L’Encyclopédie/1re édition/SCULPTURE

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SCULPTURE, s. f. (Beaux-Arts.) On définit la Sculpture un art qui par le moyen du dessein & de la matiere solide, imite avec le ciseau les objets palpables de la nature. Pour traiter ce sujet avec un peu de méthode, nous considérerons séparément la sculpture antique & la sculpture moderne ; mais avant que de parler de l’une & de l’autre, nous croyons devoir transcrire ici une partie des réflexions de M. Etienne Falconet sur la Sculpture en général : il les a mises au jour tout récemment ; & comme il a déclaré qu’elles étoient destinées pour l’Encyclopédie, nous allons remplir l’intention de cet habile artiste, & le laisser parler lui-même.

La Sculpture, dit-il, ainsi que l’Histoire, est le dépôt le plus durable des vertus des hommes & de leurs foiblesses. Si nous avons dans la statue de Vénus l’objet d’un culte dissolu, nous avons dans celle de Marc-Aurele un monument célebre des hommages rendus à un bienfaiteur de l’humanité.

Cet art, en nous montrant les vices déifiés, rend encore plus frappantes les horreurs que nous transmet l’Histoire ; pendant que d’un autre côté les traits précieux qui nous restent de ces hommes rares, qui auroient dû vivre autant que leurs statues, raniment en nous ce sentiment d’une noble émulation, qui porte l’ame aux vertus qui les ont préservés de l’oubli. César voit la statue d’Alexandre, il tombe dans une profonde réverie, laisse échapper des larmes & s’écrie : « Quel fut ton bonheur ! A l’âge que j’ai, tu avois déja soumis une partie de sa terre, & moi je n’ai encore rien fait pour ma propre gloire ». Il n’en fit que trop pour l’ensevelir sous les ruines de sa patrie.

Le but le plus digne de la Sculpture, en l’envisageant du côté moral, est donc de perpétuer la mémoire des hommes illustres, & de donner des modeles de vertu d’autant plus efficaces, que ceux qui les pratiquoient ne peuvent plus être les objets de l’envie. Nous avons le portrait de Socrate, & nous le vénérons. Qui sait si nous aurions le courage d’aimer Socrate vivant parmi nous ?

La Sculpture a un autre objet, moins utile en apparence ; c’est lorsqu’elle traite des sujets de simple décoration ou d’agrément ; mais alors elle n’en est pas moins propre à porter l’ame au bien ou au mal. Quelquefois elle n’excitera que des sensations indifférentes. Un sculpteur, ainsi qu’un écrivain, est donc louable ou repréhensible, selon que les sujets qu’il traite sont honnêtes ou licencieux.

En se proposant l’imitation des surfaces du corps humain, la Sculpture ne doit pas s’en tenir à une ressemblance froide ; cette sorte de vérité, quoique bien rendue, ne pourroit exciter par son exactitude qu’une louange aussi froide que la ressemblance ; & l’ame du spectateur ne seroit point émue. C’est la nature vivante, animée, passionnée, que le sculpteur doit exprimer sur le marbre, le bronze, la pierre, &c.

Tout ce qui est pour le sculpteur un objet d’imitation, doit lui être un sujet continuel d’étude ; cette étude éclairée par le génie, conduite par le goût & la raison, exécutée avec précision, encouragée par l’attention bienfaisante des souverains, & par les conseils & les éloges des grands artistes, produira des chef-d’œuvres semblables à ces monumens précieux qui ont triomphé de la barbarie des siecles. Ainsi les sculpteurs qui ne s’en tiendront pas à un tribut de louanges, d’ailleurs si légitimement dû es à ces ouvrages sublimes, mais qui les étudieront profondément, qui les prendront pour regle de leurs productions, acquerront cette supériorité que nous admirons dans les statues grecques.

Non-seulement les belles statues de l’antiquité seront notre aliment, mais encore toutes les productions du génie, quelles qu’elles soient. La lecture d’Homere, ce peintre sublime, élevera l’ame de l’artiste, & lui fournira des images de grandeur & de majesté.

