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placez-le dans un fourneau à grille ordinaire ; donnez le feu peu-à-peu, afin que vos matieres s’échauffent lentement ; poussez-le ensuite jusqu’à les rougir médiocrement ; soûtenez ce dernier degré de feu pendant environ trois heures, & votre opération est finie. Les anciens Chimistes, les Philosophes que les longs travaux n’effrayoient pas, soûtenoient le dernier degré de feu pendant vingt-quatre heures, & même pendant trois jours entiers. Il devoit leur en coûter beaucoup, sans doute, pour tenir pendant si long-tems leur métal dans un degré d’ignition si voisin de la fusion, sans le laisser tomber dans ce dernier état : circonstance essentielle, & toûjours recommandée par les plus anciens maîtres de l’art, par Geber lui-même. Les cémentations alchimiques sont continuées pendant des mois entiers : mais elles se sont à un degré de feu un peu moindre.

La théorie de la cémentation de l’or & de l’argent dans les vûes ordinaires de purification, paroît assez simple : tous les céments employés à cet usage contiennent des sels neutres, & des précipitans de leur acide, c’est-à-dire, des intermedes qui en procurent le dégagement : ainsi le mêlange du nitre ou du sel commun avec le vitriol, doit laisser échaper les acides des premiers sels. Les terres bolaires ou argilleuses dégagent aussi les mêmes acides, selon un fait anciennement connu, mais peu ou point expliqué. La poudre de brique peut être inutile au dégagement des acides nitreux & marins ; elle peut fort bien aussi avoir retenu, malgré l’altération que la terre argilleuse dont elle est formée a essuyée dans le feu, elle peut avoir retenu, dis-je, la propriété de les dégager, dont joüit l’argille crue. Ce fait n’a pas été examiné, que je sache. Ainsi selon qu’on employe l’un ou l’autre de ces premiers sels, ou les deux ensemble, avec une ou plusieurs des dernieres matieres, on a un esprit de nitre, un esprit de sel, ou une eau régale, qui selon le degré de rapport de chacun de ces menstrues avec l’or, avec l’argent, & avec les différens métaux qui leur sont mêlés, peuvent attaquer quelques-uns de ces métaux, & épargner les autres. Ainsi de l’acide nitreux dégagé dans une cémentation d’or, est censé attaquer l’argent & le cuivre qu’il peut contenir, & ne pas toucher à l’or même : l’esprit de sel produiroit apparemment le même effet. L’eau régale dégagée dans une cémentation d’argent, doit agir sur les métaux imparfaits, sans entamer le métal parfait, comme l’acide nitreux ou le marin dans le cas précédent.

Mais nous n’avons pas assez d’observations pour évaluer exactement l’action des menstrues dans la cémentation : la circonstance d’être divisés, de n’être point en aggrégation ou en masse, & celle d’être appliqués à des métaux actuellement ignés, & avec le degré de feu que suppose cet état, porte sans doute des différences essentielles dans leur action. Des analogies exactement déduites de plusieurs faits connus, justifient au moins le doute, la vûe de recherche. D’ailleurs nous ne connoissons pas assez les sels neutres comme menstrues ; & peut-être pensons-nous trop généralement qu’ils ne peuvent agir que par un de leurs principes, soit dégagé, soit surabondant.

Il est au moins sûr que cette cémentation est une espece de dissolution. Voyez Menstrue.

Les Alchimistes peuvent bien ne pas retirer de leurs longues cémentations tout l’avantage que leurs oracles leur annoncent ; au moins doit-on leur accorder que cette opération est dans les bons principes de l’art, & qu’elle a tout le mérite de la digestion tant célébrée, & avec tant de raison, par les plus grands maîtres. Voyez Digestion.

