L’Encyclopédie/1re édition/ACIDE
ACIDE, adj. qui se prend quelquefois subst. (Ord. Encyclop. Entendem. Science de la Nat. Chim.) ce qui pique la langue & lui cause en même tems un sentiment d’aigreur. Voyez Goût, Acidité.
On divise ordinairement les acides en manifestes & cachés.
Les acides manifestes sont ceux que nous venons de définir, savoir ceux qui causent une impression sensible. Tels sont le vinaigre, & l’esprit de vinaigre ; les sucs de pomme sauvage, de citrons, d’oranges, de limons, d’épine-vinette, de tamarins, & des fruits qui ne sont pas murs : l’esprit d’alun, l’esprit de vitriol, l’esprit de soufre, tiré par la cloche, l’esprit de sel, &c. sont autant d’acides manifestes. Voyez Vinaigre, Nitre, Vitriol, Alun, Soufre, &c.
Les acides cachés sont ceux qui n’ont pas assez d’acidité pour se faire sentir au goût, mais qui ressemblent aux acides manifestes par d’autres propriétés suffisantes pour les mettre au rang des acides.
Il paroît par-là qu’il y a des caracteres d’acidité plus généraux que celui d’un goût aigre, quoique l’on considere principalement ce goût, en parlant des acides.
La grande marque, ou la marque générale à laquelle on reconnoît les acides, c’est l’effervescence qui se fait lorsqu’on les mêle avec une autre sorte de corps appellés alkalis. Voyez Effervescence & Alkali.
Cependant il ne faut pas toûjours s’arrêter à cette seule propriété pour déterminer qu’une substance est acide, parce que tout acide ne fait pas effervescence, ou ne fermente pas avec tout alkali ; il est des acides que le goût seul fait connoître mieux qu’aucune autre épreuve. Les acides se reconnoissent encore à quelques changemens de couleur qu’ils causent a certains corps. Par exemple, pour éprouver un acide caché, mettez-le avec une teinture bleue de quelque végétal, comme sera une infusion, ou du sirop de violettes délayé dans de l’eau ; si la teinture bleue devient rouge par ce mêlange, c’est une marque d’acidité ; & la teinture bleue deviendra plus ou moins rouge, selon que le corps qu’on éprouvera par son moyen sera plus ou moins acide. Si au contraire la teinture bleue devenoit verte, c’est une preuve d’alkalicité.
Tout ce qui est acide est sel, ou ce qui fait l’acidité de tout corps acide ou aigre, est sel. On peut même dire que l’acide fait l’essence de tout sel, non-seulement de tout sel acide, comme on le comprend aisément, mais encore de tout sel moyen, & même, ce qui paroîtra d’abord extraordinaire, de tout sel alkali. Les sels moyens ne sont sels que par leur acide, joint à une terre particuliere qui l’a adouci ; ce qui forme une matiere qui n’est ni acide ni alkaline, & qu’on nomme pour cette raison, sel moyen, ou neutre.
Les alkalis ne sont sels, que par un peu d’acide concentré par la fusion dans beaucoup de terre absorbante, qui par ce mélange intime avec l’acide, est dissoluble, & a de la saveur, en un mot, est saline.
Les acides sont ou minéraux, comme est celui du sel commun ; ou végétaux, comme est le vinaigre ; ou animaux, comme est l’acide des fourmis.
Il y a trois especes différentes d’acides minéraux ; savoir, l’acide vitriolique, l’acide du nitre, & l’acide du sel commun.
L’acide vitriolique se trouve dans les vitriols, dans l’alun, dans le soufre minéral, &c. l’acide vitriolique joint à un fer dissout ou mêlé avec de l’eau, & un peu de terre, forme le vitriol verd, ferrugineux, comme est le vitriol d’Angleterre, celui de Liége, &c.
Lorsque l’acide vitriolique est joint de même à du cuivre, il en résulte un vitriol bleu, tel qu’est la couperose bleue, ou vitriol de Chypre.