Ce que le génie du sculpteur peut créer de plus noble & de plus sublime, ne doit être que l’expression des rapports possibles de la nature, de ses effets, de ses jeux, de ses hasards : c’est-à-dire que le beau, même idéal, en Sculpture comme en Peinture, doit être un résumé du beau réel de la nature. Il existe un beau essentiel, mais épars dans les différentes parties de l’univers. Sentir, assembler, rapprocher, choisir, supposer même diverses parties de ce beau, soit dans le caractere d’une figure, comme l’Apollon, soit dans l’ordonnance d’une composition, comme ces hardiesses de Lanfranc, du Correge, & de Rubens ; c’est montrer dans l’art ce beau idéal qui a son principe dans la nature.

La Sculpture est sur-tout ennemie de ces attitudes forcées que la nature desavoue, & que quelques artistes ont employées sans nécessité, & seulement pour montrer qu’ils savoient se jouer du dessein. Elle l’est également de ces draperies dont toute la richesse est dans les ornemens superflus d’un bisarre arrangement de plis. Enfin, elle est ennemie des contrastes trop recherchés dans la composition, ainsi que dans la distribution affectée des ombres & des lumieres. En vain prétendroit-on que c’est la machine ; au fond ce n’est que du désordre, & une cause certaine de l’embarras du spectateur, & du peu d’action de l’ouvrage sur son ame : plus les efforts que l’on fait pour nous émouvoir sont à découvert, moins nous sommes émus ; d’où il faut conclure que moins l’artiste emploie de moyens à produire un effet, plus il a de mérite à le produire, & plus le spectateur se livre volontiers à l’impression qu’on a cherché à faire sur lui. C’est par la simplicité de ces moyens que les chef d’œuvres de la Grece ont été créés, comme pour servir éternellement de modeles aux artistes.

La Sculpture embrasse moins d’objets que la Peinture ; mais ceux qu’elle se propose, & qui sont communs aux deux arts, sont des plus difficiles à représenter : savoir l’expression, la science des contours, l’art pénible de draper & de distinguer les différentes especes des étoffes.

La Sculpture a des difficultés qui lui sont particulieres. 1°. Un sculpteur n’est dispensé d’aucune partie de son étude à la faveur des ombres, des fuyans, des tournans, & des raccourcis. 2°. S’il a bien composé & bien rendu une vûe de son ouvrage, il n’a satisfait qu’à une partie de son opération, puisque cet ouvrage peut avoir autant de points de vûe qu’il y a de points dans l’espace qui l’environne. 3°. Un sculpteur doit avoir l’imagination aussi forte qu’un peintre, je ne dis pas aussi abondante ; il lui faut de plus une ténacité dans le génie, qui le mette au-dessus du dégoût causé par le méchanisme, la fatigue, & la lenteur de ses opérations. Le génie ne s’acquiert point, il se développe, s’étend & se fortifie par l’exercice. Un sculpteur exerce le sien moins souvent qu’un peintre ; difficulté de plus, puisque dans un ouvrage de sculpture il doit y avoir du génie comme dans un ouvrage de peinture. 4°. Le sculpteur étant privé du charme séduisant de la couleur, quelle intelligence ne doit-il pas y avoir dans ses moyens pour attirer l’attention ? Pour la fixer, quelle précision, quelle vérité, quel choix d’expression ne doit-il pas mettre dans ses ouvrages ?

On doit donc exiger d’un sculpteur non-seulement l’intérêt qui résulte du tout ensemble, mais encore celui de chacune des parties de cet ensemble ; l’ouvrage du sculpteur n’étant le plus souvent composé que d’une seule figure, dans laquelle il ne lui est pas possible de réunir les différentes causes qui produisent l’intérêt dans un tableau. La Peinture, indépendamment de la variété des couleurs, intéresse par les différens grouppes, les attributs, les ornemens, les expressions de plusieurs personnages qui concourent au sujet. Elle intéresse par les fonds, par le lieu de la scene, par l’effet général : en un mot elle impose par la totalité. Mais le sculpteur n’a le plus souvent qu’un mot à dire ; il faut que ce mot soit sublime. C’est par-là qu’il fera mouvoir les ressorts de l’ame, à-proportion qu’elle sera sensible, & que le sculpteur aura approché du but.

