L’Encyclopédie/1re édition/FILS
FILS, s. m. (Grammaire) qui exprime la relation qu’un enfant mâle a avec son pere & sa mere, voyez Pere.
Les enfans du roi d’Angleterre sont appellés fils & filles d’Angleterre, voyez Roi.
Le fils aîné est en naissant duc de Cornoüaille, & crée prince de Galle, voyez Prince.
Les puinés sont appellés cadets.
Les enfans des rois de France étoient anciennement appellés fils & filles de France, & les petits-enfans, petits-fils & petites-filles de France ; mais à présent, les filles sont appellées, Mesdames ; la fille défunte de M. le Dauphin s’appelloit aussi Madame.
Fils adoptif. Voyez les articles Adoptif & Adoption.
Fils de Famille, en pays de droit écrit, est un enfant ou petit-enfant, qui est en la puissance de son pere, ou ayeul paternel.
Les filles qui sont soûmises à cette même puissance, sont aussi appellées filles de famille, & comprises sous le terme général d’enfans de famille.
Les fils & filles de famille ne peuvent point s’obliger pour cause de prêt, quoiqu’ils soient majeurs ; leurs obligations ne sont pas valables, même après leur mort, suivant le Senatus-consulte macédonien.
Ils ne peuvent tester, même avec la permission de leur pere, si ce n’est de leur pécule castrense ou quasi castrense.
Le pere joüit des fruits des biens du fils de famille, excepté de ceux de son pécule, & dans quelques autres cas que l’on expliquera au mot Puissance paternelle.
Tout ce que le fils de famille acquiert appartient au pere, tant en usufruit qu’en propriété.
Le pere ne peut faire aucune donation entre-vifs & irrévocable au fils de famille, si ce n’est par contrat de mariage.
Lorsque le pere marie son fils étant en sa puissance, il est responsable de la dot de sa belle-fille.
L’émancipation fait sortir le fils de famille de la puissance paternelle ; le pere qui émancipe son fils, avoit autrefois pour prix de son émancipation, le tiers des biens en propriété ; mais au lieu de cela, Justinien lui a donné la moitié en usufruit ; il a aussi l’usufruit d’une portion virile des biens maternels qui échéent au fils de famille depuis son émancipation, voyez Émancipation.
En pays coûtumier, où la puissance paternelle n’a pas lieu, on entend par fils de famille les enfans mineurs qui ne sont point mariés, & qui vivent sous la dépendance de leurs pere & mere.
Les fils de famille mineurs de 25 ans ne peuvent ; soit en pays de droit écrit, soit en pays coûtumier, contracter mariage sans le consentement de leurs pere & mere, tuteurs & curateurs.
Les majeurs de 25 ans peuvent se marier ; mais pour se mettre à couvert de l’exhérédation, il faut qu’ils fassent préalablement à leurs pere & mere trois sommations respectueuses, & les garçons ne peuvent faire ces sommations avant l’âge de 30 ans. Voyez Mariage.
Voyez au Digeste & aux Instituts le titre de his qui sui vel alieni juris sunt : le titre du digeste, de senatusconsult. macedoniano ; & aux instit, le titre de patriâ potestate, & de filio familias minore ; la novelle 117, ch. j. la novelle 118, ch. ij. (A)
Fils (Morale.) La relation du fils au pere, entraîne des devoirs qu’il doit nécessairement remplir, & dont le tableau laconique tracé d’un style oriental, par l’auteur du Bramine-inspiré (The inspir’d Bramin. London 1755 in-8o. 6. édit.) vaudra mieux que tout ce que je pourrois dire d’une maniere didactique.
« Mon fils (dit ce bramine) apprens à obéir, l’obéissance est un bonheur ; sois modeste, on craindra de te faire rougir.
» Reconnoissant ; la reconnoissance attire le bienfait ; humain, tu recueilleras l’amour des hommes.
» Juste, on t’estimera ; sincere, tu seras crû ; sobre, le sobriété écarte la maladie ; prudent, la fortune te suivra.
» Cours au desert, mon fils, observe la cicogne ; qu’elle parle à ton cœur : elle porte sur ses aîles son pere âgé, elle lui cherche un asyle, elle fournit à ses besoins.
