L’Encyclopédie/1re édition/TRINITÉ Théologique

TRINIUM  ►

TRINITÉ Théologique, nous appellons ainsi le mystere de la Trinité, en tant qu’il est du ressort de la foi, & des explications qu’en donnent les Théologiens.

Trinité ainsi considérée, Trinitas ou Trias, est le mystere de Dieu même subsistant en trois personnes, le Pere, le Fils, le Saint-Esprit, réellement distinguées les unes des autres, & qui possedent toutes trois la même nature numérique & individuelle. Voyez Dieu, Personne, &c.

C’est un article de la foi chrétienne qu’il n’y a qu’un seul Dieu, & cette unité est tout le fondement de la croyance des chrétiens. Mais cette même foi enseigne que cette unité est féconde, & que la nature divine sans blesser l’unité de l’être suprème, se communique par le Pere au Fils, & par le Pere & le Fils au Saint-Esprit : fécondité au reste qui multiplie les personnes sans multiplier la nature.

Ainsi le mot trinité renferme l’unité de trois personnes divines réellement distinguées, & l’identité d’une nature indivisible. La Trinité est un ternaire de personnes divines, qui ont la même essence, la même nature & la même substance, non-seulement spécifique, mais encore numérique.

La théologie enseigne qu’il y a en Dieu une essence, deux processions, trois personnes, quatre relations, cinq notions, & la circumincession que les Grecs appellent περιχώρησις. Nous allons donner une idée de chacun de ces points, qu’on trouvera d’ailleurs traités dans ce Dictionnaire, chacun sous son titre particulier.

1°. Il y a donc en Dieu une seule essence, une seule nature divine qui est spirituelle, infinie, éternelle, immense, toute-puissante, qui voit tout, qui connoît tout, qui a créé toutes choses, & qui les conserve. Vouloir diviser cette nature, c’est établir ou le manichéisme, ou le trithéisme, ou le polythéisme. Voyez Manichéisme, &c.

2°. Il y a en Dieu deux processions ou émanations, savoir celle du Fils, & celle du Saint-Esprit. Le Fils tire son origine du Pere, qui est improduit, & le S. Esprit tire la sienne du Pere & du Fils. La procession du Fils s’appelle génération, celle du S. Esprit retient le nom de procession. Voyez Génération, &c.

Le Fils procede du Pere par l’entendement, ou par voie de connoissance : car Dieu se connoissant lui-même de toute éternité, nécessairement & infiniment, produit un terme, une idée, une notion ou connoissance de lui-même, & de toutes ses perfections, qui est appellée son Verbe, son Fils, l’image de sa substance, qui lui est égal en toutes choses, éternel, infini, nécessaire, &c. comme son Pere.

Le Pere regarde son Fils comme son Verbe, & le Fils regarde son Pere comme son principe ; & en se regardant ainsi l’un & l’autre éternellement, nécessairement & infiniment, ils s’aiment nécessairement, & produisent un acte de leur amour mutuel.

Le terme de cet amour est le S. Esprit, qui procede du Pere & du Fils par voie de spiration, c’est-à-dire de volonté, d’amour & d’impulsion, & qui est aussi égal en toutes choses au Pere & au Fils. Voyez Pere, Fils & S. Esprit.

Ces processions sont éternelles, puisque le Fils & le S. Esprit qui en résultent, sont eux-mêmes éternels. Elles sont nécessaires & non contingentes, car si elles étoient libres en Dieu, le Fils & le S. Esprit qui en émanent seroient contingens, & dès-lors ils ne seroient plus Dieu. Enfin elles ne produisent rien hors du Pere, puisque le Fils & le S. Esprit qui en sont le terme, demeurent unis au Pere sans en être séparés, quoiqu’ils soient réellement distingués de lui.

3°. Chaque procession divine établit deux relations ; l’une du côté du principe, ou de la personne de qui une autre émane ; & l’autre du côté du terme ou de la personne qui émane d’une autre personne divine.

La paternité est une relation fondée sur ce que les théologiens scholastiques appellent l’entendement notionel, par lequel le Pere a rapport à la seconde personne qui est le Fils. La filiation est la relation par laquelle la seconde personne, c’est-à-dire le Fils, a rapport au Pere. Ainsi la premiere procession qu’on nomme génération, suppose nécessairement deux relations, la paternité & la filiation. Voyez Paternité & Filiation.

La spiration active est la relation fondée sur l’acte notionel de la volonté, par laquelle la premiere & la seconde personne regardent ou se rapportent à la troisieme. La spiration passive, ou procession prise dans sa signification stricte, est la relation par laquelle la troisieme personne regarde ou se rapporte à la premiere & à la seconde. Par conséquent la seconde procession, qui retient proprement le nom de procession, forme nécessairement deux relations ; la spiration active & la spiration passive. Voyez Spiration.