Ce n’est pas que de très-habiles sculpteurs n’aient emprunté les secours dont la Peinture tire avantage par le coloris : Rome & Paris en fournissent des exemples. Sans doute que des matériaux de diverses couleurs employés avec intelligence, produiroient quelques effets pittoresques ; mais distribués sans harmonie, cet assemblage rend la Sculpture désagréable, & même choquante. Le brillant de la dorure, la rencontre brusque des couleurs discordantes de différens marbres, éblouira l’œil d’une populace toujours subjuguée par le clinquant ; & l’homme de goût sera révolté. Le plus certain seroit de n’employer l’or, le bronze, & les différens marbres, qu’à titre de décoration, & ne pas ôter à la sculpture proprement dite son vrai caractere, pour ne lui en donner qu’un faux, ou pour le moins toujours équivoque. Ainsi, en demeurant dans les bornes qui lui sont prescrites, la sculpture ne perdra aucun de ses avantages, ce qui lui arriveroit certainement si elle vouloit employer tous ceux de la peinture. Chacun de ces arts a ses moyens d’imitation ; la couleur n’en est point un pour la sculpture.

Mais si ce moyen qui appartient proprement à la peinture, est pour elle un avantage, combien de difficultés n’a-t-elle pas qui sont entierement étrangeres à la sculpture ? Cette facilité de produire l’illusion par le coloris, est elle-même une très-grande difficulté ; la rareté de ce talent ne le prouve que trop. Autant d’objets que le peintre a de plus que le sculpteur à représenter, autant d’études particulieres. L’imitation vraie des ciels, des eaux, des paysages, des différens instans du jour, des effets variés de la lumiere, & la loi de n’éclairer un tableau que par le seul soleil, exigent des connoissances & des travaux nécessaires au peintre, dont le sculpteur est entierement dispensé. Ce ne seroit pas connoître ces deux arts, si on ôtoit leurs rapports. Ce seroit une erreur, si on donnoit quelque préférence à l’un aux dépens de l’autre, à cause de leurs difficultés particulieres.

La peinture est encore agréable, même lorsqu’elle est dépourvue de l’enthousiasme & du génie qui la caractérise ; mais sans l’appui de ces deux bases, les productions de la sculpture sont insipides. Que le génie les inspire également, rien n’empêchera qu’elles ne soient dans la plus intime union, malgré les différences qu’il y a dans quelques-unes de leurs marches ; si ces arts ne sont pas semblables en tout, il y a toujours la ressemblance de famille.

Facies non omnibus una,
Nec diversa tamen, qualem decet esse sororum.

Ovid. Met. l. II.

Appuyons donc là-dessus : c’est l’intérèt des arts. Appuyons-y encore, pour éclairer ceux qui en jugent, sans en connoitre les principes : ce qui arrive assez souvent même à des esprits du premier ordre.

Si par une erreur, dont on voit heureusement peu d’exemples, un sculpteur alloit prendre pour de l’enthousiasme & du génie, cette fougue déraisonnée qui emportoit le Boromini, qu’il soit persuadé que de pareils écarts, bien loin d’embellir les-objets, les éloignent du vrai, & ne servent qu’à représenter les désordres de l’imagination. Quoique cet artiste ne fût pas sculpteur, il peut être cité comme un exemple dangereux, parce que le même esprit qui conduit l’architecte, conduit aussi le peintre & le sculpteur. L’artiste dont les moyens sont simples, est à découvert ; il s’expose à être jugé d’autant plus aisément, qu’il n’emploie aucun vain prestige pour échapper à l’examen, & souvent masquer ainsi sa non-valeur. N’appellons donc point beautés dans quelque ouvrage que ce soit, ce qui ne feroit qu’éblouir les yeux, & tendroit à corrompre le goût. Ce gout si vanté avec raison dans les productions de l’esprit humain, n’est que le résultat de ce qu’opere le bon sens sur nos idées : trop vives, il sait les réduire, leur donner un frein : trop languissantes, il sait les animer. C’est à cet heureux tempérament que la sculpture, ainsi que tous les arts inventés pour plaire, doit ses vraies beautés, les seules durables.

