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grandeur prises sur les ennemis, & portées sur deux cens cinquante chariots.

D’un autre côté, la multitude des statues qui se faisoient perpétuellement dans Rome étoit si grande, que l’an 596 de la fondation de cette ville les censeurs P. Cornelius Scipio & M. Popilius se crurent obligés de faire ôter des marchés publics les statues de particuliers & de magistrats ordinaires, qui les remplissoient, attendu qu’il en restoit encore assez pour les embellir, en laissant seulement celles de ceux qui en avoient obtenu le privilege par des decrets du peuple & du sénat.

Entre les statues que les censeurs réformerent, je ne dois pas oublier celle de Cornélie, mere des Gracches, ni celles d’Annibal, qui prouvoient du moins la noble façon de penser des Romains. Je crois que Pline se dégrade, quand il lui échappe de dire à l’occasion de ces dernieres, & adeò diserimen omne sublatum, ut Annibalis etiam statuæ, tribus locis visebantur in urbe cujus intrà muros solus hostium emisit hastam.

Cependant la séverité des censeurs que nous venons de nommer, ne put éteindre une passion si dominante, & qui s’accrut encore sur la fin de la république, ainsi que sous le regne d’Auguste & de ses successeurs. L’empereur Claude fit des lois inutiles pour la modérer. Cassiodore qui fut consul 463 ans après la mort de ce prince, nous apprend que le nombre des statues pédestres qui se trouvoient dans Rome de son tems, égaloit à-peu-près le nombre des habitans de cette grande ville, & les figures équestres excédoient celui des chevaux. En un mot, les statues de prix étoient si nombreuses, qu’il fallut créer des officiers pour garder nuit & jour ce peuple de statues, & ces troupeaux de chevaux, si je puis parler ainsi, dispersés dans toutes les rues, palais & places publiques de la ville. Cet amas prodigieux de statues demandoit autant d’habileté pour en empêcher le pillage qu’on avoit mis d’art à les faire, & de soin à les fixer en place : nam quidem populus copiosissimus statuarum, greges etiam abundantissimi equorum, tali sunt cautela servandi, quali & curâ videntur affixi.

Mais entre tant de statues publiques de Rome, il s’en trouva une seule à la garde de laquelle on imagina de pourvoir d’une façon bien singuliere. Peut-être pensez-vous que c’étoit une statue d’or massif, qui se trouvoit posée devant la maison d’un riche affranchi, d’un traitant ou d’un munitionnaire de vivres ? Point du tout. Eh bien, la statue en bronze ou en marbre de quelque divinité tutélaire des Romains ? Non. La statue d’un demi-dieu, de l’Hercule de Tarente, de Castor, de Pollux ? Nullement. La statue de quelque héros du sang des empereurs, de Marcellus, de Germanicus ? En aucune façon. C’étoit la figure d’un chien qui se léchoit une plaie ; mais cette figure étoit si vraie, si naturelle, d’une exécution si parfaite, qu’on décida qu’elle méritoit d’être mise sous un cautionnement nouveau dans la chapelle de Minerve, au temple de Jupiter capitolin. Cependant comme on ne trouva personne assez riche pour cautionner la valeur de ce chien, les gardiens du temple furent obligés d’en répondre au péril de leur vie. Ce n’est point un fait que j’imagine ou que je brode, j’ai pour garant l’autorité & le témoignage de Pline, dont voici les propres paroles, l. XXXIV. c. vij. canis eximium miraculum, & indiscreta veri similitudo, non eò solùm intelligitur, quòd ibi dicata fuerat, verùm, & nova satisdatione, nam summa nulla par videbatur, capite tutelari cavere prætio, instituti publici fuit.

Il faut terminer ce discours qui, quoiqu’un peu long pour cet ouvrage, n’est qu’un précis fort abrégé des recueils que j’ai faits sur les statues de la Grece

& de Rome. Aussi me suis-je moins proposé de tout dire que de piquer & d’étendre la curiosité. Il est bon de joindre à la lecture de Pausanias & de Pline la dissertation de Frigelius, de statuis illustrium romanorum, dont le petit livre de François Lemée n’est qu’un extrait. Le traité des statues de Calistrate, traduit par Vigenere à la fin des images des deux Philostrates, avec les notes du traducteur, est plein d’érudition ; mais les ouvrages des savans d’Italie méritent encore plus d’être étudiés.

Enfin nous n’avons ici considéré que l’historique ; l’art statuaire, qui renferme d’autres détails intéressans liés de près à cet article, a été discuté avec recherches au mot Sculpture ancienne & moderne ; & les artistes célebres ont été soigneusement dénommés avec des observations sur l’art même aux mots Sculpteurs anciens, & Sculpteurs modernes. On a même pris soin de décrire les belles statues antiques qui nous sont parvenues. Voyez Bas-Relief, Gladiateur, Hercule, Laocoon, Rotateur, Vénus de Médicis, & autres. (Le chevalier de Jaucourt.)

Statue, (Critique sacrée.) image taillée pour être adorée ; Moise les defend totalement aux Hébreux, Deuter. xvj. 22. Il est parlé dans l’Ecriture de la statue d’or que Nabuchodonosor fit dresser dans la plaine de Dura ; elle avoit soixante coudées de haut, & six de large ; il est apparent qu’il l’avoit érigée en l’honneur de Bel. Mais le changement de la femme de Loth en statue de sel, Genes xix. 26. a plus excité l’attention des commentateurs de l’Ecriture que la statue de Nabuchodonosor. Quelques critiques pensent que le corps de la femme de Loth s’étant incrusté de nitre de la mer-Morte, Moïse a pu appeller statue de sel un corps ainsi pétrifié. D’autres savans prétendent avec plus de vraissemblance, que le texte de l’Ecriture doit s’entendre figurément d’un état d’immobilité, dans lequel cette femme curieuse demeura ; & que ces mots changée en statue de sel, signifient comme en statue de sel, comparaison ordinaire à des habitans d’un pays qui abondoit en masses de sel nitreux. (D. J.)

STATUER, v. act. (Gram.) c’est arrêter par un statut, après examen, délibération. Voyez Statut.

STATURE, s. f. (Gram.) est la grandeur & la hauteur d’un homme. Ce mot vient du latin statura, qui est formé de stare, être debout.

La stature ou taille d’un homme est admirablement bien proportionnée aux circonstances de son existence. Le docteur Grew observe que si l’homme eût été nain, il eût difficilement pu être une créature raisonnable : car pour cet effet, ou il auroit eu une grosse tête, & son corps & son sang n’auroient pas pu fournir assez d’esprits à son cerveau ; ou s’il eût eu la tête petite & proportionnée, il n’auroit pas eu de cervelle suffisamment pour remplir ses fonctions. De plus, si l’homme eût été géant, il n’eût pas pu si commodément trouver des nourritures, parce que la quantité des bêtes propres à la nourriture de l’homme n’auroit pas été suffisante ; ou si les bêtes avoient été plus grosses à proportion, on n’auroit jamais pu trouver assez de pâturages pour les nourrir, &c. Voyez Nain, Géant.

Cependant c’est le sentiment commun, même depuis le tems d’Homere, que dans les siecles les plus reculés les hommes surpassoient de beaucoup les modernes en grandeur ; & nous voyons à la vérité que les histoires, tant sacrée que prophane, font mention d’hommes dont la taille étoit surprenante ; aussi ces histoires en parlent-elles comme de Géans.

M. Derham observe, qu’il est très-probable que la taille des hommes étoit au commencement du monde telle qu’elle est à présent ; comme on peut l’es-