Ou pour exprimer encore plus clairement ces choses abstraites. La premiere personne qui s’appelle Pere, a en qualité de Pere, un rapport réel de paternité avec le Fils qu’il engendre. La seconde personne qui s’appelle Fils, a en qualité de Fils, un rapport réel de filiation avec le Pere qui le produit. La troisieme personne qui s’appelle le Saint-Esprit, a en qualité de Saint-Esprit, un rapport réel de spiration passive avec le Pere & le Fils, parce qu’il en procede. Le Pere & le Fils qui produisent le S. Esprit, ont en qualité de principe du S. Esprit, un rapport réel de spiration active avec cette troisieme personne qui émane d’eux.

4°. Par personne on entend une substance individuelle, raisonnable ou intellectuelle, ou bien une substance intellectuelle & incommunicable. Voyez Personne.

Quoique dans les premiers siecles on ait disputé sur la signification du mot hypostase, quelques peres le rejettant pour ne pas paroître admettre en Dieu trois natures ; cependant selon l’usage reçu depuis long-tems dans l’Église & dans les écoles, le mot hypostase est synonyme à celui de personne. Il y a donc dans la sainte Trinité trois hypostases, ou trois personnes, le Pere, le Fils & le S. Esprit, qui sont constituées par les relations propres & particulieres à chacune d’elles. En sorte qu’excepté ces relations, toutes choses leur sont communes. C’est de-là qu’est venu cet axiome en Théologie : omnia in divinis unum sunt, ubi non obviat relationis oppositio, c’est-à-dire qu’il n’y a point de distinction dans les personnes divines, lorsqu’il n’y a point d’opposition de relation. Ainsi tout ce qui concerne l’essence ou la nature leur est commun, il n’y a que les propriétés relatives qui regardent proprement les personnes. Relativa nomina Trinitatem faciunt, dit S. Fulgence, lib. de Trinit. essentialia vero nullo modo triplicantur.

Ainsi si la puissance est quelquefois attribuée au Pere, la sagesse au Fils, & la bonté au S Esprit ; & de même si l’on dit que les péchés d’infirmité ou de foiblesse sont commis contre le Pere, ceux d’ignorance contre le Fils, ceux de malice contre le S. Esprit, ce n’est pas à dire pour cela que ces attributs ne soient pas communs aux trois personnes, ni que ces péchés les offensent moins directement l’une que l’autre. Mais on leur attribue ou rapporte ces choses par voie d’appropriation, & non de propriété ; car toutes ces choses sont communes aux trois personnes, d’où est venu cet axiome : les œuvres de la sainte Trinité sont communes & indivises, (c’est-à-dire elles conviennent à toutes les personnes divines), mais non pas leurs productions ad intra (comme on les appelle), par la raison qu’elles sont relatives.

Par appropriation on entend l’action de donner à une personne divine, à cause de quelque convenance, un attribut qui est réellement commun à toutes les trois. Ainsi dans les Ecritures, dans les épîtres des apôtres, dans le symbole de Nicée, la toute-puissance est attribuée au Pere, parce qu’il est le premier principe, & un principe sans origine, ou principe plus élevé. La sagesse est attribuée au Fils, parce qu’il est le terme de l’entendement divin, auquel la sagesse appartient. La bonté est attribuée au S. Esprit, comme au terme de la volonté divine à laquelle appartient la bonté.

Le Pere est la premiere personne de la sainte Trinité, par la raison que le Pere seul produit le Verbe par l’acte de son entendement ; & avec le Verbe il produit le S. Esprit par l’acte de sa volonté.

Il est bon de remarquer ici que le S. Esprit n’est pas ainsi appellé à cause de sa spiritualité, qui est un attribut commun à toutes les trois personnes ; mais à cause de la spiration passive qui lui est particuliere à lui seul. Spiritus, quasi spiratus.

Ajoutez à cela, que quand une personne de la sainte Trinité est appellée premiere, une autre seconde, une autre troisieme, ces expressions ne doivent point s’entendre d’une priorité de tems ou de nature, qui emporteroit avec elle quelqu’idée de dépendance, ou de commencement dans le tems ; mais d’une priorité d’origine ou d’émanation, qui consiste en ce qu’une personne produit l’autre ; mais de toute éternité, & de telle sorte que la personne qui produit ne peut exister, ni être conçue sans celle qui est produite.