Comme la sculpture comporte la plus rigide exactitude, un dessein négligé y seroit moins supportable que dans la peinture. Ce n’est pas à dire que Raphael & le Dominiquain n’aient été de très-corrects & savans dessinateurs, & que tous les grands peintres ne regardent cette partie comme essentielle à l’art ; mais à la rigueur, un tableau où elle ne domineroit pas, pourroit intéresser par d’autres beautés. La preuve en est dans quelques femmes peintes par Rubens, qui malgré le caractere flamand & incorrect, séduiront toujours par le charme du coloris. Exécutez-les en sculpture sur le même caractere du dessein, le charme sera considérablement diminué, s’il n’est entierement détruit. L’essai seroit bien pire sur quelques figures de Rimbrand.

Pourquoi est-il encore moins permis au sculpteur qu’au peintre de négliger quelques-unes des parties de son art ? Cela tient peut-être à trois considérations : au tems que l’artiste donne à son ouvrage ; nous ne pouvons supporter qu’un homme ait employé de longues années à faire une chose commune : au prix de la matiere employée : quelle comparaison d’un morceau de toile à un bloc de marbre ! à la durée de l’ouvrage, tout ce qui est autour du marbre s’anéantit ; mais le marbre reste. Brisées même, ses pieces portent encore aux siecles à venir de quoi louer ou blâmer.

Après avoir indiqué l’objet & le caractere général de la sculpture, on doit la considérer encore comme soumise à des lois particulieres qui doivent être connues de l’artiste, pour ne pas les enfreindre, ni les étendre au-delà de leurs limites.

Ce seroit trop étendre ces lois, si on disoit que la sculpture ne peut se livrer à l’essor dans ses compositions, par la contrainte où elle est de se soumettre aux dimensions d’un bloc de marbre. Il ne faut que voir le Gladiateur & l’Atalante : ces figures grecques prouvent assez que le marbre obéit, quand le sculpteur sait lui commander.

Mais cette liberté que le sculpteur a, pour ainsi dire, de faire croître le marbre, ne doit pas aller jusqu’à embarrasser les formes extérieures de ses figures par des détails excédens & contraires à l’action & au mouvement représenté. Il faut que l’ouvrage se détachant sur un fond d’air, ou d’arbre, ou d’architecture, s’annonce sans équivoque, du plus loin qu’il pourra se distinguer. Les lumieres & les ombres largement distribuées concourront aussi à déterminer les principales formes & l’effet général. A quelque distance que s’apperçoivent le Gladiateur & l’Apollon, leur action n’est point douteuse.

Parmi les difficultés de la sculpture, il en est une fort connue, & qui mérite les plus grandes attentions de l’artiste : c’est l’impossibilité de revenir sur lui-même, lorsque son marbre est dégrossi, & d’y faire quelque changement essentiel dans la composition, ou dans quelqu’une de ses parties. Raison bien forte pour l’obliger à réfléchir son modele, & à l’arrêter, de maniere qu’il puisse conduire sûrement les opérations du marbre. C’est pourquoi dans de grands ouvrages, la plûpart des sculpteurs font leurs modeles, au moins ils les ébauchent sur la place où doit être l’objet. Par-là, ils s’assurent invariablement des lumieres, des ombres & du juste ensemble de l’ouvrage, qui étant composé au jour de l’attelier, pourroit y faire un bon effet, & sur la place un fort mauvais.