» La piété d’un enfant pour son pere, est plus douce que l’encens de Perse offert au soleil, plus délicieuse que les odeurs qu’un vent chaud fait exhaler des plaines aromatiques de l’Arabie.
» Ton pere t’a donné la vie, écoute ce qu’il dit, car il le dit pour ton bien ; prête l’oreille à ses instructions, car c’est l’amour qui les dicte.
» Tu fus l’unique objet de ses soins & de sa tendresse, il ne s’est courbé sous le travail que pour t’applanir le chemin de la vie ; honore donc son âge, & fait respecter ses cheveux blancs.
» Songe de combien de secours ton enfance a eu besoin, dans combien d’écarts t’a précipité le feu de ta jeunesse, tu compatiras à ses infirmités, tu lui tendras la main dans le déclin de ses jours.
» Ainsi sa tête chauve entrera en paix dans le tombeau ; ainsi tes enfans à leur tour marcheront sur les mêmes pas à ton égard ».
Voyez aussi l’article Enfant (Morale,) où l’on entre dans de plus grands détails. Article de M. le Chevalier de Jaucourt.
Fils (beau.) Jurisp. & Belles-Lettres, terme d’affinité. Le beau-fils est le fils du mari ou de la femme sorti du premier mariage de l’un ou de l’autre : nous disions autrefois fillâtres, & nous avons eu tort d’appauvrir notre langue de ce terme expressif.
Il me rappelle que des interpretes d’Horace supposant que l’on ne dît en latin privignus, ou privigna, que d’un enfant du premier lit, fils ou fille dont le pere ou la mere sont décédés après avoir passé à de secondes nôces, accusent le poëte latin d’un pléonasme ridicule dans ses deux vers de l’Ode XXIV. liv. III. où est l’éloge des anciens Scythes.
Illic matre carentibus
Privignis mulier temperat innocens.
Mais les critiques dont je veux parler, n’ont pas pris garde que suivant les lois romaines, il pouvoit y avoir des privigni dont le pere ou la mere étoient encore en vie ; ce qui arrivoit dans le cas du divorce ; cas où le mari s’étant séparé de sa femme, comme la loi le lui permettoit, & ayant épousé une seconde femme, les enfans du premier mariage étoient privigni à l’égard de la seconde femme, quoique leur mere fût vivante. Ainsi Tibere Néron ayant cédé Livie à Auguste, Drusus fut privignus à Auguste.
Cette remarque est de M. Aubert dans Richelet, & elle leve une difficulté que la seule science de la langue latine ne peut résoudre sans la connoissance des lois romaines. M. Dacier, admirateur d’Horace, soûtient à la vérité, que privignis & matre carentibus, sont deux expressions différentes qui ne disent point la même chose, mais il n’explique pas en quoi & comment ces deux expressions different, & c’est précisément ce qu’il falloit prouver aux censeurs pour leur fermer la bouche. Article de M. le Chevalier de Jaucourt.
Fils des dieux (Mythol.) La dénomination de fils des dieux ou enfans des dieux, est aussi confuse qu’étendue dans l’histoire fabuleuse. C’est nettoyer les étables du roi Augias, que de travailler à débroüiller ce cahos. Je me bornerai donc aux principales applications de ce terme, rassemblées d’après l’abbé Banier dans le Dictionnaire mythologique.
1°. Tous les enfans du concubinage des princes mis ensuite au rang des dieux, comme de Jupiter & de quelques autres qui eurent plusieurs femmes pendant leur vie, étoient tout autant d’enfans ou de fils des dieux.
2°. On a donné souvent le nom de fils des dieux à plusieurs personnages poétiques ; comme quand on dit que l’Acheron étoit fils de Cérès, l’Amour fils de la Pauvreté, l’Echo fille de l’Air, les Nymphes filles. d’Acheloüs, & une infinité d’autres.
3°. Ceux qui furent les imitateurs des belles actions des dieux, & qui excellerent dans les mêmes arts, passerent pour leurs fils, comme Esculape, Orphée, Linus, &c.
