaux.
Deux cœurs de veaux, pesant onze onces 4 gros, ont rendu d’extrait qui n’a pû se mettre en gelée, ni se sécher 3 60
Foie de veau : un foie pesant 2 livres 7 gros.
Extrait qui s’humectoit 2 1 60
Pié de veau : huit piés, pesant 6 liv. 8 onces.
Eau 3 liv. 5 4 45
Extrait gommeux & sec 8 3 27
Os humides au sortir du bouillon, avec cartilages 2 10
Total 6 8
Analyse d’une once d’extrait gommeux & sec de piés de veau.
Esprit & huile 3
Sel volatil 2 18
Tête-morte 2 25
Perte 29
Total 1
Onces. Gros. Grains.
Macreuses : deux macreuses du poids de 2 liv. 7 onces.
Extrait solide qui s’humecte au changement des tems 2 liv. 1 50

Les doses d’extraits marquées dans ces Tables, mettent en état de ne plus faire au hasard des mêlanges de différentes viandes sans savoir précisément ce qu’on y donne ou ce qu’on y prend de nourriture.

Ces doses sont les doses extrèmes, c’est-à-dire qu’elles supposent qu’on a tiré de la viande tout ce qui pouvoit s’en tirer par l’ébullition. Mais les bouillons ordinaires ne vont pas jusques-là, & les extraits qui en viendroient seroient moins forts. M. Geoffroy en les réduisant à ce pié ordinaire, trouve qu’on a encore beaucoup de tort de craindre, comme on fait communément, que les bouillons ne nourrissent pas assez les malades. La Medecine d’aujourd’hui tend assez à rétablir la diete austere des Anciens, mais elle a bien de la peine à obtenir sur ce point une grande soûmission.