5°. Il suit de ce que nous avons dit, que dans la Trinité il y a des notions ; & par notion l’on entend une marque particuliere, ou un caractere distinctif qui sert à distinguer les trois personnes, & l’on en compte cinq. La paternité, qui distingue le Pere du Fils & du S. Esprit. La filiation, qui distingue le Fils des deux autres personnes divines. La spiration active, qui distingue le Pere & le Fils d’avec le S. Esprit, & la spiration passive, qui distingue le S. Esprit du Pere & du Fils. Quelques théologiens prétendent que ces quatre notions suffisent, & que le Pere est assez distingué du Fils par la paternité, & du S. Esprit par la spiration active ; mais le plus grand nombre ajoute encore pour le Pere l’innascibilité. En effet, elle seule donne une idée juste & totale du Pere, qui est la premiere des trois personnes divines. Cette premiere personne est improduite, & qui dit simplement pere, n’énonce pas une personne non engendrée : quiconque est pere, peut avoir lui-même un pere.

6°. La circumincession, ou περιχώρησις, est l’inexistence intime des personnes divines, ou leur mutuelle existence l’une dans l’autre. Car quoiqu’elles soient réellement distinguées, elles sont cependant consubstantielles ; c’est pourquoi J. C. dit dans S. Jean, ch. xiv. Quoi, vous ne croyez pas que je suis dans le Pere, & que le Pere est en moi ? L’identité d’essence que les Grecs appellent ὁμοουσία, & la consubstantialité avec la distinction des personnes, sont nécessaires pour la circumincession. Voyez Circumincession.

Telle est la foi sur le mystere de la sainte Trinité, & telles sont les expressions consacrées parmi les Théologiens pour expliquer ce mystere, autant que les bornes de l’esprit humain peuvent le permettre. Car on sent d’abord combien il en surpasse la foible portée, & qu’on ne sauroit trop scrupuleusement s’attacher au langage reçu dans une matiere où il est aussi facile que dangereux de s’égarer, comme l’a dit S. Augustin : in iis ubi quoeritur unitas trinitatis, Patris, & Filii, & Spiritûs-Sancti, nec periculosius alicubi erratur, nec laboriosius aliquid quoeritur. lib. I. de Trinit. c. j.

En effet, il est peu de dogmes qui aient été attaqués avec tant d’acharnement & de tant de différentes manieres par les ennemis du christianisme. Car sans parler des Juifs modernes qui le nient hautement pour ne par reconnoître la divinité de Jesus-Christ, & sous prétexte de maintenir l’unité d’un Dieu qui leur est si expressément recommandée dans l’ancienne loi, comme si l’on n’y trouvoit pas des traces suffisantes de ce mystere ; parmi les autres hérétiques, les uns l’ont combattu dans toutes ses parties en niant la trinité des personnes ; d’autres, ne l’ont attaqué qu’en quelque points, soit en multipliant ou en diversifiant la nature divine, soit en niant l’ordre d’origine qui se trouve entre le Pere, le Fils & le Saint-Esprit.

Sabellius & ses sectateurs qui ont paru dans le iij. siecle de l’Église, les Spinosistes & les Sociniens qui se sont élevés dans ces derniers tems, en ont nié la possibilité & la réalité. La possibilité, parce qu’ils prétendent qu’il implique contradiction qu’il y ait en Dieu trois personnes réellement distinguées les unes des autres, & que ces trois personnes possedent une seule & même nature numérique & individuelle. La réalité, parce qu’ils s’imaginent qu’il n’en est fait aucune mention dans les livres saints. Suivant eux, c’est la même personne divine ou le même Dieu qui est nommé Pere, Fils & Saint-Esprit dans les Ecritures. Pere, entant qu’il est le principe de toutes choses & qu’il a donné l’ancienne loi. Fils, entant qu’il a daigné instruire de nouveau les hommes par Jesus-Christ qui étoit lui-même un pur homme. Saint-Esprit, entant qu’il éclaire les créatures raisonnables, & qu’il les échauffe du feu de son amour.

Jean Philoponus est le premier qu’on connoisse avoir multiplié la nature divine dans les trois personnes de la sainte Trinité. Il enseignoit, selon Nicephore hist. l. XVIII. que le Pere, le Fils & le Saint-esprit avoient la même nature spécifique, en ce qu’ils possédoient tous trois la même divinité ; mais il ajoutoit que la nature divine ne se trouve pas une en nombre dans ces trois personnes & qu’elle y est réellement multipliée. Erreur que l’abbé Faydit a renouvellée dans le dernier siecle. Arius, prêtre d’Alexandrie & Macédonius, patriarche de Constantinople, ont soutenu ; l’un, que le Verbe n’étoit pas consubstantiel au Pere ; l’autre, que le Saint-Esprit n’étoit pas Dieu comme le Pere & le Fils. Deux points que les Ariens modernes ou Antitrinitaires ont aussi avancé dans ces derniers tems. Enfin les Grecs pensent que le Saint-Esprit ne procede que du Pere & nullement du Fils.