On croit que la base métallique du vitriol blanc est le zinc ; & je soupçonne que le peu de terre qui entre dans la composition des vitriols, est alkaline, & de la nature de la base du sel commun ; c’est ce qui fait qu’il y a un peu de sel commun dans le vitriol. Voyez Vitriol, Couperose.
L’acide vitriolique incorporé avec une terre de la nature de la craie, mêlée avec un peu de la base du sel commun, & avec une très-petite quantité de bitume, fait l’alun. Voyez Alun.
L’acide vitriolique combiné avec un peu de bitume, donne le soufre minéral. Il faut très-peu de bitume pour ôter à l’acide vitriolique sa fluidité, & pour lui donner une consistance de corps solide, telle qu’est celle du soufre. Il faut bien peu de ce soufre aussi pour faire perdre au mercure sa fluidité, & pour le fixer en quelque sorte, ce qui fait le cinnabre. V. Soufre, Cinnabre.
On peut dire la même chose de l’acide du sel commun : il donne différens sels. Voyez l’analyse des eaux de Plombieres dans les Memoires de l’Académie Royale des Sciences, de l’année 1746.
L’acide du sel commun, incorporé naturellement avec une terre alkaline de la nature de la soude, constitue le sel gemme, qui se trouve en especes de carrieres ou de mines en différentes parties du globe terrestre ; ce qui fait les fontaines & les puits salés lorsque l’eau traverse des terres salées. V. Salines.
L’acide du sel commun joint ainsi à cette terre alkaline, & de plus intimement mêlé avec des matieres grasses qui résultent du bitume & de la pourriture des plantes & des animaux qui vivent & meurent dans la mer, forme le sel marin.
L’acide marin incorporé à une grande quantité de matiere bitumineuse & à très-peu de terre alkaline, donne un petit sel grenu, qu’il est impossible de mettre en crystaux distincts. Voyez Sel commun.
L’acide nitreux, qui est l’eau forte ou l’esprit de nitre, joint à une terre alkaline semblable au sel alkali du tartre, forme le nitre, qu’on nomme vulgairement salpetre ; & cette sorte de nitre est différente encore selon différentes combinaisons : quoiqu’en général le salpetre de houssage, le nitre fossile des mines & notre nitre, ne different pas entre eux essentiellement, ils ne sont cependant pas absolument les mêmes.
L’acide nitreux est naturellement combiné avec un principe gras, qui donne à l’esprit de nitre lorsqu’il est en vapeurs dans le balon pendant la distillation, une couleur rouge orangée, qui le distingue dans la distillation de tous les autres acides & esprits. Cette couleur rouge des vapeurs de l’esprit de nitre lui a fait donner par les Alchimistes le nom de sang de la salamandre. Voyez Nitre.
C’est aussi l’acide qui fait l’essence saline des sels des végétaux. Les sels de la terre dissous dans l’eau, que les plantes en tirent pour leur accroissement & pour leur entretien, deviennent propres à la plante qui les reçoit. Ce qui forme les sels de la terre, sont les acides minéraux dont nous venons de parler. Les plantes tirent l’un ou l’autre de ces sels, suivant qu’ils se trouvent plus dans la terre où elles sont plantées, & selon les différentes especes de plantes ; c’est pourquoi il y a des plantes dont on tire du tartre vitriolé, comme sont les plantes aromatiques, le romarin, &c. d’autres desquelles on tire un sel nitreux, comme sont les plantes rafraîchissantes, la pariétaire, &c. Il y a des plantes qui donnent beaucoup de sel commun ; ce sont les plantes marines, comme est le kali.
Comme les végétaux tirent leur salure de la terre où ils sont plantés, les animaux s’approprient les sels des plantes dont ils se nourrissent : c’est pourquoi il y a dans les animaux de l’acide vitriolique, de l’acide nitreux, & de l’acide du sel commun. V. la Chimie Medicinale, Partie II. chap. j.
