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hors de doute le mouvement de la terre. Copernic, Gassendi, Kepler, Hoock, Flamsteed, &c. se sont surtout fait par là une réputation à jamais durable.

Il est vrai, que d’anciens philosophes ont soutenu ce même mouvement : Ciceron dit dans ses questions tusculanes, que Nicetas de Syracuse avoit découvert le premier, que la terre a un mouvement diurne, par lequel elle tourne autour de son axe dans l’espace de 24 heures ; & Plutarque de placit. philosoph. nous apprend, que Philolaüs avoit découvert son mouvement annuel autour du soleil. Environ cent ans après Philolaüs, Aristarque de Samos soutint le mouvement de la terre, en termes encore plus clairs & plus forts, suivant que nous l’apprend Archimede dans son traité de numero arenæ.

Mais les dogmes trop respectés de la religion payenne, empêcherent qu’on ne suivît davantage ces idées ; car Cleanthes ayant accusé Aristarque de sacrilege, pour vouloir faire mouvoir de sa place la déesse Vesta & les autres divinités tutelaires de l’univers, les philosophes commencerent alors à abandonner un sentiment qui paroissoit si dangereux.

Plusieurs siecles après, Nicolas de Cœsa, cardinal fit revivre cet ancien système ; mais ce sentiment ne fut pas fort en vogue jusqu’à Copernic, qui démontra ses grands usages & ses avantages dans l’Astronomie. Il eut bientôt pour lui tous ceux qui oserent se dépouiller d’un préjugé vulgaire & qui ne furent point effrayés de censures injustes. Aussi Kepler son contemporain n’hésite-t-il pas de dire ouvertement : Hodierno tempore præstantissimi quique philosophorum & astronomorum Copernico adstipulantur : secta est hæc glacies ; vincimus suffragiis melioribus : cæteris penè sola obstat superstitio aut metus à Cleantibus.

Les argumens qu’on a allegués contre le mouvement de la terre, sont foibles ou frivoles. On objecte :

1°. Que la terre est un corps pesant & par conséquent, ajoute-t-on, peu propre au mouvement.

2°. Que si la terre tourne autour de son axe en vingt-quatre heures, ce mouvement devroit renverser nos maisons, nos bâtimens, &c.

3°. Que les corps ne tomberoient pas précisément sur les endroits qui sont au-dessous d’eux lorsqu’on les laisse échapper. Une balle, par exemple, qu’on laisseroit tomber perpendiculairement à terre, tomberoit en arriere de l’endroit sur lequel elle auroit été avant que de tomber.

4°. Que ce sentiment est contraire à l’Ecriture.

5°. Qu’il contredit nos sens qui nous représentent la terre en repos, & le soleil en mouvement.

Les preuves qu’on donne du mouvement de la terre sont d’une espece bien différente, & portent à l’esprit une évidence à laquelle on ne sauroit se refuser ; ce qui vient de ce qu’elles sont tirées des observations & des phénomenes actuels & non des raisonnemens vagues ; les voici en racourci : on y trouvera la réponse à celles des objections précédentes qui sont les moins déraisonnables.

1°. Le soleil doit également paroître en mouvement, & la terre en repos à un spectateur placé sur la terre, soit que le soleil se meuve, & que la terre soit en repos, soit qu’au contraire, ce soit le soleil qui reste en repos & la terre qui se meuve. Car supposons la terre en T (Pl. d’Astron. fig. 16.) & le soleil en I. Le soleil paroîtra alors en ♈ ; & supposant que le soleil se meuve dans une orbite qui entoure la terre de 1 en 2, il paroître ensuite en ♉ ; & s’il continue à aller en 3, il paroîtra en ♊, de sorte qu’il semblera toujours se mouvoir dans l’écliptique, suivant l’ordre des signes.

