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autrui, sont des stipulations positives, par lesquelles on contracte quelque obligation où l’on n’étoit point auparavant.

Le devoir général que la loi naturelle prescrit ici, c’est que chacun tienne inviolablement sa parole, & qu’il effectue ce à quoi il s’est engagé par une promesse ou par un convention verbale. Sans cela, le genre humain perdroit la plus grande partie de l’utilité qui lui revient d’un tel commerce de services. D’ailleurs, si l’on n’étoit pas dans une obligation indispensable de tenir sa promesse, personne ne pourroit compter sur les secours d’autrui ; on appréhendroit toûjours un manque de parole qui arriveroit aussi très souvent. De-là naîtroient mille sujets légitimes de querelles & de guerres.

On s’engage, ou par un acte obligatoire d’une part seulement, ou par un acte obligatoire des deux côtés ; c’est à-dire que tantôt il n’y a qu’une seule personne qui entre dans quelque engagement envers une ou plusieurs autres, & tantôt deux ou plusieurs personnes s’engagent les unes envers les autres. Dans le premier cas, c’est une promesse gratuite, & dans l’autre une convention. Voyez Promesse, Convention.

Il y a une chose absolument nécessaire, pour rendre valables & obligatoires les engagemens où l’on entre envers autrui, c’est le consentement volontaire des parties. Aussi tout engagement est nul, lorsqu’on y est forcé par une violence injuste de la part de celui à qui l’on s’engage ; mais le consentement d’une partie ne lui impose actuellement aucune obligation, sans l’acceptation réciproque de l’autre.

Pour former un engagement valable, il faut en général, que ce à quoi l’on s’engage, ne soit pas au-dessus de nos forces, ni de plus défendu par la religion ou par la loi ; autrement on est, ou fou, ou criminel. Personne ne peut donc s’engager à une impossibilité absolue. Il est vrai que l’impossibilité en matiere d’engagement n’est telle pour l’ordinaire, que par rapport à certaines personnes, ou par l’effet de certains accidens particuliers, mais cela n’importe, l’engagement n’en est pas moins nul. Par exemple, s’il se trouve qu’une maison de campagne qu’on avoit loüée, ait été consumée par le feu sans qu’on en sût rien de part ni d’autre, on n’est tenu à rien, & l’engagement tombe.

Il est clair encore que personne ne peut s’engager validement à une chose illicite ; mais il n’y a que les choses illicites en elles-mêmes, soit de leur nature ou à cause de la prohibition des lois civiles entre concitoyens qui les connoissent, qui ayent la vertu de rendre nulle une convention, d’ailleurs revêtue des qualités requises.

Il n’est pas moins certain que l’on ne sauroit s’engager validement, au sujet de ce qui appartient à autrui, ou de ce qui est déja engagé à quelqu’autre personne.

Il y a des engagemens absolus & des engagemens conditionnels ; c’est-à-dire, que l’on s’engage ou absolument & sans réserve, ou ensorte que l’on attache l’effet & la validité de l’engagement à quelque évenement, qui est, ou purement fortuit, ou dépendant de la volonté humaine ; ce qui a lieu surtout en matiere de simple promesse.

Enfin, on s’engage non seulement par soi-même, mais encore par l’entremise d’un tiers que l’on établit pour interprete de notre volonté, & porteur de notre parole auprès de ceux à qui l’on promet ou avec qui l’on traite ; lorsqu’un tel entremetteur ou procureur a exécuté de bonne foi & exactement la commission qu’on lui avoit donnée, on entre par là dans un engagement valide envers l’autre partie, qui a regardé ce procureur & qui a eu lieu de le regarder comme agissant en notre nom & par notre ordre.

Voilà des principes généraux de droit naturel sur les engagemens. Leur observation est sans contre dit un des plus grands & des plus incontestables devoirs de la Morale. Si vous demandez à un chrétien qui croit des récompenses & des peines après cette vie, pourquoi un homme doit tenir son engagement, il en rendra cette raison, que Dieu qui est l’arbitre du bonheur & du malheur éternel nous le recommande. Un disciple d’Hobbes à qui vous ferez la même question, vous dira que le public le veut ainsi, & que le Léviathan vous punira si vous faites le contraire. Enfin un philosophe payen auroit répondu à cette demande, que de violer sa promesse, c’étoit faire une chose deshonnête, indigne de l’excellence de l’homme & contraire à la vertu, qui éleve la nature humaine au plus haut point de perfection où elle soit capable de parvenir.

Cependant quoique le chrétien, le payen, le citoyen, reconnoissent également par différens principes le devoir indispensable des engagemens qu’on contracte ; quoique l’équité naturelle & la seule bonne foi obligent généralement tous les hommes à tenir leurs engagemens, pourvû qu’ils ne soient pas contraires à la religion, à la morale ; la corruption des mœurs a prouvé de tout temps, que la pudeur & la probité n’étoient pas d’assez fortes digues pour porter les hommes à exécuter leurs promesses. Voilà l’origine de tant de lois au sujet des conventions dans tous les pays du monde. Voilà ce qui dans le Droit françois, accable la Justice de tant de clauses, de conditions & de formalités sur cet article, que les parchemins inventés avec raison pour faire convenir ou pour convaincre les hommes de leurs engagemens, ne sont malheureusement devenus que des titres pour se ruiner en procédures, & pour faire perdre le fond par la forme. Si les hommes sont justes, ces formules sont d’ordinaire inutiles ; s’ils sont injustes, elles le sont encore très-souvent, l’injustice étant plus forte que toutes les barrieres qu’on lui oppose. Aussi pouvons-nous justement dire de nos engagemens ce qu’Horace disoit de ceux de son temps :

. . . . . . . . . . Adde Cicutæ
Nodosi tabulas centum, mille adde catenas,
Effugiet tamen hæc sceleratus vincula Proteus.

Lib. II. Sat. 3. 69.


Article de M. le Chevalier de Jaucourt.

Engagement, (Jurispr.) Il y a des engagemens fondés sur la nature ; tels que les devoirs réciproques du mariage, ceux des peres & meres envers les enfans, ceux des enfans envers les peres & meres, & autres semblables qui résultent des liaisons de parenté ou alliance, & des sentimens d’humanité.

D’autres sont fondés sur la religion ; tels que l’obligation de rendre à Dieu le culte qui lui est dû, le respect dû à ses ministres, la charité envers les pauvres.

D’autres engagemens encore sont fondés sur les lois civiles ; tels sont ceux qui concernent les devoirs respectifs du souverain & des sujets, & généralement tout ce qui concerne différens intérêts des hommes, soit pour le bien public, soit pour le bien de quelqu’un en particulier.

Les engagemens de cette derniere classe résultent quelquefois d’une convention expresse, ou tacite ; d’autres se forment sans convention directe, avec la personne qui y est intéressée, mais en vertu d’un contrat fait avec la justice, comme les engagemens des tuteurs & curateurs : d’autres ont lieu absolument sans aucune convention ; tels que les engagemens réciproques des co-héritiers & co-légataires qui se trouvent avoir quelque chose de commun ensemble, sans aucune convention : d’autres encore naissent d’un délit ou quasi-délit, ou d’un cas fortuit : d’au-