A ces différentes erreurs, les Orthodoxes opposent. 1°. Les écritures qui établissent évidemment l’existence de ce mystere, & par conséquent sa possibilité dont la raison seule n’est pas juge compétent. 2°. Les décisions de l’église & sa tradition constante. 3°. Les recherches & les raisonnemens d’un grand nombre de Theologiens, soit protestans, soit catholiques, qui ont approfondi ces matieres dans les disputes avec les Sociniens, de maniere à faire voir que les interprétations que ceux-ci donnent aux Ecritures sont fausses, forcées & également contraires à l’esprit & à la lettre des livres saints. On peut consulter sur ce point les PP. Petau & Thomassin, MM. Bossuet, Huet & Wuitasse ; & parmi les Protestans, Abadie, la Place, Bullus, Hoornebek, &c.

Trinité philosophique, nous entendons par ce terme, les divers sentimens répandus dans l’antiquité sur une trinité d’hypostases dans la divinité.

En effet, parmi les payens, plusieurs écrivains semblent avoir eu quelque notion de la Trinité. Steuch. Eugub. de Peren. Philos. lib. I. c. iij. observe qu’il n’y a rien dans toute la théologie payenne qui ait été ou plus approfondi, ou plus généralement avoué par les Philosophes que la Trinité. Les Chaldéens, les Phéniciens, les Grecs & les Romains ont reconnu dans leurs écrits que l’être suprème a engendré un autre être de toute éternité, qu’ils ont appellé quelquefois le fils de Dieu, quelquefois le verbe, quelquefois l’esprit & quelquefois la sagesse de Dieu, & ont assuré qu’il étoit le créateur de toutes choses. Voyez Fils.

Parmi les sentences des Mages descendans de Zoroastre, on trouve celle-ci, πάντα ἐξετέλεσσε πατὴρ καὶ παρέδωκε δευτέρῳ ; le pere a accompli toutes choses & les a remises à son second esprit. Les Egyptiens appelloient leur trinité hempta, & ils l’ont représentée comme un globe, un serpent & une aîle joints dans un symbole hiéroglyphique. Le P. Kircher & M. Gale supposent que les Egyptiens avoient reçu cette doctrine du patriarche Joseph & des Hébreux.

Les Philosophes, dit S. Cyrille, ont reconnu trois hypostases ou personnes. Ils ont étendu leur divinité à trois personnes, & même se sont quelquefois servis du mot trias, trinité. Il ne leur manquoit que d’admettre la consubstantialité de ces trois hypostases, pour signifier l’unité de la nature divine à l’exclusion de toute triplicité, par rapport à la différence de nature, & de ne point regarder comme nécessaire de concevoir quelqu’infériorité de la seconde hypostase, par rapport à la premiere ; & de la troisieme, par rapport aux deux autres. Voyez Hypostase.

Plotin soutient, Ennecad. V. lib. I. chap. viij. que cette doctrine est très-ancienne, & qu’elle avoit déja été enseignée, quoiqu’obscurément par Parmenide. Il y en a qui rapportent l’origine de cette opinion aux Pythagoriciens, & d’autres l’attribuent à Orphée, qui a nommé ces trois principes Phanés, Uranus & Chronus. Quelques savans ne trouvent pas vraissemblable que cette trinité d’hypostases soit une invention de l’esprit humain, & M. Cudworth, entr’autres, juge qu’on peut en croire Proclus, qui assure que c’est une théologie de tradition divine, θεοπαράδοτος θεολογία, & qu’ayant été donnée aux Hébreux, elle est passée d’eux à d’autres nations, parmi lesquelles elle s’est néanmoins corrompue ; & en effet, il est fort probable que les Hébreux l’aient communiquée aux Egyptiens, ceux-ci aux Phéniciens & aux Grecs, & que par laps de tems, elle se soit altérée par les recherches mêmes des Philosophes, dont les derniers, comme c’est la coutume, auront voulu substituer & ajouter de nouvelles découvertes aux opinions des anciens. Il est vrai, d’un autre côté, que le commerce des philosophes grecs avec les Egyptiens, ne remonte qu’au voyage que Pythagore fit en Egypte, où il conversa avec les prêtres de ce pays, ce qui ne remonte pas plus haut que l’an du monde 3440, & il y avoit alors plus de mille ans que les Hébreux étoient sortis d’Egypte. Il eût été par conséquent fort étonnant que les Egyptiens eussent conservé des idées bien nettes & bien pures de la trinité ; & ils n’en purent gueres donner que de confuses à Pythagore, sur un dogme qui leur étoit, pour ainsi dire étranger, puisqu’ils avoient eux-mêmes considérablement obscurci ou défiguré les principaux points de leur propre religion.

