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à nous ; la circonspection, des motifs particuliers ou généraux de s’en défier. Voyez Considération.

Les égards réciproques que les hommes se doivent les uns aux autres, sont un des devoirs les plus indispensables de la société. Les hommes étant réellement tous égaux, quoique de conditions différentes, les égards qu’ils se doivent sont égaux aussi, quoique de différente espece. Les égards du supérieur, par exemple, envers son inférieur, consistent à ne jamais laisser appercevoir sa supériorité, ni donner lieu de croire qu’il s’en souvient : c’est en quoi consiste la véritable politesse des grands, la simplicité en doit être le caractere. Trop de démonstrations extérieures nuisent souvent à cette simplicité ; elles ont un air de faveur & de grace sur lequel l’inférieur ne se méprend pas, pour peu qu’il ait de finesse dans le sentiment ; il croit entendre le supérieur lui dire par toutes ces démonstrations : je suis fort au-dessus de vous, mais je veux bien l’oublier un moment, parce que je vous fais l’honneur de vous estimer, & que je suis d’ailleurs assez grand pour ne pas prendre avec vous tous mes avantages. La vraie politesse est franche, sans apprêt, sans étude, sans morgue, & part du sentiment intérieur de l’égalité naturelle ; elle est la vertu d’une ame simple, noble, & bien née : elle ne consiste réellement qu’à mettre à leur aise ceux avec qui l’on se trouve. La civilité est bien différente ; elle est pleine de procédés sans attachement, & d’attention sans estime : aussi ne faut-il jamais confondre la civilité & la politesse ; la premiere est assez commune, la seconde extrèmement rare ; on peut être très-civil sans être poli, & très-poli sans être civil. (O)

EGARDÉ ou ESGARDÉ, adj. termes de Manuf. une piece esgardée est celle qui a été visitée par les esgards ou égards, c’est-à dire jurés. Voyez Egards ou Esgards.

EGARDISE ou ESGARDISE, s. f. ce terme n’est guere en usage que dans la sayetterie d’Amiens, où les jurés des communautés sont appellés égards ou esgards ; ainsi en ce sens égardise ou esgardise est la même chose que jurande. Voyez Jurande.

Egardise se prend aussi pour le tems où les égards font leurs visites. Voyez le dictionn. du Comm.

EGARDS ou ESGARDS, s. m. pl. (Comm.) est le nom qu’on donne à Amiens à ceux qu’on appelle ailleurs maîtres & gardes, & jurés. Ce sont eux qui ont soin d’aller en visite chez les fabriquans & foulons, & qui doivent se trouver certains jours aux halles pour examiner les étoffes de laine, ou de laine mêlée de soie, de fil, & autres matieres qui se font dans la sayetterie, & voir si elles sont fabriquées en conformité des réglemens. Ces égards sont choisis & élus de tems en tems par les marchands ou maîtres de leurs communautés.

On appelle esgards-ferreurs ceux qui apposent les plombs aux étoffes, parce qu’on appelle fers dans la sayetterie d’Amiens, ce qu’on nomme ailleurs des coins & des poinçons. De ces esgards-ferreurs il y en a de ferreurs-sayetteurs en blanc, d’autres en noir, d’autres en guelde. Les premiers prennent leur nom des halles où ils ferrent les étoffes ; les autres, de ce qu’ils ferrent chez les teinturiers. Voyez Sayetteur & Hautelisseur, les dictionn. de Comm. & de Trév. & les réglemens sur les manufactures.

EGARÉ, adj. (Maréch.) une bouche égarée est celle qui se refuse aux justes impressions de l’embouchure, dont l’appui est véritablement faux & falsifié, & qui ne consent franchement à aucuns mouvemens de la main, quelque doux & quelque tempérés qu’ils puissent être.

Cette incertitude procede souvent d’une sensibilité & d’une foiblesse naturelles, d’un défaut de proportion dans les parties de la bouche, de la confor-

mation irréguliere de quelques-unes de celles du

corps de l’animal, de quelques maux dont elles peuvent être atteintes, de la dureté des premieres embouchures, de la forte application des gourmettes mal ordonnées, des efforts excessifs d’une main dont le sentiment a été aussi cruel qu’importun, ou de la lenteur ou de la foiblesse de celle qui n’ayant aucune fermeté, a permis au cheval de se livrer à mille mouvemens vagues, dans lesquels il s’est offensé lui-même en s’appuyant inconsidérément des leçons données sans ordre & sans jugement, des arrêts trop subtils & trop précipités, &c.

Dans cet état le cheval dérobe sans cesse les barres, bégaye, se déplace, tourne la tête de côté & d’autre, se retient, s’arrête, bat & tire à la main, ou la force, pour peu que le cavalier veuille le solliciter à quelqu’action.

On ne peut se décider sur le choix des moyens de parer à tous ces desordres, si d’une part on n’envisage & on ne distingue les véritables causes de cette irrésolution, & si de l’autre on ne s’attache à découvrir l’inclination & le caractere de l’animal.

Quelle que soit la source & le principe dont il s’agit, l’entreprise de ramener une bouche aussi soupçonneuse à un appui solide & assûré, demande beaucoup d’art, & un grand fond de lumieres & de patience. Quelle attention n’exige pas la nécessité de ménager une partie débile ou lésée, en rejettant une portion du poids dont elle devroit être chargée, sur celle qui est saine, & qui joüit d’une plus grande force ? Que de recherches pour démêler au milieu de tant de déréglemens, ce point unique dans lequel le sentiment de la main est infiniment confondu avec celui de la bouche, & où le cavalier & le cheval sont pour ainsi dire également affectés d’un plaisir réciproque & si marqué, que l’animal semble préférer la contrainte à la liberté ? Quel art ne faut-il pas pour rencontrer ce juste tempérament dans la fermeté duquel résident en même tems & la douceur & la résistance ? Que de connoissances enfin pour varier les leçons & les aides à-propos, & toûjours relativement à la diverse nature des chevaux.

Les embouchures les plus douces, telles que le simple canon, les branches droites & longues, les gourmettes les plus grosses, placées de maniere qu’elles gênent peu, & qu’elles asservissent légerement, sont d’abord les premieres armes que nous devons employer. Il n’est pas question en effet ici de recourir à la force ; ce seroit se proposer de remédier à un vice par la cause même qui le produit presque toûjours : ainsi cette voie que quelques écuyers choisissent, puisqu’ils font forger des embouchures dans l’intention de casser les barres, ne serviroit qu’à confirmer le cheval dans son incertitude, & le précipiteroit encore dans de nouveaux desordres.

Nous ne pouvons nous promettre de véritables succès dans des circonstances aussi délicates, qu’autant que nous saurons tâter, s’il m’est permis d’user de cette expression, la bouche de l’animal, en partant du point d’appui le plus leger, & en l’augmentant toûjours imperceptiblement ; car des mains qui n’ont aucune méthode, dont les mouvemens n’ont aucune mesure, dont les impressions sont subites, & qui ignorent en un mot l’art de chercher, occasionnent plûtôt l’égarement qu’elles ne le corrigent.

Dans le chemin que parcourt cette main qui sonde en quelque façon la bouche, il n’est pas douteux qu’il est un période où le sentiment exercé est moins desagréable à l’animal. Ce période se distingue en ce que le cheval moins étonné, moins surpris lorsque la main y est parvenue, ne témoigne point autant d’inquiétude, & c’est à ce point qu’il faut se fixer & s’arrêter : dès qu’on l’a reconnu, il est inutile de ten-