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ennemi déclaré du Galénisme, de l’Aristotélisme, des écoles & de la doctrine physique & medicinale de Paracelse lui-même, duquel il différa essentiellement par une science profonde & réelle, par une imagination brillante & féconde, par un goût décidé pour le grand, & en beaucoup de points même pour le vrai ; en un mot par tous les caracteres du vrai génie, qui ne l’empêche pourtant point de débiter sérieusement, ce semble, mille absurdités, qui doivent nous faire admirer comment les extrèmes qui paroissent les plus éloignés peuvent s’allier dans les mêmes têtes, mais non pas nous faire mépriser collectivement les ouvrages marqués au coin d’un pareil contraste. En effet, rien n’empêche que les inepties les plus risibles ne se trouvent à côté des idées les plus lumineuses ; & l’on peut même avancer assez généralement qu’il est plus raisonnable d’espérer du très-bon sur la foi de ces écarts qu’on a tant reprochés à Vanhelmont (quoique ces écarts ne constituent pas le bon en soi), que d’être épouvanté par cette marche, souvent peu philosophique : car un original, comme Vanhelmont en a le vrai caractere, n’a pas les beautés toisées d’un compilateur, cette uniformité, signe presque univoque de la médiocrité. Il est vrai que par-là même il doit n’avoir que peu de partisans ; la vûe tendre de ces demi-philosophes qui ont besoin d’un milieu qui brise l’activité des rayons primitifs, ne sauroit s’accommoder des éclairs de Vanhelmont : mais aussi n’est-ce pas à de pareils juges qu’il faut s’en rapporter. On a cru devoir cette espece d’apologie à un homme qui a été déprimé, & condamné avec tout l’air avantageux que s’arrogent les petits juges des talens supérieurs, & tout récemment encore dans un discours historique & critique sur la Pharmacie, imprimé à la tête de la nouvelle édition Angloise de la Pharmacopée de Londres.

Mais quoi qu’il en soit de l’idée qu’on doit avoir de la personne de Vanhelmont & du criterium sur lequel il mesuroit le degré d’évidence de ses connoissances, il n’en est pas moins vrai qu’il s’est élevé avec une force surprenante contre une foule d’erreurs & de préjugés qui défiguroient la théorie & la pratique de la Medecine ; qu’il a au moins ouvert une carriere nouvelle aux plus grands génies qui ont expliqué l’œconomie animale après lui, aux Stahl, aux Baglivi ; qu’il a jetté les fondemens de cette doctrine qui est sur le point de prévaloir aujourd’hui, & qui ne reconnoît pour agens matériels dans l’œconomie animale, que des organes essentiellement mobiles & sensibles, au lieu de pures machines mûes par un principe étranger, des humeurs ou des esprits. Voyez Medecine. La Physique lui doit la proscription, ou du moins des cris contre le Péripatétisme, dont il a senti tout le vuide ; & le renouvellement d’une hypothese plus ancienne & plus plausible, celle de Thalès de Milet sur l’eau donnée pour élément ou premier principe de tous les corps ; sur-tout la méthode, nouvelle alors (du moins quant à l’exécution, car le chancelier Bacon l’avoit célébrée & conseillée) d’établir les opinions physiques sur des expériences ; & enfin ces expériences elles-mêmes, qui quoiqu’inutiles au but pour lequel elles étoient faites, qui quoiqu’ayant fourni de fausses conséquences à Vanhelmont & à Boyle, qui a été son disciple en cette partie, ne nous en ont pas moins appris de vérités très-intéressantes sur la végétation. Voyez Végétation.

On n’a qu’à lire le traité de Vanhelmont sur les eaux de Spa, & sur-tout son ouvrage de lithiasi, traités qu’il a donnés lui-même, pour appercevoir combien il étoit riche en connoissances chimiques, & combien il méritoit le titre qu’il se donnoit de philosophe par le feu. On trouve dans ces ouvrages (avec quelques erreurs il est vrai) des con-

noissances trés-positives & très-lumineuses sur la

théorie de la coagulation & de la dissolution, qui sont, lorsqu’on les considere en général, les deux grands pivots sur lesquels roulent tous les changemens chimiques tant naturels qu’artificiels ; beaucoup de connoissances de détail sur les phénomenes chimiques les plus intéressans, & sur les principaux effets de quelques opérations, de la rectification sur les huiles animales, par exemple, &c. plusieurs faits importans ; une analyse de l’urine aussi complete & aussi exacte que celle qu’on pourroit faire aujourd’hui, & qui a mené l’auteur aussi loin que nous sommes ; sans compter ses prétentions sur les vertus de son dissolvant universel, qui, s’il existoit réellement, fourniroit le moyen le plus efficace pour parvenir à la connoissance la plus intime de la nature des corps composés.

Cet homme véritablement singulier mourut à la fin de l’an 1644.

Jean Rodolphe Glauber, Allemand, fixé en Hollande, étoit né vers le commencement du dernier siecle : c’est un des plus infatigables & des plus expérimentés artistes qu’ait eu la Chimie ; aussi l’a-t-il enrichie d’un grand nombre de découvertes utiles, & d’un amas de faits & d’expériences, que Stahl, qui juge d’ailleurs Glauber très-séverement, appelle très-beau ; & qui est non-seulement précieux par l’usage immédiat qu’on en peut faire pour la Pharmacie, la Métallurgie, & les autres arts chimiques, mais même par les matériaux qu’il fournit à l’établissement de la bonne théorie chimique. C’est à ce chimiste que nous devons la premiere idée de mettre à profit mille matieres viles & inutiles, ou employées moins utilement, telles que le bois mort des grandes forêts, en en retirant du salpetre par des moyens faciles & peu dispendieux, ou de faire des mines de salpetre ; la méthode de concentrer les vins ou plûtôt le moût & les décoctions des semences farineuses, pour les faire fermenter en tems & lieu ; le soufre artificiel ; l’invention de deux sels qui portent son nom, savoir le sel secret ammoniac & le sel admirable ; la méthode de distiller le nitre & le sel marin par l’intermede de l’acide vitriolique ; la rectification des huiles par les acides minéraux (c’est celui du sel marin qu’il employoit) ; beaucoup de choses importantes sur la correction des vins, & sur tous les travaux de la Zimothecnie, & mille observations, réflexions, & méthodes utiles pour la préparation de plusieurs remedes. Voyez Pharmacie. C’est Glauber qui a le premier démontré le nitre tout formé dans les plantes, qu’il a regardé comme la principale source de tout celui que nous connoissons, & notamment de celui que nous retirons des animaux ; opinion que je regarde comme démontrable, quoique l’auteur de la dissertation sur le nitre, qui a remporté le prix à l’académie de Berlin en 1747, n’ait pas même daigné la discuter.

Glauber est surtout admirable dans l’industrie avec laquelle il a réussi à abréger plusieurs opérations, & en diminuer les frais ; vûe très-naturelle à un travailleur. Son traité des fourneaux philosophiques, est plein de ces inventions utiles : la distillation immédiate sur les charbons, l’usage des vaisseaux distillatoires tubulés, celui des récipiens ouverts par leur partie inférieure, le fourneau de fusion sans soufflets, la façon de chauffer un liquide contenu dans des vaisseaux de bois par le moyen d’une boule ou poire de cuivre creuse adaptée à la partie inférieure & latérale de ces vaisseaux, sont des inventions de ce genre ; en un mot cet auteur me paroît être de tous les Chimistes celui où l’on trouve plus de faits & de procédés neufs qui sont souvent utiles en soi & absolument, & qui au moins conduisent à des recherches importantes, & par conséquent un de ceux