Quoi qu’il en soit, les Philosophes qui admettoient cette trinité d’hypostases, la nommoient une trinité de dieux, un premier, un second, un troisieme dieu. D’autres ont dit une trinité de cause, de principes ou de créateurs. Numenius disoit qu’il y a trois dieux, qu’il nomme le pere, le fils & le petit-fils. Philon, tout juif qu’il étoit, a parlé d’un second dieu. Cette tradition fut exprimée en termes impropres & corrompus en diverses manieres parmi les payens. Il y eut quelques Pythagoriciens & quelques Platoniciens qui dirent que le monde étoit la troisieme hypostase dont il s’agissoit, de sorte qu’ils confondoient la créature & le créateur. On ne peut pas les excuser, en disant qu’ils entendoient principalement par-là l’esprit ou l’ame du monde, puisque s’il y avoit une ame du monde, qui conjointement avec le monde sensible composât un animal, il faudroit que cette ame fût une créature. 2°. Il y eut encore quelques philosophes des mêmes sectes, qui croyant que les différentes idées qui sont dans l’entendement divin, sont autant de dieux, faisoient de la seconde hypostase un nombre infini de divinités. 3°. Proclus & quelques nouveaux Platoniciens établirent un nombre infini de henades ou d’unités qu’ils plaçoient au-dessus de leur premier esprit qui faisoit leur seconde hypostase, & plaçoient de même une infinité de noës ou d’esprits au-dessus de la troisieme hypostase, qu’ils nommoient la premiere ame. De-là vinrent une infinité de dieux subalternes ou créés dans leur théologie, ce qui les jetta dans l’idolâtrie & dans la superstition, & les rendit les plus grands ennemis du christianisme.

Mais de tous les anciens philosophes, aucun ne s’est exprimé sur cette trinité d’hypostases plus formellement que Platon. Ce philosophe établit trois Dieux éternels, & qui ne sont pas des choses abstraites, mais des êtres subsistans. On peut voir là-dessus sa seconde épître à Denys. La deuxieme hypostase de Platon, où l’entendement est aussi sans commencement. Il assuroit la même chose de la troisieme hypostase, nommée l’ame. Il y a là-dessus des passages remarquables de Plotin & de Porphyre, qui disent que la seconde existe par elle-même & est le pere d’elle-même, αὐτογένητος πᾶς αὐτοπάτρως. Plotin en particulier a expliqué ce mystere, en disant qu’encore que la seconde hypostase procede de la premiere, elle n’a pas été produite à la maniere des créatures, ni par un effet arbitraire de la volonté divine ; mais qu’elle en est sortie comme une émanation naturelle & nécessaire. Les trois hypostases de Platon sont non-seulement éternelles, mais aucune d’entre elles ne peut être détruite. Enfin elles renferment également tout l’univers, c’est-à-dire, qu’elles sont infinies & toute-puissantes. Cependant ce philosophe admettoit entre elles une espece de subordination ; l’on agitoit dans les écoles platoniciennes à-peu-près les mêmes difficultés qui ont donné tant d’exercice à nos théologiens. Le P. Petau. Dogm. théolog. tom II. l. I. c. j. après avoir expliqué le sentiment d’Arius, a soutenu que cet herésiarque étoit un véritable platonicien. Tandis que M. Cudworth prétend au contraire que c’est S. Athanase qui a été dans les sentimens de Platon. Il faut avouer que l’obscurité de ce philosophe & de ses disciples, donne lieu de soutenir l’un & l’autre sentiment. Voyez le Clerc, Bibliot. chois. tom. III. art. j.

Voilà sans doute ce qui a donné lieu à quelques modernes d’avancer que les peres de la primitive église avoient puisé leur doctrine sur la trinité dans l’école de Platon ; mais le P. Mourgues & le P. Balthus, jésuites, qui ont approfondi cette matiere, montrent qu’il n’y a rien de si absurde que de supposer que c’est la trinité de Platon qui a été adoptée dans l’Église, & que d’avoir recours au prétendu platonisme des peres, pour décréditer leur autorité par rapport à ce dogme. En effet, outre que toutes les vérités fondamentales qui concernent ce mystere sont contenues dans l’Ecriture & ont été définies par l’Église, quelle qu’ait été l’opinion des peres considérés comme philosophes, elle n’influe point sur le dogme de la Trinité chrétienne, qui ne dépend nullement des opinions de la philosophie ; & l’on peut faire, puisque l’occasion s’en présente, les trois remarques suivantes sur cet article de notre foi. 1°. La Trinité que nous croyons, n’est point une trinité de noms & de mots, ou de notions de métaphysique, ou de conceptions incomplettes de la divinité ; cette doctrine a été condamnée dans Sabellius & dans d’autres : c’est une trinité d’hypostases, de subsistances & de personnes. 2°. C’est qu’encore que la deuxieme hypostase ait été engendrée par la premiere, & que la troisieme procede de l’une & de l’autre ; ces deux dernieres ne sont pas néanmoins des créatures, mais sont coëternelles à la premiere. 3°. C’est que ces trois hypostases ne sont réellement qu’un seul Dieu, non-seulement à cause du consentement de leurs volontés, (ce qui ne feroit qu’une unité morale), mais encore à cause de leur mutuelle union de subsistance, que les anciens ont nommées circum incession, περιχώρησις ou inexistences ενυπαρξις, ce qui emporte une unité réelle & physique.