4°. Ceux qui se rendoient fameux sur la mer, étoient regardés comme les enfans de Neptune ; ceux qui se distinguoient dans la guerre, étoient des fils de Mars, comme Thésée, Oenomaüs, &c.
5°. Ceux dont le caractere ressembloit à celui de quelque dieu, passoient aussi pour leurs fils. Etoit-on éloquent ? on avoit Apollon pour pere ; fin & rusé ? on étoit fils de Mercure.
6°. Ceux dont l’origine étoit obscure, étoient réputés enfans de la terre, comme les géans qui firent la guerre aux dieux, Tagès inventeur de la divination étrusque.
7°. La plûpart des princes & des héros, qui ont été déïfiés, avoient des dieux pour ancêtres, & passoient toûjours pour en être les fils.
8°. Ceux qu’on trouvoit exposés dans les temples ou dans les bois sacrés, étoient fils des dieux, à qui ces bois étoient consacrés ; ainsi Erictonius passa pour fils de Minerve & de Vulcain.
9°. Quand quelque prince avoit intérêt de cacher un commerce scandaleux, on ne manquoit pas de donner un dieu pour pere à l’enfant qui en naissoit ; ainsi Persée passa pour fils de Jupiter & de Danaé ; Romulus pour fils de Mars & de Rhéa ; Hercule pour fils de Jupiter & d’Alcmène.
10°. Ceux qui étoient nés du commerce des prêtres avec les femmes qu’ils subornoient dans les temples, étoient sur le compte des dieux dont ces prêtres étoient ministres. La Mythologie a tout divinisé. Article de M. le Chevalier de Jaucourt.
Fils de Dieu, (Théol.) Cette expression est employée fréquemment dans les Ecritures ; on dispute fortement sur le sens qu’elle y reçoit, les Catholiques y attachant des significations que les Ariens, les Nestoriens, les Sociniens & plusieurs autres hérétiques contestent.
Nous allons recueillir les divers sens dont cette expression est susceptible, ou que lui ont donné les Théologiens des diverses sectes & des diverses communions.
1°. On trouve appellés du nom de fils de Dieu, d’enfans de Dieu dans les Ecritures, ceux qui font la volonté de Dieu, qui le craignent & l’aiment comme leur pere, & qu’il aime comme ses enfans, qu’il adopte par sa grace, &c. C’est en ce sens que les anges, les saints, les justes & les chrétiens sont appellés fils de Dieu, enfans de Dieu.
2°. Quelques théologiens hétérodoxes prétendent que Jesus-Christ est appellé Fils de Dieu, parce qu’il étoit envoyé de Dieu, parce qu’il étoit le Messie. Ils prétendent que dans la langue des écrivains sacrés, & dans la croyance générale du peuple juif sur la venue du Messie, Fils de Dieu étoit synonyme de Messie. On conçoit bien qu’en donnant ce sens à l’expression Fils de Dieu, par exclusion aux significations plus amples que les Théologiens catholiques y attachent, on s’écarte de la doctrine catholique ; mais si on ne prétendoit pas exclure ces significations, & si on y met quelques restrictions, la proposition pourroit souffrir un sens favorable. En effet, il n’y a nul inconvénient à dire que les Juifs, avant la prédication des apôtres ; que les malades qui s’approchoient pour la premiere fois de Jesus-Christ pour obtenir leur guérison ; que le centurion romain qui vit mourir Jesus-Christ, en lui donnant le nom de Fils de Dieu, n’avoient pas toutes les idées que nous avons de cette qualité, & qui lui appartiennent.
3o. On pourroit appeller fils de Dieu, un pur homme qui auroit reçû immédiatement son existence hors des voies ordinaires de la génération, parce qu’en ce cas Dieu lui-même suppléeroit par sa puissance à l’union des deux sexes : c’est en ce sens qu’Adam est appellé fils de Dieu, qui fuit Dei.
Il y a eu des hérétiques qui niant la divinité de Jesus-Christ, & ne refusant pas de croire qu’il étoit né d’une Vierge, le regardoient comme Fils de Dieu dans ce même sens-là. Telle étoit l’opinion d’un certain Théodotus dont parle Tertullien, de præscript. versùs finem : Doctrinam introduxit, dit ce pere, quâ Christum hominem tantùm diceret, Deum autem illum negaret, ex Spiritu quidem sancto natum ex Virgine, sed hominem solitarium atque nudum nullo alio præ cæteris nisi solâ justitiæ authoritate.
