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dire, en assez bonne santé (quoique dans un corps où sont des causes morbifiques) pour se suffire à elle-même, ainsi qu’elle fait dans presque tous les sujets robustes, bien constitués, qui guérissent si souvent de bien des maladies considérables, sans secours de medecins, mais non pas sans ceux de la medecine naturelle, que la divine Providence a attachée à la seule disposition de la machine animale, mise en œuvre par une puissance motrice, toûjours portée à éloigner tout ce qui peut nuire à la conservation de l’individu, même dans les efforts qui paroissent être le plus contraire à cette conservation : puissance, dont l’essence est autant inconnue, que ses opérations sont évidentes & assez généralement utiles, pour qu’on doive y avoir égard. C’est sur ce fondement que porte absolument la doctrine de l’exspectation, qui consiste par conséquent à observer l’ordre le plus constant de ces opérations, ce qui les précede & ce qui les suit : doctrine dont les connoissances qui la forment, ne peuvent qu’être acquises avec beaucoup de peine, & par une étude continuelle de l’histoire des maladies, recueillie par les grands maîtres qui ont suivi cette doctrine ; par une extrème application à observer, à recueillir, à comparer les faits, ainsi qu’ils l’ont pratiqué eux-mêmes : c’est le seul moyen que l’on ait pour parvenir à être aussi utiles qu’eux au genre humain, présent & futur.

Mais c’est un moyen trop difficile à employer ; pour qu’il n’ait pas été négligé, & même rejetté par ceux qui ont voulu abreger le chemin qui conduit à la réputation & à la fortune : la facilité de faire des systèmes, de les adopter, d’en imposer au public, pour qui le rideau est toûjours tiré sur les vérités qui caractérisent la science médicinale, a fourni l’expédient : on a étudié la physique du corps humain dans le cadavre, mais non pas celle du corps vivant, qui paroît être généralement plus ignorée que jamais : on s’est montré plus savant dans les écoles, dans les livres, depuis la découverte de la circulation du sang ; mais on n’a presque rien fait pour l’avancement de l’art de guérir : on a multiplié les remedes à l’infini : on en a même trouvé de nouveaux ; mais il n’y a pas moins de maladies mortelles, de maladies longues, incurables. Tous ces défauts ne peuvent raisonnablement être attribués qu’à l’abandon qu’on a fait de la route tenue par les anciens, c’est-à-dire de l’observation à la faveur de laquelle ils avoient fait de très-grands progrès, en très-peu de tems : progrès qui ont été suspendus, dès qu’on a cessé d’observer ; par conséquent, depuis plusieurs siecles, & particulierement depuis que l’on ne s’est occupé dans l’étude de la Medecine, que des productions de l’imagination, auxquelles on s’est efforcé de soûmettre, d’adapter la pratique de l’art ; depuis qu’on fait consister cet art dans le seul usage des remedes, dont on ne tire l’indication que de l’idée que l’on se forme sur la nature de la cause morbifique : idée le plus souvent conçûe d’après les hypothèses que l’on a embrassées ; enfin depuis que l’on ne fait aucune attention aux différens mouvemens salutaires, ou tendans à l’être, qui s’operent dans le cours des maladies, indépendamment d’aucun secours, aux efforts de la puissance conservatrice, pour le bien de son individu (voyez Effort), & que l’on trouble tout dans l’ordre des maturations, des coctions, des crises, qui sont les opérations par lesquelles les maladies les plus violentes peuvent être terminées heureusement, même sans aucun secours, dont le défaut, par conséquent, est bien moins nuisible que le mauvais usage ; d’où on seroit fondé à conclure, que l’abus de la Medecine a rendu cette science plus pernicieuse que secourable à l’humanité.

Mais comment a-t-on jamais sû que la nature seule pouvoit produire de bons effets, si ce n’est par le moyen de l’observation ? & a-t-on pû observer ces effets, sans laisser à elle-même la cause qui les produit ? Il a donc fallu attendre pour observer : on ne peut, par conséquent, réparer tous les défauts de la pratique de nos jours, qu’en rétablissant l’exspectation, à la faveur de laquelle seule, on peut apprendre à agir avec méthode, pour secourir les hommes dans leurs maladies, & sans laquelle on ne parviendra jamais à rendre l’art de guérir, digne de son nom, & aussi utile au genre humain, qu’il est susceptible de l’être. Voyez Medecine, Méthode curative, &c. (d)

EXSUCTION, s. f. Ce terme est employé par M. Quesnay, essai physiq. pour signifier l’extraction qui se fait du suc des alimens, par le méchanisme de la digestion. Voyez Digestion. (d)

EXTASE, s. f. (Théolog.) ravissement de l’esprit hors de son assiete naturelle, ou situation dans laquelle un homme est transporté hors de lui-même, de maniere que les fonctions de ses sens sont suspendus.

Le ravissement de S. Paul jusqu’au troisieme ciel, étoit ce que nous appellons extase. L’histoire ecclésiastique fait foi que plusieurs saints ont été ravis en extase pendant des journées entieres. C’est un état réel, trop bien attesté pour qu’on puisse douter de son existence.

Mais comme le mensonge & l’imposture s’efforcent de copier la vérité, & d’abuser de choses d’ailleurs innocentes, il est bon d’observer que les faux mystiques, les enthousiastes, les fanatiques ont supposé des extases, pour tâcher d’autoriser leurs rêveries ou leurs impiétés. Le faux prophete Mahomet persuada aux Arabes ignorans que les accès d’épilepsie auxquels il étoit sujet, étoient autant d’extases où il recevoit des révélations divines. (G)

Extase, s. m. (Medecine.) Ce terme, dérivé du grec, est employé sous différentes significations par les auteurs ; Hippocrate s’en sert en plusieurs endroits de ses ouvrages, pour marquer une aliénation d’esprit très-considérable, un délire complet, tel que celui des phrénétiques, des maniaques. Voyez les coaques, text. 486. lib. II. les prorethiques, XVI. 12. 13. 14.

Sennert, prax. medic. lib. I. part. II. cap. xxx. parle aussi de l’extase en différens sens ; il lui donne entr’autres, avec Scaliger, celui d’enthousiasme, quoique très-impropre. Voyez Enthousiasme.

L’usage a prévalu d’appeller extase une maladie soporeuse en apparence, mais mélancolique en effet, dans laquelle ceux qui en sont affectés, sont privés de tout sentiment & de tout mouvement, semblent morts, & paroissent quelquefois roides comme une statue, sans l’être, autant que dans le tetane & le catochus ; ils n’ont par conséquent pas la flexibilité des cataleptiques : ils en sont distingués d’ailleurs, en ce qu’ils avoient avant l’attaque, l’esprit fortement occupé de quelqu’objet, & qu’ils se le rappellent souvent après l’accès extatique. Ils ont cependant cela de commun, que s’ils sont debout, ils restent dans cette situation immobiles, & de même de toute autre attitude dans laquelle ils peuvent être surpris par l’attaque. Voyez Catalepsie.

Nicolas Tulpius, Henri de Hers & autres, rapportent des observations, par lesquelles ils assûrent avoir vû des filles & de jeunes hommes passionnément amoureux tomber dans l’extase, par le chagrin de ce qu’on leur refusoit l’objet de leur passion, & n’en revenir que parce qu’on leur crioit qu’on la satisferoit. La dévotion produit aussi quelquefois cet effet, comme il en conste par l’observation du Capucin, dont parle le même Henri de Hers. M. de Sauvage dit