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On dit aussi dans le même sens, les lois civiles.

Le terme civil est quelquefois opposé à canon ou canonique : ainsi l’on dit le droit civil ou le droit civil Romain, par opposition au droit canon ou canonique Romain.

Le droit civil se dit aussi quelquefois par opposition au droit coûtumier, auquel cas il signifie également le droit Romain ou droit écrit.

Civil est encore opposé à criminel ; c’est en ce sens que l’on dit, un juge civil, un lieutenant civil, un greffier civil, le greffe civil, le parc civil, la chambre civile, l’audience civile, une requête civile, prendre la voie civile.

Joüir des effets civils, c’est avoir les droits de cité ; & encourir la mort civile, c’est perdre ces mêmes droits.

En matiere criminelle, on se sert quelquefois du terme civil : on dit, par exemple, une partie civile, des conclusions civiles, des intérêts civils, renvoyer les parties à fins civiles. Voyez l’article Droit civil, & les autres termes que l’on vient de rapporter, chacun à sa lettre. (A)

CIVILISER, (Jurisprud.) En termes de palais, civiliser une affaire, signifie recevoir un accusé en procès ordinaire, ou rendre civil un procès qui s’instruisoit auparavant comme criminel.

L’ordonnance de 1670, titre xx. de la conversion des procès civils en procès criminels, & de la réception en procès ordinaire, dit que s’il paroît avant la confrontation des témoins que l’affaire ne doit pas être poursuivie criminellement, les juges recevront les parties en procès ordinaire ; que pour cet effet ils ordonneront que les informations seront converties en enquêtes, & permettront à l’accusé d’en faire de sa part dans les formes prescrites pour les enquêtes ; qu’après la confrontation des témoins, l’accusé ne pourra plus être reçû en procès ordinaire, mais qu’il sera prononcé définitivement sur son absolution ou sur sa condamnation ; enfin que quoique les parties ayent été reçues en procès ordinaire, la voie extraordinaire sera permise si la matiere y est disposée.

Ainsi civiliser une affaire ou procès ; renvoyer les parties à fins civiles, ou les recevoir en procès ordinaire, est la même chose. Lorsque les charges paroissent legeres, on renvoye quelquefois les parties à l’audience ; mais l’affaire n’est pas pour cela civilisée, les informations demeurent toujours pieces secretes. Voyez Fins civiles, Procès ordinaire.(A)

CIVILITÉ, POLITESSE, AFFABILITÉ, synonymes, (Gramm. & Morale.) manieres honnêtes d’agir & de converser avec les autres hommes dans la société ; mais l’affabilité qui consiste dans cette insinuation de bienveillance avec laquelle un supérieur reçoit son inférieur, se dit rarement d’égal à égal, & jamais d’inférieur à supérieur. Elle n’est souvent dans les grands qu’une vertu artificieuse qui sert à leurs projets d’ambition, une bassesse d’ame qui cherche à se faire des créatures (car c’est un signe de bassesse). J’ignore pourquoi le mot affabilité ne plaisoit pas à M. Patru ; ce seroit dommage de le bannir de notre langue, puisqu’il est unique pour exprimer ce qu’on ne peut dire autrement que par périphrase.

La civilité & la politesse sont une certaine bienséance dans les manieres & dans les paroles, tendantes à plaire & à marquer les égards qu’on a les uns pour les autres.

Sans émaner nécessairement du cœur, elles en donnent les apparences, & font paroître l’homme au-dehors comme il devroit être intérieurement. C’est, dit la Bruyere, une certaine attention à faire, que par nos paroles & nos manieres les autres soient contens de nous.

La civilité ne dit pas autant que la politesse, & elle n’en fait qu’une portion ; c’est une espece de crainte en y manquant, d’être regardé comme un homme grossier ; c’est un pas pour être estimé poli. C’est pourquoi la politesse semble, dans l’usage de ce terme, réservée aux gens de la cour & de qualité ; & la civilité, aux personnes d’une condition inférieure, au plus grand nombre de citoyens.

J’ai lû des livres sur la civilité, si chargés de maximes & de préceptes pour en remplir les devoirs, qu’ils m’auroient fait préférer la rudesse & la grossiereté à la pratique de cette civilité importune dont ils font tant d’éloges. Qui ne penseroit comme Montagne ? « J’aime bien, dit cet auteur (Essais liv. I. ch. xiij.), à ensuivre les lois de la civilité, mais non pas si coüardement, que ma vie en demeure contrainte. Elles ont quelques formes pénibles, lesquelles pourvû qu’on oublie par discrétion, non par erreur, on n’en a pas moins de grace. J’ai vû souvent des hommes incivils par trop de civilité, & importuns de courtoisie. C’est au demeurant une très-utile science que la science de l’entregent. Elle est comme la grace & la beauté conciliatrice des premiers abords de la société & familiarité, & par conséquent nous ouvre la porte à nous instruire par les exemples d’autrui, & à exploiter & produire notre exemple, s’il a quelque chose d’instruisant & communicable. »

Mais la civilité cérémonieuse est également fatiguante & inutile, aussi est-elle hors d’usage parmi les gens du monde. Ceux de la cour, accablés d’affaires, ont élevé sur ses ruines un édifice qu’on nomme la politesse, qui fait à présent la base, la morale de la belle éducation, & qui mérite par conséquent un article à part. Nous nous contenterons seulement de dire ici, qu’elle n’est d’ordinaire que l’art de se passer des vertus qu’elle imite.

La civilité, prise dans le sens qu’on doit lui donner, a un prix réel ; regardée comme un empressement de porter du respect & des égards aux autres, par un sentiment intérieur conforme à la raison, c’est une pratique de droit naturel, d’autant plus loüable qu’elle est libre & bien fondée.

Quelques législateurs même ont voulu que les manieres représentassent les mœurs, & en ont fait un article de leurs lois civiles. Il est vrai que Lycurgue en formant les manieres n’a point eû la civilité pour objet ; mais c’est que des gens toûjours corrigeans ou toûjours corrigés, comme dit M. de Montesquieu, également simples & rigides, n’avoient pas besoin de dehors : ils exerçoient plûtôt entr’eux des vertus, qu’ils n’avoient des égards.

Les Chinois, qui ont fait des rits de tout & des plus petites actions de la vie, qui ont formé leur empire sur l’idée du gouvernement d’une famille, ont voulu que les hommes sentissent qu’ils dépendoient les uns des autres, & en conséquence leurs législateurs ont donné aux regles de la civilité la plus grande étendue. On peut lire là-dessus le pere Duhalde.

Ainsi pour finir cet article par la réflexion de l’auteur de l’esprit des lois. « On voit à la Chine les gens de village observer entr’eux des cérémonies comme des gens d’une condition relevée ; moyens très propres à maintenir parmi le peuple la paix & le bon ordre, & à ôter tous les vices qui viennent d’un esprit dur, vain, & orgueilleux. Ces regles de la civilité valent bien mieux que celles de la politesse. Celle-ci flate les vices des autres, & la civilité nous empêche de mettre les nôtres au jour : c’est une barriere que les hommes mettent entr’eux pour s’empêcher de se corrompre. » Article de M. le Chevalier de Jaucourt.

CIVIQUE, adj. (Hist. anc.) épithete qu’on don-