Dans la doctrine de cet hérétique, & dans ce troisieme sens, Adam & Jesus-Christ sont fils de Dieu d’une maniere bien plus parfaite que dans les deux premieres acceptions : on pourroit même dire qu’ils sont fils de Dieu naturels, par opposition à l’adoption des saints ; mais cette acception du mot fils de Dieu entendue par exclusion des autres sens que nous allons rapporter, est tout-à-fait opposée à la doctrine catholique.
4o. Dans la doctrine catholique, le Verbe ou la seconde Personne de la Trinité, est Fils de Dieu, fils de la premiere Personne, par la voie d’une génération éternelle.
5o. Dans la doctrine catholique, J. C. homme-Dieu est Fils de Dieu, par l’union faite en lui de la nature humaine à la nature divine dans la seconde Personne de la Trinité, qui est elle-même Fils de Dieu, & Verbe engendré de toute éternité.
Nous verrons plus bas une sixieme signification de l’expression fils de Dieu ; mais nous allons faire encore quelques observations sur celles-ci, après que nous aurons remarqué deux autres sens plus généraux qu’elle peut recevoir.
Le nom de fils peut être pris dans le sens propre & naturel, ou dans un sens impropre & métaphorique : un enfant adopté n’est pas fils de celui qui l’adopte, dans le sens propre & naturel.
De-là naissent les contestations entre les hérétiques qui nient la divinité de Jesus-Christ, & les Catholiques : ceux-là prétendant que l’expression Fils de Dieu appliquée à Jesus-Christ, ou même appliquée au Verbe, ne sauroit être entendue que dans un sens impropre & métaphorique ; & ceux-ci soûtenant au contraire qu’elle doit être prise dans le sens propre & naturel.
Dans le dogme catholique, Jesus-Christ est Fils de Dieu au sens propre & naturel. Cette filiation naturelle ne peut pas être entendue de celle que nous avons remarquée à la troisieme signification. En effet, cette troisieme signification peut fonder une filiation naturelle, par opposition à la premiere & à la seconde, comme nous l’avons dit ; mais par comparaison à la quatrieme & à la cinquieme, elle ne sauroit être appellée propre & naturelle.
Ces deux dernieres significations de l’expression de Fils de Dieu appliquée à J. C. dans les Ecritures, ne peuvent être niées que par les hérétiques qui refuseroient de reconnoître la divinité du Verbe, comme les Ariens, les Sociniens ; ou par ceux qui nieroient l’union hypostatique de la nature humaine dans J. C. avec la personne du Verbe, comme les Nestoriens : voyez ces trois articles.
De-là il suit que les Théologiens catholiques, pour établir la légitimité de ces deux explications qu’ils donnent à l’expression Fils de Dieu appliquée à J. C. sont obligés d’établir la divinité du Verbe & l’union hypostatique, &c. Voyez sur le premier de ces objets l’article Trinité, & sur le dernier, Incarnation.
Ces deux renvois que nous sommes obligés de faire pour traiter ces matieres en leur lieu, & pour éviter les redites, nous dispensent d’exposer ici & les raisons sur lesquelles se fondent les Théologiens catholiques dans leurs assertions, & les difficultés qu’y opposent les hétérodoxes.
J’ai parlé plus haut d’un sixieme sens que pouvoit recevoir l’expression de Fils de Dieu ; nous allons nous occuper de cet objet.
Dans ces derniers tems, le P. Berruyer, jésuite, dans des dissertations latines qu’il a placées à la fin de son histoire du peuple de Dieu, depuis la naissance du Messie, a soûtenu que l’expression fils de Dieu en beaucoup d’endroits du nouveau Testament, devoit être entendue dans un sixieme sens distingué de ceux dont nous avons fait mention. Comme son opinion a fait du bruit, & qu’elle tient bien directement à l’objet de cet article, nous croyons devoir nous y arrêter un peu. Nous allons donc faire un petit exposé du système de ce pere, que nous accompagnerons de quelques remarques.
