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ou de commencement dans le tems ; mais d’une priorité d’origine ou d’émanation, qui consiste en ce qu’une personne produit l’autre ; mais de toute éternité, & de telle sorte que la personne qui produit ne peut exister, ni être conçue sans celle qui est produite.

5°. Il suit de ce que nous avons dit, que dans la Trinité il y a des notions ; & par notion l’on entend une marque particuliere, ou un caractere distinctif qui sert à distinguer les trois personnes, & l’on en compte cinq. La paternité, qui distingue le Pere du Fils & du S. Esprit. La filiation, qui distingue le Fils des deux autres personnes divines. La spiration active, qui distingue le Pere & le Fils d’avec le S. Esprit, & la spiration passive, qui distingue le S. Esprit du Pere & du Fils. Quelques théologiens prétendent que ces quatre notions suffisent, & que le Pere est assez distingué du Fils par la paternité, & du S. Esprit par la spiration active ; mais le plus grand nombre ajoute encore pour le Pere l’innascibilité. En effet, elle seule donne une idée juste & totale du Pere, qui est la premiere des trois personnes divines. Cette premiere personne est improduite, & qui dit simplement pere, n’énonce pas une personne non engendrée : quiconque est pere, peut avoir lui-même un pere.

6°. La circumincession, ou περιχώρησις, est l’inexistence intime des personnes divines, ou leur mutuelle existence l’une dans l’autre. Car quoiqu’elles soient réellement distinguées, elles sont cependant consubstantielles ; c’est pourquoi J. C. dit dans S. Jean, ch. xiv. Quoi, vous ne croyez pas que je suis dans le Pere, & que le Pere est en moi ? L’identité d’essence que les Grecs appellent ὁμοουσία, & la consubstantialité avec la distinction des personnes, sont nécessaires pour la circumincession. Voyez Circumincession.

Telle est la foi sur le mystere de la sainte Trinité, & telles sont les expressions consacrées parmi les Théologiens pour expliquer ce mystere, autant que les bornes de l’esprit humain peuvent le permettre. Car on sent d’abord combien il en surpasse la foible portée, & qu’on ne sauroit trop scrupuleusement s’attacher au langage reçu dans une matiere où il est aussi facile que dangereux de s’égarer, comme l’a dit S. Augustin : in iis ubi quoeritur unitas trinitatis, Patris, & Filii, & Spiritûs-Sancti, nec periculosius alicubi erratur, nec laboriosius aliquid quoeritur. lib. I. de Trinit. c. j.

En effet, il est peu de dogmes qui aient été attaqués avec tant d’acharnement & de tant de différentes manieres par les ennemis du christianisme. Car sans parler des Juifs modernes qui le nient hautement pour ne par reconnoître la divinité de Jesus-Christ, & sous prétexte de maintenir l’unité d’un Dieu qui leur est si expressément recommandée dans l’ancienne loi, comme si l’on n’y trouvoit pas des traces suffisantes de ce mystere ; parmi les autres hérétiques, les uns l’ont combattu dans toutes ses parties en niant la trinité des personnes ; d’autres, ne l’ont attaqué qu’en quelque points, soit en multipliant ou en diversifiant la nature divine, soit en niant l’ordre d’origine qui se trouve entre le Pere, le Fils & le Saint-Esprit.

Sabellius & ses sectateurs qui ont paru dans le iij. siecle de l’Église, les Spinosistes & les Sociniens qui se sont élevés dans ces derniers tems, en ont nié la possibilité & la réalité. La possibilité, parce qu’ils prétendent qu’il implique contradiction qu’il y ait en Dieu trois personnes réellement distinguées les unes des autres, & que ces trois personnes possedent une seule & même nature numérique & individuelle. La réalité, parce qu’ils s’imaginent qu’il n’en est fait aucune mention dans les livres saints. Suivant eux, c’est la même personne divine ou le même Dieu qui est

nommé Pere, Fils & Saint-Esprit dans les Ecritures. Pere, entant qu’il est le principe de toutes choses & qu’il a donné l’ancienne loi. Fils, entant qu’il a daigné instruire de nouveau les hommes par Jesus-Christ qui étoit lui-même un pur homme. Saint-Esprit, entant qu’il éclaire les créatures raisonnables, & qu’il les échauffe du feu de son amour.