Mais cette difficulté va plus loin encore. Le modele bien réfléchi & bien arrêté, je suppose au sculpteur un instant d’assoupissement ou de délire. S’il travaille alors, je lui vois estropier quelque partie importante de sa figure, en croyant suivre & même perfectionner son modele. Le lendemain, la tête en meilleur état, il reconnoit le désordre de la veille, sans pouvoir y remédier.

Heureux avantage de la peinture ! Elle n’est point assujettie à cette loi rigoureuse. Le peintre change, corrige, refait à son gré sur la toile ; au pis aller, il la réimprime, ou il en prend une autre. Le sculpteur peut-il ainsi disposer du marbre ? S’il falloit qu’il recommençât son ouvrage, la perte du tems, les fatigues & les dépenses pourroient-elles se comparer ?

De plus, si le peintre a tracé des lignes justes, établi des ombres & des lumieres à-propos, un aspect ou un jour différent ne lui ravira pas entierement le fruit de son intelligence & de ses soins ; mais dans un ouvrage de sculpture composé pour produire des lumieres & des ombres harmonieuses, faites venir de la droite le jour qui venoit de la gauche, ou d’en bas celui qui venoit d’en-haut, vous ne trouverez plus d’effet ; ou il n’y en aura que de desagréables, si l’artiste n’a pas su en ménager pour les différens jours. Souvent aussi, en voulant accorder toutes les vues de son ouvrage, le sculpteur risque de vraies beautés, pour ne trouver qu’un accord médiocre. Heureux, si les soins pénibles ne le réfroidissent pas, & parviennent à la perfection dans cette partie !

Pour donner plus de jour à cette réflexion, j’en rapporterai une de M. le comte de Caylus.

« La peinture, dit-il, choisit celui des trois jours qui peuvent éclairer une surface. La sculpture est à l’abri du choix, elle les a tous ; & cette abondance n’est pour elle qu’une multiplicité d’étude & d’embarras ; car elle est obligée de considérer, de penser toutes les parties de sa figure, & de les travailler en conséquence ; c’est elle-même, en quelque façon, qui s’éclaire ; c’est sa composition qui lui donne ses jours, & qui distribue ses lumieres. A cet égard, le sculpteur est plus créateur que le peintre ; mais cette vanité n’est satisfaite qu’aux dépens de beaucoup de réflexions & de fatigues ».

Quand un sculpteur a surmonté ces difficultés, les artistes & les vrais connoisseurs lui en savent gré sans doute ; mais combien de personnes, même de ceux à qui nos arts plaisent, qui ne connoissant pas la difficulté, ne connoitront pas le prix de l’avoir surmontée ?

Le nud est le principal objet de l’étude du sculpteur. Les fondemens de cette étude sont la connoissance des os, de l’anatomie extérieure, & l’imitation assidue de toutes les parties & de tous les mouvemens du corps humain. L’école de Paris & celle de Rome exigent cet exercice, & facilitent aux éleves cette connoissance nécessaire. Mais comme le naturel peut avoir ses défauts, que le jeune éleve, à force de les voir & de les copier, doit naturellement transmettre dans ses ouvrages ; il lui faut un guide sûr, pour lui faire connoître les justes proportions & les belles formes.

Les statues grecques sont le guide le plus sûr ; elles sont & seront toujours la regle de la précision, de la grace & de la noblesse, comme étant la plus parfaite représentation du corps humain. Si l’on s’en tient à un examen superficiel, ces statues ne paroitront pas extraordinaires, ni même difficiles à imiter ; mais l’artiste intelligent & attentif découvrira dans quelques-unes les plus profondes connoissances du dessein, & s’il est permis d’employer ici ce mot, toute l’énergie du naturel. Aussi les sculpteurs qui ont le plus étudié & avec choix, les figures antiques, ont-ils été les plus distingués. Je dis avec choix, & je crois cette remarque fondée.