Cet auteur commence par établir avec les Théologiens catholiques, que le Verbe est Fils de Dieu par la voie d’une génération éternelle, & que J. C. est Fils de Dieu en vertu de son union hypostatique avec le Verbe, c’est-à-dire qu’il reconnoît hautement la légitimité de ces deux sens que les Théologiens catholiques donnent à l’expression fils de Dieu, en combattant les Ariens, les Sociniens, les Nestoriens, &c. C’est la quatrieme & la cinquieme signification parmi celles que nous avons remarquées.
Mais il croit que dans les Ecritures la dénomination de Fils de Dieu appliquée à J. C. ne reçoit pas toûjours l’un ou l’autre de ces deux sens, & qu’elle signifie quelquefois l’union de la nature humaine à la nature divine faite dans la personne de J. C. par Dieu, considéré non plus comme pere, comme engendrant le Verbe de toute éternité, mais comme subsistant en trois personnes, agissant au dehors, ad extrà, & unissant l’humanité de J. C. avec une personne divine.
Ceci a besoin d’être éclairci ; & pour le faire, nous allons tâcher d’écarter autant que nous pourrons les termes de l’école que le P. Berruyer a prodigués, & qui ne présenteroient pas des idées assez nettes au commun de nos lecteurs. Mais il faudra qu’on nous permette de les employer quelquefois ; & nous nous excuserons avec Melchior Canus, sur ce que ipsæ scholasticæ res formas dicendi scholasticas trahunt, & quæ vocabula scholarum consuetudo diuturna trivit, ea latini nobis condonare debent.
Pour bien entendre le P. Berruyer, il suffira de saisir les différences de la signification qu’il donne à l’expression Fils de Dieu, d’avec la quatrieme & la cinquieme de celles que nous avons expliquées.
Dans le quatrieme sens, le Verbe est Fils de Dieu par sa génération éternelle ; dans le cinquieme, Jesus-Christ est Fils de Dieu par l’union faite en lui de la nature humaine avec la seconde Personne de la Trinité, avec le Fils de Dieu éternel ; dans le sixieme sens, Jesus-Christ est Fils de Dieu par l’union de la nature humaine avec une personne divine, considérée simplement comme divine, & non point précisément comme la seconde.
Dans le quatrieme sens, la génération est éternelle ; dans le cinquieme & dans le sixieme, elle s’opere dans le tems.
Dans le quatrieme & dans le cinquieme sens, en appellant le Verbe Fils de Dieu, & Jesus-Christ Fils de Dieu, on porte son idée sur la premiere Personne de la Trinité, sur Dieu le Pere. Dans le sixieme, on applique l’idée de Pere à Dieu, à la nature divine agissant au dehors & subsistant en trois Personnes.
Dans le cinquieme sens, Jesus-Christ ne seroit pas Fils de Dieu, si la personne divine à laquelle son humanité se trouve unie, n’étoit pas la seconde Personne de la Trinité, n’étoit pas Fils de Dieu. Dans le sixieme, en supposant que cette personne fût le Pere ou le saint-Esprit (les Théologiens conviennent qu’on peut faire cette supposition, & qu’il ne répugnoir pas à la nature divine que le Pere ou le St Esprit s’incarnassent), Jesus-Christ seroit encore Fils de Dieu ; parce que dans cette hypothèse Dieu, un, subsistant en trois personnes, auroit uni dans le tems l’humanité de Jesus-Christ à la nature divine.
Au quatrieme & au cinquieme sens, l’intelligence de cette proposition Jesus-Christ est Fils de Dieu, suppose la connoissance de la génération éternelle du Verbe, de l’union hypostatique de ce Verbe avec la nature humaine en la personne de Jesus-Christ, en un mot du mystere de la Trinité. Dans le sixieme elle ne suppose rien autre chose que la connoissance d’un seul Dieu, unissant dans le tems la nature humaine à la nature divine dans la personne de J. C.
