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en certains cas la solution du problème dont il est question, ne se refusât entierement à l’analyse. C’est aux Savans à prononcer sur ce point ; je croirois avoir travaillé fort utilement, si j’étois parvenu dans une matiere si difficile, soit à fixer moi-même, soit à faire trouver à d’autres jusqu’où peut aller la théorie, & les limites où elle est forcée de s’arrêter.

Quand je parle ici des bornes que la théorie doit se prescrire, je ne l’envisage qu’avec les secours actuels qu’elle peut se procurer, non avec ceux dont elle pourra s’aider dans la suite, & qui sont encore à trouver : car en quelque matiere que ce soit, on ne doit pas trop se hâter d’élever entre la nature & l’esprit humain un mur de séparation. Pour avoir appris à nous méfier de notre industrie, il ne faut pas nous en méfier avec excès. Dans l’impuissance fréquente que nous éprouvons de surmonter tant d’obstacles qui se présentent à nous, nous serions sans doute trop heureux, si nous pouvions au moins juger du premier coup-d’œil jusqu’où nos efforts peuvent atteindre. Mais telle est tout à-la-fois le force & la foiblesse de notre esprit, qu’il est souvent aussi dangereux de prononcer sur ce qu’il ne peut pas que sur ce qu’il peut. Combien de découvertes modernes dont les anciens n’avoient pas même l’idée ? Combien de découvertes perdues, que nous contesterions peut-être trop legerement ? & combien d’autres que nous jugerions impossibles, sont reservées pour notre postérité ?

Voilà les vûes qui m’ont guidé, & l’objet que je me suis proposé dans mon ouvrage qui a pour titre : Essai d’une nouvelle théorie de la résistance des fluides. Pour rendre mes principes encore plus dignes de l’attention des Physiciens & des Géometres, j’ai crû devoir indiquer en peu de mots, comment ils peuvent s’appliquer à différentes questions, qui ont un rapport plus ou moins immédiat à la matiere que je traite ; telles que le mouvement d’un fluide qui coule soit dans un vase, soit dans un canal quelconque ; les oscillations d’un corps qui flote sur un fluide, & d’autres problèmes de cette espece.

J’aurois desiré pouvoir comparer ma théorie de la résistance des fluides, aux expériences que plusieurs physiciens célebres ont faites pour la déterminer : mais après avoir examiné ces expériences, je les ai trouvées si peu d’accord entr’elles, qu’il n’y a ce me semble encore aucun fait suffisamment constaté sur ce point. Il n’en faut pas davantage pour montrer combien ces expériences sont délicates ; aussi quelques personnes très-versées dans cet art, ayant entrepris depuis peu de les recommencer, ont presque abandonné ce projet par les difficultés de l’exécution. La multitude des forces, soit actives, soit passives, est ici compliquée à un tel degré, qu’il paroît presque impossible de déterminer séparément l’effet de chacune ; de distinguer, par exemple, celui qui vient de la force d’inertie d’avec celui qui résulte de la tenacité, & ceux-ci d’avec l’effet que peut produire la pesanteur & le frotement des particules : d’ailleurs quand on auroit démêlé dans un seul cas les effets de chacune de ces forces, & la loi qu’elles suivent, seroit-on bien fondé à conclure, que dans un cas où les particules agiroient tout autrement, tant par leur nombre que par leur direction, leur disposition & leur vîtesse, la loi des effets ne seroit pas toute différente ? Cette matiere pourroit bien être du nombre de celles où les expériences faites en petit n’ont presque aucune analogie avec les expériences faites en grand, & les contredisent même quelquefois, où chaque cas particulier demande presqu’une expérience isolée, & où par conséquent les résultats généraux sont toûjours très-fautifs & très-imparfaits.

Enfin la difficulté fréquente d’appliquer le calcul

à la théorie, pourra rendre souvent presque impraticable la comparaison de la théorie & de l’expérience : je me suis donc borné à faire voir l’accord de mes principes avec les faits les plus connus, & les plus généralement avoüés. Sur tout le reste, je laisse encore beaucoup à faire à ceux qui pourront travailler d’après mes vûes & mes calculs. On trouvera peut-être ma sincérité fort éloignée de cet appareil, auquel on ne renonce pas toûjours en rendant compte de ses travaux ; mais c’est à mon ouvrage seul à se donner la place qu’il peut avoir. Je ne me flate pas d’avoir poussé à sa perfection une théorie que tant de grands hommes ont à peine commencée. Le titre d’essai que je donne à cet ouvrage, répond exactement à l’idée que j’en ai : je crois être au moins dans la véritable route ; & sans oser apprétier le chemin que je puis y avoir fait, j’applaudirai volontiers aux efforts de ceux qui pourront aller plus loin que moi ; parce que dans la recherche de la vérité, le premier devoir est d’être juste. Je crois encore pouvoir donner aux Géometres, qui dans la suite s’appliqueront à cette matiere, un avis que je prendrai le premier pour moi-même ; c’est de ne pas ériger trop legerement des formules d’algebre en vérités ou propositions physiques. L’esprit de calcul qui a chassé l’esprit de système, regne peut-être un peu trop à son tour : car il y a dans chaque siecle un goût de philosophie dominant ; ce gout entraîne presque toûjours quelques préjugés, & la meilleure philosophie est celle qui en a le moins à sa suite. Il seroit mieux sans doute qu’elle ne fût jamais assujettie à aucun ton particulier ; les différentes connoissances acquises par les Savans en auroient plus de facilité pour se rejoindre & former un tout. Mais c’est un avantage que l’on ne peut guere espérer. La Philosophie prend, pour ainsi dire, la teinture des esprits où elle se trouve. Chez un métaphysicien, elle est ordinairement toute systématique ; chez un géometre, elle est souvent toute de calcul. La méthode du dernier, à parler en général, est sans doute la plus sûre ; mais il ne faut pas en abuser, & croire que tout s’y réduise : autrement nous ne ferions de progrès dans la Géométrie transcendante que pour être à proportion plus bornés sur les vérités de la Physique. Plus on peut tirer d’utilité de l’application de celle-là à celle-ci, plus on doit être circonspect dans cette application. Voy. Application. Voyez aussi l’article Résistance, & la préface de mon Essai d’une nouvelle théorie de la résistance des fluides, d’où ces réflexions sont tirées. On y trouvera un plus grand détail sur cet objet ; car il est tems de mettre fin à cet article. (O)

FLUIDITÉ, s. f. en Physique, est cette propriété, cette affection des corps, qui les fait appeller ou qui les rend fluides. Voyez Fluide.

Fluidité est directement opposée à solidité. Voyez Solidité.

Fluidité est distinguée d’humidité, en ce que l’idée de la premiere propriété est absolue, au lieu que l’idée de la derniere est relative, & renferme l’idée d’adhérence à notre corps, c’est-à-dire de quelque chose qui excite ou peut exciter en nous la sensation de moiteur, qui n’existe que dans nos sens. Ainsi les métaux fondus, l’air, la matiere éthérée, sont des corps fluides, mais non humides ; car leurs parties sont seches, & n’impriment aucun sentiment de moiteur. Il est bon de remarquer que liquide & humide ne sont pas absolument la même chose ; le mercure, par exemple, est liquide sans être humide. Voyez Liquide & Humide.

Enfin liquide & fluide ne sont pas non plus absolument synonymes ; l’air est un fluide sans être un liquide. &c. Voyez la fin de cet article.

Les Gassendistes & les anciens philosophes corpusculaires ne supposent que trois conditions essen-