On ne doit pas révoquer en doute qu’il y a de l’acide dans les animaux : les sages Medecins reconnoissent avec Hippocrate qu’il y a dans l’homme du doux, de l’amer, du salé, de l’acide, & de l’acre. Tant que ces choses, qui sont de qualités différentes, ne sont point à part, en dépôt, & qu’elles sont proportionnées entre elles, & dans un mouvement naturel, elles font la santé : si au contraire elles dominent sensiblement les unes sur les autres, qu’elles restent en repos, & qu’elles soient dans un trop grand mouvement, elles produisent la maladie, & l’espece de la maladie est différente, selon la différente nature de ce qui domine, & selon la différente partie où il se porte.
Il y a dans les animaux plus ou moins de salure, & par conséquent plus ou moins d’acide, comme le prouvent plusieurs opérations de Chimie, & particulierement celle du phosphore ; & cette salure est différente dans les différentes especes d’animaux : elle est dans la plûpart, de la nature du sel ammoniac, ou de celle du nitre. Il y a aussi des animaux dont la salure approche plus de l’acidité, & cette acidité est volatile, comme on peut le reconnoître dans les fourmis.
Les acides sont ou fixes, comme est l’acide du vitriol, le tartre ; ou volatils, comme sont les esprits sulphureux, les esprits fumans, & l’esprit de fourmis.
En général, les acides sont plus pesans que ne sont les sels neutres & les alkalis.
Les acides sont fort utiles en medecine, comme est celui du citron, de l’épine-vinette, de la groseille & du vinaigre ; on peut mettre au nombre des remedes acides, l’eau de Rabel, l’esprit de nitre dulcifié, & l’esprit de sel dulcifié, qui sont d’un bon usage pour la guérison de plusieurs maladies.
Les acides coagulent les liqueurs animales, comme on le voit arriver au lait quand on y mêle quelque acide : c’est pourquoi on se sert des acides pour prévenir la dissolution du sang sur la fin des fievres ardentes, lorsqu’il s’est formé dans les humeurs du malade un acre urineux qui vise à l’alkali. C’est pourquoi Hippocrate recommandoit les acides dans ces cas.
Les acides temperent l’effervescence de la bile & du sang ; c’est ce qui les rend utiles à ceux qui ont le visage rouge par trop de chaleur : & au contraire les acides sont nuisibles à ceux qui ne sont point ainsi échauffés, ou qui ont des sentimens de froid dans les chairs, & qui ont le visage pâle.
Dans certains cas les acides font atténuans & apéritifs ; comme lorsqu’il y a des humeurs glaireuses ou couenneuses avec chaleur : alors les acides agissant sur les fibres, sont des remedes toniques qui les excitent à briser les liqueurs visqueuses.
Les acides sont les corps les plus pénétrans par rapport au tissu & à la forme de leurs parties, comme les fluides sont aussi les corps les plus pénétrans par rapport à la petitesse & à la mobilité de leurs parties ; de sorte que des acides en liqueur sont ce qu’il y a de plus propre à pénétrer & à dissoudre : c’est pourquoi on est quelquefois obligé d’ajoûter de l’eau aux eaux-fortes dont on se sert pour dissoudre les métaux, non pas pour affoiblir ces eaux-fortes, comme on le dit ordinairement, au contraire c’est pour les rendre plus fortes en leur donnant plus de fluidité.
Les acides minéraux sont des dissolvans plus forts que les acides végétaux, & les acides végétaux plus forts que les acides animaux.
Cela est vrai en général, mais souffre des exceptions particulieres par rapport à différens corps qui se dissolvent plus aisément par des acides plus foibles, c’est-à-dire qui sont réputés plus foibles, parce qu’ils dissolvent moins de corps, & les dissolvent moins fortement que ne les dissolvent les acides plus forts, comme sont les acides minéraux, qui sont nommés pour cela eaux-fortes.