Quoiqu’on ne puisse trouver d’autres exemples d’une semblable union dans les créatures ; puisque deux substances diverses font un seul homme, trois hypostases divines peuvent bien faire un seul Dieu. Ainsi quoiqu’il y ait dans ce dogme une profondeur impénétrable, il ne renferme pourtant point de contradiction & d’impossibilité. Au reste, il semble que la providence divine ait conservé la trinité selon le système des Philosophes dans le monde payen, jusqu’à ce que le christianisme parut, pour lui préparer une voie par laquelle il pût être reçu des habiles gens. Cet article est en partie tiré des mémoires de M. Formey, historiographe de l’académie royale de Prusse.

Trinité, (fête de la très-sainte.) fête solemnelle que l’on célebre dans l’Eglise romaine, en l’honneur du mystere de la Trinité, le premier dimanche après la fête de la Pentecôte.

Quoique de tout tems on ait honoré ce mystere, & que tout le culte des Chrétiens consiste à adorer un Dieu en trois personnes, cependant la fête particuliere de la Trinité est d’une institution assez recente. Vers l’an 920, Etienne, evêque de Liége, fit dresser un office de la Trinité, qui s’établit peu à peu dans diverses églises. On célébroit ordinairement la messe de la Trinité dans les jours qui manquoient d’office ; mais le pape Alexandre II. ne voulut approuver aucun jour particulier pour la fête de la sainte trinité, quoiqu’elle fût établie dans plusieurs églises particulieres. Alexandre III. déclara sur la fin du xije. siecle, que l’Eglise romaine ne connoissoit point cette fête. Pothon, moine de Prom, qui vivoit dans le même siecle, en combattit l’usage, & il fut encore vivement attaqué dans le xiije. siecle, cependant le concile d’Arles, tenu en 1260, l’établit pour sa province. On croit que ce fut au xjve. siécle, que l’église de Rome reçut la fête de la Trinité, sous le pontificat de Jean XXII. & que ce pape la fixa au dimanche qui suit immédiatement la Pentecôte, mais ce fait est fort douteux : car le cardinal Pierre d’Ailly, sollicita en 1405, Benoît XIII. pour l’établissement de cette fête, & Gerson dit que de son tems l’institution en étoit encore toute nouvelle. Les Grecs n’ont point encore la fête solemnelle de la Trinité, ils en font seulement l’office le lundi, le lendemain de la Pentecôte. Baillet, vies des saints, hist. des fêtes mobiles.

Trinité, (critiq. sacrée.) ce mot est reçu pour désigner le mystere de Dieu en trois personnes, le pere, le fils & le saint-esprit. Il me semble qu’il y auroit de la témérité d’entreprendre d’expliquer ce dogme, parce que vû le silence des écrivains sacrés, les explications ne peuvent être qu’arbitraires, & chacun a droit de forger la sienne. De-là vient que S. Hilaire par son expression trina deitas, trouva tout autant de censeurs que d’approbateurs, qui disputerent vainement sur un sujet dont ils ne pouvoient se former d’idée. Aussi Chilpéric I. monarque singulier, si le portrait que nous en a fait Grégoire de Tours est fidele, voulut donner un édit pour défendre de se servir même à l’avenir du terme de trinité, & de celui de personne en parlant de Dieu. Il condamnoit le premier terme parce qu’il n’étoit pas dans l’Ecriture, & proscrivoit le second, parce qu’étant d’usage pour distinguer parmi les hommes chaque individu, il prétendoit qu’il ne pouvoit en aucune maniere convenir à la divinité. (D. J.)

Trinité, fraternité ou confrairie de la sainte, est une société instituée à Rome par saint Philippe de Néry, en 1548, pour avoir soin des pélerins qui viennent de toutes les parties du monde, se rendre dans cette ville capitale, pour visiter les tombeaux des apôtres saint Pierre & saint Paul. Voyez Fraternité.

Ceux qui composent cette société, ont une maison où ils entretiennent pendant l’espace de trois jours non-seulement les pélerins, mais aussi les pauvres convalescens, & ceux qui étant sortis trop-tôt de l’hôpital, pourroient être sujets à des rechutes.