Jean Philoponus est le premier qu’on connoisse avoir multiplié la nature divine dans les trois personnes de la sainte Trinité. Il enseignoit, selon Nicephore hist. l. XVIII. que le Pere, le Fils & le Saint-esprit avoient la même nature spécifique, en ce qu’ils possédoient tous trois la même divinité ; mais il ajoutoit que la nature divine ne se trouve pas une en nombre dans ces trois personnes & qu’elle y est réellement multipliée. Erreur que l’abbé Faydit a renouvellée dans le dernier siecle. Arius, prêtre d’Alexandrie & Macédonius, patriarche de Constantinople, ont soutenu ; l’un, que le Verbe n’étoit pas consubstantiel au Pere ; l’autre, que le Saint-Esprit n’étoit pas Dieu comme le Pere & le Fils. Deux points que les Ariens modernes ou Antitrinitaires ont aussi avancé dans ces derniers tems. Enfin les Grecs pensent que le Saint-Esprit ne procede que du Pere & nullement du Fils.

A ces différentes erreurs, les Orthodoxes opposent. 1°. Les écritures qui établissent évidemment l’existence de ce mystere, & par conséquent sa possibilité dont la raison seule n’est pas juge compétent. 2°. Les décisions de l’église & sa tradition constante. 3°. Les recherches & les raisonnemens d’un grand nombre de Theologiens, soit protestans, soit catholiques, qui ont approfondi ces matieres dans les disputes avec les Sociniens, de maniere à faire voir que les interprétations que ceux-ci donnent aux Ecritures sont fausses, forcées & également contraires à l’esprit & à la lettre des livres saints. On peut consulter sur ce point les PP. Petau & Thomassin, MM. Bossuet, Huet & Wuitasse ; & parmi les Protestans, Abadie, la Place, Bullus, Hoornebek, &c.

Trinité philosophique, nous entendons par ce terme, les divers sentimens répandus dans l’antiquité sur une trinité d’hypostases dans la divinité.

En effet, parmi les payens, plusieurs écrivains semblent avoir eu quelque notion de la Trinité. Steuch. Eugub. de Peren. Philos. lib. I. c. iij. observe qu’il n’y a rien dans toute la théologie payenne qui ait été ou plus approfondi, ou plus généralement avoué par les Philosophes que la Trinité. Les Chaldéens, les Phéniciens, les Grecs & les Romains ont reconnu dans leurs écrits que l’être suprème a engendré un autre être de toute éternité, qu’ils ont appellé quelquefois le fils de Dieu, quelquefois le verbe, quelquefois l’esprit & quelquefois la sagesse de Dieu, & ont assuré qu’il étoit le créateur de toutes choses. Voyez Fils.

Parmi les sentences des Mages descendans de Zoroastre, on trouve celle-ci, πάντα ἐξετέλεσσε πατὴρ καὶ παρέδωκε δευτέρῳ ; le pere a accompli toutes choses & les a remises à son second esprit. Les Egyptiens appelloient leur trinité hempta, & ils l’ont représentée comme un globe, un serpent & une aîle joints dans un symbole hiéroglyphique. Le P. Kircher & M. Gale supposent que les Egyptiens avoient reçu cette doctrine du patriarche Joseph & des Hébreux.

Les Philosophes, dit S. Cyrille, ont reconnu trois hypostases ou personnes. Ils ont étendu leur divinité à trois personnes, & même se sont quelquefois servis du mot trias, trinité. Il ne leur manquoit que d’admettre la consubstantialité de ces trois hypostases, pour signifier l’unité de la nature divine à l’exclusion de toute triplicité, par rapport à la différence de nature, & de ne point regarder comme nécessaire de concevoir quelqu’infériorité de la seconde hypostase, par rapport à la premiere ; & de la troisieme, par rapport aux deux autres. Voyez Hypostase.