Quelque belles que soient les statues antiques, elles sont des productions humaines, par conséquent susceptibles des foiblesses de l’humanité : il seroit donc dangereux pour l’artiste d’accorder indistinctement son admiration à tout ce qui s’appelle antiquité. Il arriveroit qu’après avoir admiré dans certains antiques, de prétendues merveilles qui n’y sont pas, il feroit des efforts pour se les approprier, & il ne seroit point admiré. Il faut qu’un discernement éclairé, judicieux & sans préjugés, lui fasse connoître les beautés & les défauts des anciens, & que les ayant appréciés, il marche sur leurs traces avec d’autant plus de confiance, qu’alors elles le conduiront toujours au grand. C’est dans ce discernement judicieux que paroit la justesse de l’esprit ; & les talens du sculpteur sont toujours en proportion de cette justesse. Une connoissance médiocre de nos arts chez les Grecs suffit pour voir qu’ils avoient aussi leurs instans de sommeil. Le même goût régnoit ; mais le savoir n’étoit pas le même chez tous les artistes. L’éleve d’un sculpteur excellent pouvoit avoir la maniere de son maître, sans en avoir la tête.

De toutes les figures antiques qui ont passé jusqu’à nous, les plus propres à donner le grand principe du nud, sont le Gladiateur, l’Apollon, le Laocoon, l’Hercule Farnese, le Torse, l’Antinoüs, le grouppe de Castor & Pollux, l’Hermaphrodite & la Venus de Médicis ; ce sont aussi les chefs-d’œuvres que les sculpteurs modernes doivent sans cesse étudier, pour en faire passer les beautés dans leurs ouvrages ; cependant l’étude la plus profonde des figures antiques, la connoissance la plus parfaite des muscles, la précision du trait, l’art même de rendre les passages harmonieux de la peau, & d’exprimer les ressorts du corps humain ; ce savoir, dis-je, n’est que pour les yeux des artistes, & pour ceux d’un très-petit nombre de connoisseurs.

Mais comme la sculpture ne se fait pas seulement pour ceux qui l’exercent, ou ceux qui y ont acquis des lumieres, il faut encore que le sculpteur, pour mériter tous les suffrages, joigne aux études qui lui sont nécessaires, un talent supérieur. Ce talent si essentiel & si rare, quoiqu’il puisse être à la portée de tous les artistes, c’est le sentiment. Il doit être inséparable de toutes leurs productions. C’est lui qui les vivifie ; si les autres études en sont la base, le sentiment en est l’ame. Les connoissances acquises ne sont que particulieres ; mais le sentiment est à tous les hommes ; il est universel à cet égard ; tous les hommes sont juges des ouvrages où il régne.

Exprimer les formes des corps, & n’y pas joindre le sentiment, c’est ne remplir son objet qu’à demi : vouloir le répandre par-tout, sans égard pour la précision, c’est ne faire que des esquisses, & ne produire que des rêves dont l’impression se dissipe en ne voyant plus l’ouvrage, même en le regardant plus long-tems. Joindre ces deux parties (mais quelle difficulté !) c’est le sublime de la sculpture.

Nous avons étalé les merveilles qu’elle a produites, en parlant des Sculpteurs ; nous allons continuer de la considérer comme antique & moderne. Enfin le lecteur trouvera la maniere dont elle opere en marbre, en pierre, en bois, en plâtre, en carton, en bronze. Pour ce qui regarde ses deux parties les plus intéressantes, qui sont les bas reliefs, & l’art de draper, on les a traité aux mots Relief bas, & Draperies. Article de M. Falconet le sculpteur.