Voilà les différences respectives qu’établit le pere Berruyer entre ces trois significations ; elles peuvent servir à faire entendre sa pensée : au reste il faut avoüer que la difficulté de la matiere jette sur tout ceci un peu d’obscurité.
Je passe aux preuves sur lesquelles cet auteur s’appuie. Voici les principales.
1°. On doit donner, dit-il, à l’expression Fils de Dieu, le sens que je propose (sans exclure les autres) ; si l’action de Dieu unissant l’humanité de Jesus-Christ à une Personne de la Trinité, est une véritable génération, abstraction faite de ce que cette Personne seroit le Verbe engendré de toute éternité, la seconde Personne : or, même en faisant cette abstraction, l’action de Dieu unissant la nature humaine à la nature divine, est une véritable génération, puisque par cette action est engendré, formé, &c. l’Homme-Dieu.
En effet si la nature humaine étoit unie à une autre Personne que la seconde, le résultat de cette union, l’Homme-Dieu, seroit vraiment Fils de Dieu ; en ce cas l’action de Dieu unissant la nature humaine à cette Personne divine, seroit donc une véritable génération : donc l’action de Dieu unissant la nature humaine à la Personne du Verbe, est une vraie génération, même alors qu’on fait abstraction de la génération éternelle du Verbe : donc en faisant cette abstraction, il reste encore un sens vrai à la dénomination de Fils de Dieu, & c’est ce sens que je propose.
2°. On trouve très-nettement distinguées dans les Ecritures deux générations du Fils de Dieu, l’une éternelle, & l’autre temporelle. In principio........ Verbum erat apud Deum.... Et Verbum caro factum est.... Dominus possedit me initio viarum suarum.... Ego hodie genui te.... Figura substantiæ ejus portans omnia Verbo virtutis suæ.... De Filio suo qui factus est ei secundum carnem. Or la différence de ces deux générations ne peut bien s’entendre qu’au moyen de cette explication, puisqu’à moins qu’on ne l’admette, Jesus-Christ n’est Fils de Dieu que par la génération éternelle du Verbe.
3°. Avant la résurrection de Jesus-Christ, avant les instructions qu’il donna à ses disciples, avant de monter au ciel, avant la descente de l’Esprit-saint, ses apôtres & ses disciples ignoroient le mystere de la Trinité. Cela est clair par les endroits où leur ignorance est remarquée : Adhuc sine intellectu erant, Matth. xv. & xvj. Adhuc multa habeo vobis dicere ; sed non potestis portare modo, Joan. xvj. 12. Ipsi nihil horum intellexerunt, Luc. xviij. 34. Dicit eis Jesus, tanto tempore vobiscum sum & non cognovistis me, Joan. xjv. 9. Nondum erat spiritus datus, quia Jesus nondùm erat glorificatus, Joan. xvij. 29. Aussi bien que par ceux où Jesus-Christ promet de les instruire : Hæc in proverbiis locutus sum vobis ; venit hora ut jam non in proverbiis loquar vobis, sed palam de patre annuntiabo vobis, Joan. xvj. 25. Et après la résurrection : Loquebatur apostolis suis de regno Dei, per dies quadraginta apparens eis.
A plus forte raison les Juifs n’avoient-ils aucune idée de ce mystere ; & c’est la doctrine commune des Théologiens : bien plus les Juifs & les apôtres étoient bien fortement persuadés du dogme de l’unité de Dieu ; dogme qui aux yeux de la raison privée des lumieres de la foi, devoit former dans leur esprit une terrible opposition à la doctrine d’un Dieu en trois personnes.
Cela posé, que prêchoit Jesus-Christ aux Juifs & à ses apôtres avant sa résurrection, dit le P. Berruyer ? Ce n’étoit pas le dogme de l’union hypostatique de son humanité avec la seconde personne de la Trinité, avec le Verbe éternel Fils du Pere, & engendré par lui de toute éternité ; il n’auroit été entendu de personne, puisque toutes les notions préliminaires à la connoissance de ces mysteres manquoient à la nation juive, & qu’elle en avoit même de très-opposées à cette doctrine : c’étoit donc l’union faite dans le tems en sa personne de la nature humaine avec la nature divine ; union par laquelle il étoit vraiment Fils de Dieu, & connu pour tel : mystere bien sublime à la vérité, mais dont on peut avoir quelque idée sans connoître la Trinité des personnes & la génération du Verbe, & sans heurter aussi fortement aux yeux de la foible raison, le dogme de l’unité de Dieu.