Supposons maintenant la terre en 1 & le soleil en T. Le soleil sera vu, ou paroîtra alors en ♎ ; que la terre avance de 1 à 2 ; & le soleil paroîtra alors

aux habitans de la terre avoir avancé de ♎ en ♏, & si la terre parvient en 3, le soleil paroîtra s’être avancé de ♏ jusqu’en ♐, & ainsi de suite, suivant l’ordre des signes de l’écliptique.

Le soleil paroîtra donc toujours également se mouvoir, soit qu’il se meuve réellement ou qu’il soit en repos, & ainsi on ne doit faire aucun cas de l’objection qu’on tire des apparences sensibles. Voyez Vision.

2°. Si l’on suppose qu’une des planetes se soit mue d’une certaine quantité de l’occident à l’orient, le soleil, la terre & les autres planetes, doivent paroître aux habitans de cette premiere planete s’être mue d’une même quantité en sens contraire. Car imaginons une étoile M, (fig. 55.) dans le zenith d’un habitant d’une planete placé en T, & supposant que la planete ait tourné sur son axe de l’occident à l’orient, le soleil paroîtra après un certain espace de tems être arrivé au zenith de T, puis l’étoile I paroîtra y être arrivée à son tour, puis N, puis la planete L, puis enfin l’étoile M, le soleil S, la planete L, & les étoiles jMN, paroîtront donc s’être mis en sens contraire autour de la planete. S’il y avoit donc des habitans dans les planetes, la sphere du monde, le soleil, les étoiles & les autres planetes devroient leur paroître se mouvoir autour d’eux de l’orient à l’occident. Or les habitans de notre planete, c’est-à-dire, de la terre, sont sujets aux mêmes illusions que les autres.

3°. Les orbites de toutes les planetes renferment le soleil comme leur centre commun. Mais il n’y a que les orbites des planetes supérieures qui renferment la terre, laquelle n’est cependant placée au centre d’aucune de ces orbites, suivant que nous l’avons fait voit dans les articles Soleil & Planete.

4°. Comme il est prouvé que l’orbite de la terre est située entre celle de Vénus & celle de Mars, il s’ensuit de-là que la terre doit tourner autour du soleil ; car puisqu’elle est renfermée dans les orbites des planetes supérieures, leur mouvement pourroit à la vérité lui paroître inégal & irrégulier sans cette supposition ; mais au-moins sans cela elles ne pourroient lui paroître stationnaires ni rétrogrades.

5°. Les orbites & les périodes des différentes planetes autour du soleil, de la lune autour de la terre, des satellites de Jupiter & de Saturne autour de ces deux planetes, prouvent que la loi de la gravitation sur la terre, sur Jupiter & sur Saturne, est la même que sur le soleil, & que les tems périodiques des différens corps qui se meuvent autour de chacune de ces planetes, sont dans une certaine proportion avec leurs distances respectives. Voyez Période & Distance.

Or il est certain que dans la supposition du mouvement annuel de la terre, son tems périodique se trouveroit suivre exactement cette loi ; ensorte qu’il y auroit entre son tems périodique & les tems périodiques de Mars & de Vénus, le rapport qui regne entre les tems périodiques des autres planetes ; c’est-à-dire, le rapport qui regne entre les racines quarrées des cubes des distances de ces planetes au soleil ; au-lieu qu’on s’écarte prodigieusement de cette loi, si on suppose que ce soit le soleil qui tourne autour de la terre. En effet, si la terre ne tourne pas autour du soleil, le soleil tournera donc, ainsi que la lune, autour de la terre. Or le rapport des distances du soleil & de la lune à la terre est de 22000 à 57 ; & la période de la lune est d’ailleurs moindre que de vingt-huit jours, il faudroit donc (pour que la proportion des tems périodiques eût lieu) que la révolution du soleil ne se fît qu’en plus de quarante-deux ans, au-lieu qu’elle n’est que d’une année. Cette réflexion seule a paru à M. Whiston d’assez grand poids pour terminer la dispute