Les autres acides, même les acides animaux, sont plus forts pour dissoudre certains corps que ne le sont les eaux-fortes. On a un exemple de cela dans la dissolution de l’ivoire par le petit-lait. Le petit-lait aigre dissout les os, les dents, & l’ivoire.
Nous avons expliqué plus haut comment les acides les plus forts, comme sont les eaux-fortes, perdent leur force & s’adoucissent par les alkalis, en devenant simplement des corps salés. Nous devons ajoûter ici que les acides s’adoucissent encore davantage par les corps huileux, comme est l’esprit de vin : les acides ainsi joints à une matiere grasse, font des savons acides, comme les alkalis joints à des matieres grasses, font les savons alkalis, qui sont les savons ordinaires.
Les acides dulcifiés sont des liqueurs fort agréables. L’esprit de nitre ou l’eau-forte qui a une odeur insupportable, devient très-agréable lorsque cet acide est mêlé avec un peu d’esprit de vin ; & l’odeur qui en résulte, ne tient ni de celle de l’eau-forte, ni de celle de l’esprit de vin.
Les liqueurs les plus douces, comme sont les différens laits, & les plus agréables, comme sont les différens vins, sont des acides adoucis.
C’est sur-tout des différentes proportions de l’acide & de l’huile, & de leurs différentes combinaisons, que dépendent les différentes qualités des vins. (M)
Acides, adj. pris subst. (Medecine.) Les acides sont regardés avec raison par les Medecins comme une des causes générales des maladies. Les acides occasionnent divers accidens selon les parties qu’ils occupent. Tant qu’ils sont contenus dans le ventricule, ils causent des rapports aigres, un sentiment de faim, des picotemens douloureux, qui produisent même la cardialgie : parvenus aux intestins, dans le duodenum, ils diminuent l’action de la bile ; dans les autres ils produisent la passion iliaque, les spasmes ; en resserrant l’orifice des vaisseaux lactées, ils donnent naissance à des diarrhées chroniques, qui souvent se terminent en dyssenteries : lorsqu’ils se mêlent avec le sang, ils en alterent la qualité, y produisent un épaississement, auquel la lymphe qui doit servir de matiere aux secrétions, se trouve aussi sujette : de là naissent les obstructions dans les glandes du mesentere ; maladie commune aux enfans, les fibres dont leurs parties sont composées, étant encore trop molles pour émousser les pointes des acides qui se rencontrent dans la plûpart des alimens qu’ils prennent. Les gens sédentaires & qui travaillent beaucoup dans le cabinet, se trouvent souvent attaqués des maladies que produit l’acrimonie acide ; la dissipation & l’exercice étant très-nécessaires pour prévenir ces maladies en augmentant la transpiration. Les pâles-couleurs auxquelles les filles sont si sujettes lorsque leurs regles n’ont point encore paru, ou ont été supprimées par quelque accident, sont aussi des suites de l’acrimonie acide ; ce qui leur occasionne l’appétit dépravé qu’elles ont pour le charbon, la craie, le plâtre, & autres matieres de cette espece, qui sont toutes absorbantes & contraires aux acides.
L’on vient à bout de détruire les acides, & d’arrêter le ravage qu’ils peuvent faire, lorsque l’on s’apperçoit de bonne-heure de leur existence dans l’estomac, en les évacuant en partie par le moyen des émétiques, auxquels on fait succéder l’usage des absorbans, les remedes apéritifs & martiaux, qui sont tous très-propres pour donner du ressort aux parties solides, & de la fluidité aux liqueurs ; enfin en mettant en usage les remedes, qui fermentant promptement avec les acides, forment des sels d’une nature particuliere, & qui ont une vertu stimulante, diaphorétique, & capable de résoudre les obstructions.
Tous ces remedes doivent être administrés avec soin, & l’on doit toûjours avoir égard aux forces, à l’âge, au tempérament, & au sexe des malades. (N)