Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 6.djvu/620

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le plus haut terme n’est, dans aucun cas, assez considérable pour nuire à la perfection absolue de l’opération ; & le trop foible n’a jamais d’autre inconvénient que de la suspendre : les seules fermentations vineuses méritent d’être exécutées à un degré plus constant. Voyez Fermentation.

Le second degré commence à la chaleur sensible pour nos corps, & s’étend jusqu’à la chaleur presque suffisante pour faire bouillir l’eau : c’est à ce degré que s’exécutent les digestions, les infusions, la plûpart des dissolutions aidées par un feu sensible, les dessications des plantes & des substances animales, les évaporations, distillations, & toutes les cuites pharmaceutiques exécutées au bain-marie, les fermentations faites à l’étuve, quelques distillations à feu nud, telle que celle du vinaigre, &c. voyez ces articles.

Le bain-marie fournit un moyen aussi sûr que commode d’obtenir ce degré de feu, dont le plus ou le moins d’intensité n’est pas d’une plus grande conséquence que les variations du même genre du degré précédent.

Le troisieme degré est celui de l’eau bouillante ; celui-ci est fixe & invariable : on exécute à ce degré toutes les decoctions des substances végétales & animales, la distillation des plantes avec l’eau, la cuite des emplâtres dans lesquelles entrent des chaux de plomb qu’on ne veut pas brûler. On peut compter encore parmi les opérations exécutées à ce degré, la distillation du lait, & celle du vin ; parce que la chaleur qui fait bouillir le lait & le vin, ne differe pas beaucoup de celle qui fait bouillir l’eau.

L’application de l’eau bouillante ou de la vapeur de l’eau bouillante à un vaisseau, ne communique jamais aux matieres contenues dans ce vaisseau une chaleur égale à celle de cette eau ou de cette vapeur ; c’est un fait observé, & dont la raison se déduit bien simplement des lois de la communication de la chaleur généralement connues : c’est en consequence de ces observations que nous avons rangé le bain-marie parmi les moyens d’appliquer aux sujets chimiques un degré de chaleur inférieur à celui de l’eau bouillante. Ce n’est pas ici une observation de pure précision ; elle est au contraire immédiatement applicable à la pratique, & d’autant plus nécessaire que les auteurs ne s’expliquent pas assez clairement sur la détermination de ce degré. La chaleur du bain-marie bouillant est communément désignée par le nom de chaleur de l’eau bouillante.

Cependant si quelqu’un, après avoir vû dans un livre qu’au degré de l’eau bouillante les huiles essentielles s’élevent, que les sucs des viandes en sont extraits par l’eau, &c. si cet homme, dis-je, s’avisoit en conséquence de ces connoissances, de distiller au bain-marie une plante aromatique, pour en séparer l’huile essentielle, ou de mettre son pot au bain-marie, & non pas au feu, il n’obtiendroit point d’huile, & il feroit un très-mauvais bouillon.

Nous avons déjà observé que ce troisieme degré étoit fixe & invariable ; il devient par-là extrèmement commode dans la pratique, comme nous l’avons déjà dit du bain-marie ; & il l’est d’autant plus que c’est heureusement à ce degré de chaleur que se fait la séparation & la combinaison de certaines substances que leurs usages pharmaceutiques ou économiques nous obligent de traiter en grand ; & qu’un feu moins constant, & qui pourroit devenir quelquefois trop fort, altereroit la perfection de ces matieres, procureroit, par exemple, des eaux distillées qui sentiroient l’empyreume, des emplâtres brûlées, &c.

Le quatrieme degré de feu chimique est plus étendu ; il comprend tout le reste de sa latitude depuis

la chaleur de l’eau bouillante jusqu’à l’extrème violence du feu, toutes les vraies altérations chimiques opérées sur les substances métalliques, sur les terres, sur les pierres, sur les sels par le moyen du feu seul : les dissolutions par les menstrues salins, liquides, bouillans, ou par les menstrues ordinairement consistans mis en fusion ; & enfin la décomposition des substances végétales & animales, par le moyen du feu seul, demandent ce dernier degré. La latitude immense de ce degré doit laisser un sujet d’inquiétude au chimiste apprentif sur des subdivisions qu’il desireroit, & dont, si par hasard il a quelque teinture de Physique expérimentale, il pourra bien imaginer sur le champ des mesures exactes, différens thermometres & pyrometres bien gradués, bien sûrs ; mais ces moyens lui paroîtront aussi inutiles qu’impraticables, dès qu’il aura appris par sa propre expérience combien il est facile, sur ce point important de manuel chimique, comme sur tant d’autres de la même classe, d’acquérir par l’exercice le coup-d’œil ou l’instinct d’ouvrier ; combien l’aptitude que ce coup-d’œil donne est supérieure, même pour la précision, à l’emploi des moyens physiques, & enfin combien la lenteur & la minutie de ces derniers moyens les rendent peu propres à diriger l’emploi journalier du principal instrument d’un art. Je renvoye encore sur ce point à l’expérience ; car vraissemblablement on ne persuadera jamais par raisons à un savant, tel que je suppose notre éleve, que les moyens de déterminer rigoureusement les variations d’un agent physique, mis en œuvre dans un art quelconque, puissent être de trop, & que les descriptions exactes, & pour ainsi dire notées, des opérations de cet art qu’on pourroit se procurer par là, soient un bien absolument illusoire. Voyez l’art. Chimie, pag. 420. col. 2.

Ce que nous venons de dire de l’inutilité pratique des mesures physiques de la chaleur, n’empêche point qu’on ne fût très-sage d’y avoir recours, si dans un procédé nouveau & extrèmement délicat, la nécessité d’avoir des degrés de feu déterminés rigoureusement, constans, invariables, l’emportoit sur l’incommodité de ces mesures. Les bains bouillans d’huile, de lessive plus ou moins chargée, de mercure, & même de diverses substances métalliques tenues en fusion par l’application de la plus grande chaleur dont elles seroient susceptibles ; ces bains, dis-je, fourniroient un grand nombre de divers degrés fixes & constans, & qu’on pourroit varier avec la plus grande précision : mais les cas où il seroit nécessaire de recourir à ces expédiens sont très-rares, si même ils ne sont pas de pure spéculation, & par conséquent ils ne constituent pas le fond de l’art, rara non sunt artis.

Gouvernement du feu. Le gouvernement ou le régime du feu, qui fait le grand art du chimiste praticien, porte sur deux points généraux : savoir le choix du degré ou des diverses variations méthodiques des degrés propres à chaque opération, & au traitement de chaque substance particuliere ; & la connoissance des moyens de produire ces divers degrés.

Nous avons répandu dans divers articles chimiques de ce Dictionnaire, les connoissances de détail que l’expérience a fournies sur le premier point. On trouvera, par ex. au mot Menstrue, & dans tous les articles où il sera question de l’action de quelque menstrue particulier, par quel degré de chaleur il faut favoriser son action ; au mot Digestion, Circulation, Cémentation, &c. quelle chaleur est propre à ces diverses opérations ; aux articles Vin, Végétal, Lait, Huile essentielle, Muqueux, Ether, Substance métallique,