Cet établissement fut d’abord fait dans l’église de S. Sauveur, in campo, & ne consistoit qu’en quinze personnes qui tous les premiers dimanches du mois se trouvoient dans cette église, pour pratiquer les exercices de piété prescrits par saint Philippe de Néry, & pour entendre ses exhortations ; en 1558, Paul IV. donna à la fraternité l’église de saint Benoît, que les freres intitulerent du nom de la sainte Trinité. Depuis ce tems là, ils ont bâti & joint à l’église un hôpital très-vaste, pour les pélerins & malades convalescens.

Aujourd’hui cette fraternité est très-considérable, & la plûpart de la noblesse de Rome de l’un ou de l’autre sexe, lui fait l’honneur d’en être membres.

La congrégation de la sainte Trinité consiste en douze prêtres, établis dans l’hôpital de la fraternité pour prendre soins des pélerins & de ceux que l’on a coutume d’y entretenir.

Comme les fréquens changemens de prêtres donnoient occasion à une partie des différens qui s’élevoient dans cet hôpital, sur la conduite spirituelle & sur l’instruction des pélerins ; les gardiens & administrateurs pour y établir une plus grande uniformité, y formerent une congrégation de douze prêtres qui logent aujourd’hui dans un quartier de l’hôpital, & y vivent en communauté comme dans un monastere.

Trinité, (ordre de la sainte.) Voyez Trinitaires.

Trinité créée. filles de la, (Hist. des ord. relig.) c’est le nom bien étrange des religieuses de la société de S. Joseph. Ces filles avoient une maison à la Rochelle qui y fut établie en 1659 ; cinq ans après les sœurs de cette maison ayant eu envie d’embrasser l’état régulier, firent des vœux, & jetterent les fondemens d’un ordre pour lequel on dressa des regles & des constitutions, qui furent imprimées à Paris en 1664, sous le titre de regle des filles de la Trinité créée, dites religieuses de la congrégation de saint Joseph, instituée pour l’éducation des filles orphelines dans la ville de la Rochelle. Cette seule maison de la Rochelle fait jusqu’ici tout cet ordre. (D. J.)

Trinité maison de la, (Hist. mod. d’Angl.) the trinity-house ; c’est ainsi qu’on appelle en Angleterre, une célebre confrairie, corporation, ou compagnie de gens de mer, à qui l’usage & la légistature ont confié plusieurs articles de police, concernant la navigation des côtes & des rivieres, & particuliérément ce qui regarde le lamanage & le lestage des navires.

Elle doit son origine à Henri VIII, qui, par des lettres-patentes du mois de Mars de la quatrieme année de son regne, incorpora les mariniers anglois, sous le nom de maîtres gardiens, & assistans de la société de la très-glorieuse Trinité, Master Wardens, and assistans of the guild fraternity, or Brothers hood of the most glorious, and individual triniti ; c’est le titre singulier qu’on lui donna.

Cette confrairie fut érigée dans la paroisse de Deptford-Strand, au comté de Kent, où elle eut sa premiere maison ; depuis elle en a élevé quelques autres en divers endroits, qui sont celles de Newcastle sur la Tine, dans le Northumberland. Celle de Kingstone-sur Hull, dans l’York-Shire, & celle des cinq ports. La maison de Deptsord-Strand, est comme le chef lieu de la confrairie.

L’acte du parlement passé sous Elisabeth, attribue à la maison de la Trinité, le droit de placer sur les côtes d’Angleterre, les tonnes, les bouées, les balises & les fanaux qu’elle juge à propos, pour la sûreté de la navigation, & l’autorise à donner aux gens de mer, la permission d’exercer sur la Tamise, le métier de batelier ; sans que qui que ce soit puisse leur apporter aucun empêchement.

La corporation de la trinité est composée d’anciens & de jeunes confreres. Il y a trente-un anciens, le nombre des jeunes n’est pas limité. Tout marinier peut prétendre d’y être admis. On tire les anciens du nombre des jeunes. Quand une fois ils ont été élus, ils conservent cette qualité toute leur vie, à moins que par quelque malversation, ils ne se fassent casser. On choisit annuellement entr’eux un maître, quatre gardiens, & huit assesseurs. Le pouvoir accordé à la corporation par la couronne, s’exerce par le maître, les gardiens, les assesseurs, & les anciens.

On leur remet quelquefois des causes maritimes à juger, & l’on s’en tient à leur jugement. De plus, la cour de l’amirauté les charge d’instruire certains procès, & de les rapporter.

La corporation de la trinité, indépendamment de plusieurs franchises, jouit du privilége exclusif de fournir des pilotes, pour conduire les navires hors de la Tamise & du Medway, jusqu’aux dunes, & des dunes dans le Medway & dans la Tamise. Elle peut faire tel réglement qu’elle juge nécessaire pour le bon ordre, le soutien & l’augmentation de la navigation, & des mariniers. Elle a droit d’appeller devant elle, tout maître, pilote, ou homme de mer employé dans un vaisseau sur la Tamise, & de condamner à une amende ceux qui refusent de comparoître. Quoique la police de la Tamise, depuis le pont de Londres jusqu’à la mer, soit particuliererement de son ressort, ses soins ne laissent pas de s’étendre encore au-delà ; mais la Tamise en est l’objet principal, à cause que le courant du commerce y est plus animé.