La cémentation du fer, ou la trempe en paquet, differe beaucoup par son effet de la cémentation puri-

ficative de l’or & de l’argent dont nous venons de

parler ; elle ressemble beaucoup plus à la cémentation améliorative, transmutative, ou augmentative, en un mot alchimique, si cette derniere produisoit l’effet attendu, qui est de porter dans son sujet la terre mercurielle, ou même le soufre solaire ou lunaire. On regarde l’effet de la cémentation sur le fer comme une espece de réduction, ou plûtôt de surréduction, s’il est permis de s’exprimer ainsi ; c’est-à-dire, d’introduction surabondante de phlogistique. Voyez Fer. Cet article est de M. Venel.

CEMENTATOIRE, (eau) (Hist. nat. & Minéralogie) aqua camentatoria ; en Allemand, cement wasser. L’on nomme ainsi des sources d’eau très-chargées de vitriol de Venus, que l’on trouve au fond de plusieurs mines de cuivre ; on en voit sur-tout en Hongrie, près de la ville de Neusol, au pié des monts Krapacks. On leur attribue vulgairement la propriété de convertir le fer en cuivre, quoique pour peu que l’on ait de connoissance de la Chimie, il soit facile de voir qu’il ne se fait point de transmutation, mais seulement une simple précipitation causée par le fer que l’on trempe dans cette eau. Voici comment on s’y prend pour faire cette prétendue transmutation.

L’eau cémentatoire est très-claire & très-limpide dans sa source ; l’on fait des réservoirs pour la recevoir, afin qu’elle puisse s’y rassembler : l’on fait entrer l’eau de ces réservoirs dans des auges ou canaux de bois, qui ont environ un pié de large & autant de profondeur. Quant à leur longueur elle n’est point déterminée ; on la pousse aussi loin que l’on peut, quelquefois même jusqu’à 100 ou 150 piés ; on appelle ces auges ou canaux cementers, suivant M. Schlutter, on les remplit de vieille ferraille autant qu’il y en peut tenir ; l’on fait ensuite entrer l’eau cémentatoire dans ces auges : elle couvre le fer, le dissout, & le détruit, & met en sa place le cuivre dont elle est chargée ; il prend la figure & la forme que la ferraille avoit auparavant, de sorte qu’en trois mois de tems, plus ou moins, suivant la force de l’eau vitriolique, tout le fer se trouve consommé & détruit, & le cuivre est entierement précipité. La raison pour laquelle le cuivre précipité prend la même figure qu’avoit le fer, c’est que l’acide vitriolique ayant plus d’affinité avec le fer, lâche le cuivre qu’il tenoit en dissolution pour s’y attacher ; il arrive de-là qu’il se précipite précisément autant de cuivre, qu’il se dissout de fer ; de façon que l’un prend la place de l’autre, & qu’il se met toûjours une particule de cuivre à la place de celle de fer, qui a été mise en dissolution. Voyez Wallerius, Hydrologie, p. 62. §. 23.

Voilà la maniere dont on s’y prend pour obtenir à peu de frais & sans grande peine, une quantité quelquefois très-considérable de cuivre très-bon, & que l’on dit même plus ductile & plus malléable que celui, qui par des fontes réitérées a été tiré de sa mine. Ce cuivre est mou & semblable à du limon tant qu’il est sous l’eau ; mais il prend de la consistance, & se durcit aussi-tôt qu’il vient à l’air.

Les deux plus fameuses sources d’eau de cémentation de la Hongrie, sont celles de Smolnitz & des Heregrund ; l’on assûre que la premiere peut fournir tous les ans, jusqu’à 600 quintaux de cuivre précipité de la maniere qui vient d’être décrite ; ce qui vient de la grande abondance de cette source, & de la prodigieuse quantité de vitriol de Venus dont elle est chargée : outre cela le fer que l’on y met tremper, se trouve entierement dissous en trois semaines de tems, & le cuivre a pris sa place ; au lieu que dans d’autres sources, il faut trois mois, & même quelquefois un an, pour que cette opération se fasse.

L’on trouve en Hongrie plusieurs autres sources qui ont les mêmes propriétés ; il y en a de pareilles