Je placerai ici une remarque du P. Berruyer : c’est que l’empressement loüable des Théologiens à voir par-tout dans les Ecritures les dogmes de la foi catholique clairement développés, les écarte souvent de l’intelligence du texte. Ils devroient cependant considérer qu’il n’est pas nécessaire que les dogmes se trouvent expressément contenus dans tous les endroits de l’Ecriture qui peuvent y avoir quelques rapports ; il suffit pour donner un exemple tiré de la matiere même que nous traitons, que la génération éternelle du Verbe & son union substantielle avec la nature humaine dans la personne de J. C. soit développée dans quelques endroits ; il n’est pas nécessaire que l’expression Fils de Dieu signifie par-tout cette génération ; & on voit même, suivant ce qu’on vient de dire, qu’elle n’a point ce sens relevé & sublime, lorsqu’elle est dans la bouche des Juifs & des apôtres, avant les dernieres instructions qu’ils reçûrent de Jesus-Christ.
4°. Le P. Berruyer trouve cet avantage dans son explication, qu’il résout avec facilité quelques objections des Sociniens, qui ont toûjours embarrassé les Théologiens catholiques.
Jesus-Christ, disent les Sociniens, est appellé Fils de Dieu par les évangélistes, parce qu’il est né d’une vierge : Concipies in utero & paries filium........ Spiritus sanctus superveniet in te.... Ideoque quod nascetur ex te sanctum vocabitur Filius Dei. Luc. I.
Jesus-Christ, ajoûtent-ils, est dit dans S. Paul, I. 3. & 4. Filius factus Deo ex semine David secundùm carnem. Et aux Galat. IV. 4. Misit Deus Filium suum factum ex muliere factum sub lege. D’où les Sociniens argumentent ainsi :
J. C. est appellé dans les Ecritures, Fils de Dieu, né dans le tems, sous la loi, fait d’une femme, & selon la chair : or s’il étoit Fils de Dieu par la génération éternelle du Verbe, toutes ces expressions seroient faussement appliquées à J. C. car il faut bien considérer qu’elles lui sont appliquées entant qu’il est Fils de Dieu ; donc elles caractérisent sa filiation : or ce n’est pas une filiation fondée sur la génération éternelle du Verbe ; donc c’est une filiation d’adoption pure & nullement naturelle, à moins qu’on ne veuille regarder comme fils naturel un pur homme qui recevroit de Dieu l’existence hors des voies ordinaires de la génération ; donc J. C. n’est pas Fils de Dieu au sens propre & naturel, comme l’entendent les Catholiques.
Le P. Berruyer remarque d’abord que quelques Théologiens ont traduit factus, γενομένον, dans les passages que nous avons cités, par natus, né, par la raison que factus est plus embarrassant.
Il prétend qu’on peut entendre à la lettre ces expressions que font tant valoir les Sociniens, & résoudre la difficulté proposée, en adoptant son explication ; parce que, selon lui, il est vrai à la lettre que J. C. homme-Dieu a été fait dans le tems Fils de Dieu, par l’union que Dieu a mise dans le tems en sa personne entre la nature humaine & la nature divine.
Cette génération est vraiment naturelle, dans un sens tout-à-fait différent de celle que les Sociniens nous proposent d’admettre : elle n’est pourtant pas la génération éternelle du Verbe, quoiqu’elle la suppose ; & par conséquent en accordant, ce qu’on ne peut pas contester, que les passages allégués ne peuvent pas s’appliquer à la génération éternelle du Verbe, on est encore en droit de nier qu’ils doivent s’entendre d’une filiation non-naturelle & de pure adoption.
5°. Enfin le P. Berruyer prétend que cette explication est nécessaire pour l’intelligence de beaucoup d’endroits du nouveau Testament : nous renvoyons le lecteur à son ouvrage, pour ne pas augmenter trop considérablement cet article.
