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absolument des connoissances claires par des moyens chimiques. 2°. Les affections des organes immédiats de la digestion, qui, quoique considerés jusqu’ici simplement comme vaisseaux contenans, n’en influent pas moins sur la digestion, qu’ils peuvent troubler soit par des mouvemens contre-nature, soit par des constrictions spasmodiques, par des retrecissemens dûs à des causes extérieures, soit enfin par l’excrétion diminuée ou augmentée, supprimée ou excessive des sucs digestifs que les affections des organes dont il s’agit paroissent plus propres à déterminer que toute autre cause. Nous n’avons envisagé jusqu’à présent la digestion, que du côté de ses produits matériels, le chyle & les excrémens ; il nous reste à la considérer comme engendrant des mouvemens, ou comme réveillant les organes du mouvement & des sentimens, en un mot comme fonction organique & générale.

Voici comme M. Bordeu medecin de la faculté de Paris, auteur de plusieurs ouvrages remplis des observations les plus ingénieuses & des plus importantes découvertes sur le jeu & les correspondances des organes ; voici, dis-je, comme cet auteur présente les principales observations qui prouvent cette influence de la digestion sur l’œconomie générale de la vie, dans une excellente dissertation soutenue aux écoles de medecine en 1752 sous ce titre : An omnes organicæ corporis partes digestioni opitulentur ? « Les animaux, dit M. Bordeu, éprouvent à certains tems marqués une sensation singuliere dans le fond de la bouche & dans l’estomac, & un changement à peine définissable de tout leur individu, état fort connu cependant sous le nom de faim.... Si on ne fournit pas alors des alimens à l’estomac, l’animal perd ses forces, & tout l’ordre des mouvemens & des sentimens est renversé chez lui. Mais à peine cet aliment est-il pris, que les forces abbatues renaissent ; & bien-tôt après un léger sentiment de froid s’excite dans tout le corps ; on éprouve quelque pente au sommeil, le pouls s’éleve, la respiration est plus pleine, la chaleur animale augmente, & enfin toutes les parties du corps sont disposées à exercer librement leurs fonctions. Voilà les principaux phénomenes de la digestion, & ceux qui portent à la regarder comme un effort de tout le corps, comme une fonction générale ».

On ne peut supposer, en effet, que l’aliment ait reparé les forces par la nutrition, ou même par le passage du chyle dans le sang, le chyle n’est point fait encore, la premiere élaboration des alimens est même à peine commencée, lorsque la machine est pour ainsi dire remontée par la présence des alimens.

Mille observations faites dans l’état sain & dans l’état de maladie, concourent à établir la réalité de ce dernier usage de la digestion, & à le faire regarder même comme le premier ou l’essentiel, comme le plus grand, le plus noble. Du-moins résulte-t-il de toutes ces observations un corps de preuve, qui met ce système, ce me semble, hors du rang des hypotheses ordinaires. Mais, & ces observations, & les vérités qui en naissent immédiatement, & les vérités plus composées qu’on peut déduire de celles-ci, appartienent aux recherches générales sur l’œconomie animale. Voyez Œconomie animale.

On trouvera à l’article Régime, la solution des problèmes diétetiques suivans : Quand faut-il manger, c’est-à-dire déterminer la digestion ? Dans quels cas faut-il suspendre l’usage de tout aliment solide ? Doit-on pendant la digestion se reposer ou se donner du mouvement, veiller ou dormir ? Peut-on penser & s’exposer aux accès des passions violentes ? L’exercice vénérien est-il toûjours nuisible dans les deux sexes, tandis que l’estomac est occupé à digérer ?

C’est à l’article Œconomie animale, qu’il faut

chercher aussi ce que la Medecine pratique enseigne sur les vices des digestions, considerés comme causes générales des maladies, dont ils sont sans contredit la source la plus féconde.

On trouvera l’histoire & le traitement de quelques autres de ces vices, qui paroissent borner leurs effets à une affection de l’estomac, comme les appétits déreglés, le pica, le malacia, le vomissement habituel, &c. à l’art. Maladies de l’estomach, sous le mot Estomac.

Il est, outre ces maladies, quelques incommodités ou maladies, qui paroissent dépendre du défaut d’une seule digestion, & qui sont connues sous le nom d’indigestion (voyez Indigestion), de digestions fougueuses, & de digestions languissantes.

L’incommodité que les gens qui s’observent ou qui s’écoutent, désignent par le nom de digestion fougueuse, est ordinairement habituelle ; elle n’est jamais d’aucune conséquence en soi, & elle ne peut être fâcheuse que comme symptome de cet état de rigidité & de mobilité des solides, que nous appellons communément en françois vapeurs dans les deux sexes. Voyez Vapeurs.

La digestion languissante ou difficile, est habituelle ou accidentelle. La premiere est ou générale ou relative à certains alimens particuliers.

La digestion difficile habituelle d’un aliment quelconque, peut dépendre ou d’un vice des organes de la digestion, & principalement de l’estomac (voyez à l’art. Maladies de l’Estomac, quels sont les vices de ce viscere qui peuvent rendre la digestion difficile), ou des humeurs digestives, pechant soit dans leur qualité, soit dans leur quantité. La plûpart de ces vices sont très-difficiles à déterminer. La qualité contre-nature des sucs digestifs, ne s’est manifestée jusqu’à présent par aucun signe sensible, & ce n’est qu’une vaine théorie qui a discouru sur ces vûes. La suppression de ces divers sucs, ou leur diminution, peut dans quelques cas être annoncée par des signes sensibles. Les parotides, le foie, ou le pancréas skirrheux annoncent sensiblement la suppression ou au moins la diminution de la salive, de la bile, ou du suc pancréatique : la langue seche annonce un semblable état dans l’intérieur de l’œsophage, de l’estomac & des intestins, & par conséquent la diminution ou la suppression des sucs digestifs que ces organes fournissent. Mais ce sont-là les cas extrèmes, & ce n’est pas seulement d’une digestion difficile dont il s’agit quand le foie ou le pancréas sont skirrheux, ou que la langue, l’œsophage, l’estomac, & les intestins sont dans l’état que nous venons d’exprimer. L’écoulement trop abondant des sucs digestifs n’est pas sensible non plus dans les digestions difficiles.

La bonne théorie est bien plus muette encore sur l’histoire raisonnée des digestions difficiles de certains alimens particuliers. J’ose avancer qu’il n’est aucune espece d’aliment que certains de ces estomacs difficiles n’appetent & ne digerent par préférence & à l’exclusion de tous autres. On a observé là-dessus des bisarreries très-singulieres, & même des especes de contradictions : tel de ces estomacs, par exemple, digere fort-bien le melon & le jambon, qui ne digere pas la pêche & le bœuf salé, quoiqu’il y ait sans doute bien plus d’analogie entre le melon & la pêche, entre le jambon & le bœuf salé, qu’entre le melon & le jambon, &c. Voyez Régime.

Il est facile de conclure de ces observations, que l’unique voie pour traiter utilement l’une & l’autre de ces incommodités, c’est l’empyrisme ou le tatonement. On doit essayer des différens stomachiques, & tenter les différentes ressources du régime dans l’un & l’autre de ces cas ; varier l’heure des repas, la quantité d’aliment, la proportion de la boisson,