La corporation a deux hôpitaux en Deptford-Strand, & un à Mile-End, pour le secours des matelots. Elle doit ces trois édifices au chevalier Baron & Richard Brown de Sayes-Court, au capitaine Richard Maples, & au capitaine Henry Mudel ; les noms des bienfaiteurs de leur pays doivent passer à la postérité.

Indépendamment de ces trois fondations, la confrairie de la Trinité fait de petites pensions par mois à plus de deux mille matelots, ou à leurs veuves. Ces charités montent annuellement à cinq mille & quelquefois six mille livres sterlings. Non seulement cette corporation aide les mariniers que la vieillesse ou les accidens mettent hors d’état de gagner leur vie, mais elle étend même ses aumônes sur tous les gens de mer qui languissent dans l’indigence, soit par défaut d’occupation, soit par quelqu’autre raison.

Le produit d’un grand nombre d’amendes, appliquées au profit de la corporation ; les droits qu’elle perçoit pour les fanaux, les bouées, les balises, le lestage ; les donations des confrairies & des personnes charitables, sont les sources d’où sortent les fonds qui la mettent en état de faire de pareilles libéralités. Enfin les services importans que cette société rend au public, lui ont mérité, que les Anglois ne prononcent point son nom, sans l’accompagner de l’épithete d’éminente, & c’est une qualification des plus honorables. (D. J.)

Trinité, île de la, (Géog. mod.) grande & belle île de l’Amérique équinoxiale, dans le golfe de Paria, sur la côte de la nouvelle Andalousie, au midi des Antilles ; elle peut avoir environ 100 à 120 lieues de circuit ; sa figure est à-peu-près celle d’un triangle, dont le plus petit côté est tourné à l’occident & fait un angle rentrant, formant une grande baie très-profonde ; cette île appartient aux Espagnols, & quoique son terrein soit extrèmement fertile, à peine est-elle peuplée. L’intérieur du pays est couvert de forêts, remplies d’une multitude d’arbres d’une grosseur énorme ; on y trouve beaucoup d’acajoux d’une beauté admirable, dont on se sert pour construire de grands canots & des pirogues d’une seule piece, qui peuvent porter trente & quarante hommes, même plus ; ces arbres servent encore à former des madriers & des planches de plus de 30 piés de longueur, qu’on emploie utilement à border des bâtimens de mer & à d’autres usages.

Les habitans de la Trinité trouvent abondamment dequoi vivre à la façon du pays, la terre leur fournit naturellement beaucoup de fruits ; ils peuvent cultiver du manioc, du mahis & des légumes de toutes especes, le poisson, les crabes & le gibier ne leur manquent pas ; du reste, ils sont si misérables par leur paresse & par le peu de commerce qu’ils font, que le gouverneur, quoique plus opulent que les autres habitans, reserve ses souliers pour s’en parer les jours de cérémonie.

Trinité, île de la, (Géog. mod.) ou ila della Trinitad, île de l’Amérique méridionale, dans la mer du Sud, sur la côte de la Terre-ferme, au nord de l’embouchure de l’Orénoque. Elle appartient aux Espagnols ; on lui donne 25 lieues de long, sur 18 de large, mais l’air y est mal-sain, à cause qu’il est ordinairement chargé de brouillards. Colomb a découvert cette île en 1498 ; la petite ville de Saint-Joseph est sa capitale. Latit. mérid. 9. latit. septent. 10. 30. suivant les cartes hollandoises. (D. J.)

Trinité, la, (Géog. mod.) ou comme disent les Espagnols, la Trinitad, ville de l’Amérique méridionale, dans la Terre-ferme, au nouveau royaume de Grenade, sur le bord orientatal de la riviere de la Magdalena, à 24 lieues de Santa-Fé. Latitude 5. 30. (D. J.)

Trinité ou Trinitad, (Géog. mod.) ville ou bourgade de l’Amérique méridionale, dans la nouvelle Espagne, sur la côte de la mer du sud, au gouvernement de Guatimala, & à 4 lieues du port d’Acaxutla, vers le sud-ouest, dans un terroir fertile en cacao. C’est un lieu de grand trafic, où toutes les marchandises qui viennent du Pérou & de la nouvelle Espagne sont transportées. (D. J.)

Trinité, la, (Géog. mod.) Trinitad, petite ville de l’île de Cuba, en Amérique. Elle est sur une riviere poissonneuse. Son port est accessible & commode ; son négoce consiste en tabac qui est très-bon. (D. J.)