Le P. Berruyer prévient quelques objections que pourroient lui faire les Scholastiques, par ex que dans son hypothèse J. C. seroit fils de la Trinité, fils des trois Personnes, fils de lui-même, fils du S. Esprit ; en recourant à un principe reçû dans les écoles, les actions de la Divinité au-dehors, ad extrà, ne sont point attribuées aux trois Personnes ni à aucune d’elles en particulier, mais à Dieu, comme un en nature.
Autre objection contre le P. Berruyer, qu’il y auroit deux fils dans son hypothèse : il nie cette conséquence, appuyé sur cette raison, qu’il ne peut y avoir deux fils qu’au cas qu’il y auroit deux Personnes, selon l’hérésie de Nestorius ; & que comme son opinion laisse subsister & suppose même l’unité de Personne en J. C. on ne peut pas lui faire le reproche d’admettre deux fils, quoiqu’il admette en J. C. deux filiations.
Au reste, ce sixieme sens de l’expression Fils de Dieu, suppose essentiellement les deux dogmes importans de la divinité du Verbe, & de l’union hypostatique & substantielle de la nature humaine en J. C. avec la nature divine ; & toute l’explication du P. Berruyer est d’après cette supposition.
Sur l’opinion qu’on vient d’exposer, on a accusé le P. Berruyer de favoriser d’un côté le Nestorianisme, & de l’autre le Socinianisme. Ils ajoûtent que l’explication donnée par le P. Berruyer est nouvelle. On ne la trouve employée, disent-ils, par aucun pere & par aucun théologien dans les disputes avec les hérétiques ; on ne voit pas qu’aucun concile s’en soit servi pour développer les dogmes fondamentaux du Christianisme ; les interpretes & les commentateurs ne donnent pas aux passages allégués par le P. Berruyer les sens qu’il y adapte, &c. & ce caractere de nouveauté est un terrible argument contre une opinion dans l’esprit d’un catholique : néanmoins ce pere a trouvé des défenseurs. Nous n’entrerons pas dans les raisons qui ont été apportées de part & d’autre. Ces détails nous meneroient trop loin : d’ailleurs nous ne pourrions pas traiter cette matiere, sans donner en quelque sorte une décision qu’il ne nous appartient pas de prononcer ; c’est à l’Eglise seule & aux premiers pasteurs à nous éclairer sur des matieres aussi délicates, & qui touchent de si près à la Foi.
Relativement à l’article Fils de Dieu, il faut voir les art. Trinité, Incarnation, Ariens, Nestoriens, Sociniens.
Fils de l’homme (Théol.) terme usité dans les Ecritures pour signifier homme, & propre à exprimer tantôt la nature humaine, & tantôt sa fragilité.
Quand ce mot est appliqué à Jesus-Christ, il signifie en lui la nature humaine, mais exempte des imperfections qui sont ou la cause ou la suite du péché.
Cette expression étoit commune chez les Juifs & les Chaldéens. Les prophetes Daniel & Ezéchiel sont quelquefois désignés par cette appellation dans les livres qui portent leur nom.
Quelquefois aussi fils de l’homme, ou fils des hommes, désignent la corruption & la malignité de la nature humaine, & sont appliqués aux méchans & aux réprouvés, par opposition aux justes & aux élûs qui sont appellés fils de Dieu ; comme dans ce passage du Pseaume 4. filii hominum usquequo gravi corde ? ut quid diligitis vanitatem & quæritis mendacium ? (G)
Fils de la Terre (Hist. mod.) Dans l’université d’Oxford, c’est un écolier, qui aux actes publics a la commission de railler & satyriser les membres de cette université, de leur imputer quelque abus, ou corruption naissante : c’est à-peu-près la même chose que ce qu’on nommoit paranymphe dans la faculté de Théologie de Paris, voyez l’article Paranymphe. (G)
Fils (le) avant le pere, filius ante patrem, expression dont les Botanistes & les Fleuristes se servent verbalement & par écrit, pour marquer qu’une plante porte sa fleur avant ses feuilles. Telles sont diverses especes de colchique, le pas-d’âne, le pétasite, &c. Article M. le Chevalier de Jaucourt.