Sculpture antique, (Art d’imitation.) c’est principalement de celle des beaux jours de la Grece & de Rome, dont il s’agit d’entretenir ici le lecteur. Je ne m’arrêterai point à rechercher l’époque de ce bel art : elle se perd dans l’obscurité des siecles les plus reculés, & ressemble à cet égard aux autres arts d’une imitation sensible, tels que sont l’Architecture, la Peinture & la Musique. D’habiles gens donnent même à la Sculpture le droit d’aînesse sur l’Architecture, quoiqu’il paroisse naturel de regarder l’Architecture comme l’enfant de la nécessité, comme le fruit des premiers besoins des hommes qu’ils ont été obligés d’inventer, & dont ils ont fait leur occupation long-tems avant que d’imaginer la Sculpture, qui n’est que l’effet du loisir & du luxe : comment donc peut-il arriver que l’Architecture ait été devancée par un art qu’on n’a dû n’imaginer que long-tems après ?

On répond que le sculpteur ayant pour objet, par exemple, une figure humaine, le sculpteur a eu dans ses premieres & ses plus grossieres ébauches l’avantage de trouver un modele dans la nature ; car c’est dans l’imitation parfaite de la nature que consiste la perfection de son art ; mais il a fallu pour l’architecte que son imitation cherchât des proportions qui ne tombent pas de la même maniere sous les sens, & qui néanmoins une fois établies se conservent & se copient plus aisément.

Quoi qu’il en puisse être, la Sculpture a commencé par s’exercer sur de l’argille, soit pour former des statues, soit pour former des moules & des modeles. Les premieres statues qu’on s’avisa d’ériger aux dieux ne furent d’abord que de terre, auxquelles pour tout ornement on donnoit une couleur rouge. Des hommes qui honoroient sincerement de telles divinités ne doivent pas, dit Pline, nous faire honte. Ils ne faisoient cas de l’or & de l’argent ni pour eux-mêmes ni pour leurs dieux. Juvenal appelle une statue, comme celle que Tarquin l’ancien fit mettre dans le temple du pere des dieux, le Jupiter de terre, que l’or n’avoit point gâté ni souillé.

Fictilis, & nullo violatus Jupiter auro.

Ensuite on fit des statues du bois des arbres qui ne sont pas sujets à se corrompre, ni à être endommagés des vers, comme le citronnier, l’ébene, le cyprès, le palmier, l’olivier.

Jamais le ciel ne fut aux humains si facile,
Que quand Jupiter même étoit de simple bois :
Depuis qu’on le fit d’or, il fut sourd à leurs voix.

Après le bois, les métaux, les pierres les plus dures, & sur-tout le marbre, devinrent la matiere la plus ordinaire & la plus recherchée des ouvrages de sculpture. On en tiroit des carrieres de Paros & de Chio, & bientôt presque tous les pays en fournirent. L’usage de l’ivoire dans les ouvrages de sculpture étoit connu dès les premiers tems de la Grece.

Quoique les Egyptiens passent pour être les inventeurs de la Sculpture, ils n’ont point la même part que les Grecs & que les Romains, à la gloire de cet art. Les sculptures qui sont constamment des égyptiens, c’est-à-dire celles qui sont attachées aux bâtimens antiques de l’Egypte, celles qui sont sur leurs obélisques & sur leurs mumies n’approchent pas des sculptures faites en Grece & en Italie. S’il se rencontre quelque sphinx d’une beauté merveilleuse, on peut croire qu’il est l’ouvrage de quelque sculpteur grec, qui se sera diverti à faire des figures égyptiennes, comme nos peintres s’amusent quelquefois à imiter dans leurs ouvrages, les figures des tableaux des Indes & de la Chine. Nous mêmes n’avons-nous pas eu des artistes qui se sont divertis à faire des sphinx ? On en compte plusieurs dans les jardins de Versailles qui sont des originaux de nos sculpteurs modernes. Pline ne nous vante dans son livre aucun chef-d’œuvre de sculpture fait par un égyptien, lui qui nous fait de si longues & de si belles énumérations des ouvrages des artistes célebres. Nous voyons même que les sculpteurs grecs alloient travailler en Egypte.

Comme ils avoient forgé des dieux & des déesses, il falloit bien par honneur qu’ils leur élevassent des temples ornés de colonnes, d’architraves, de frontons & de diverses statues, dont le travail étoit encore bien plus estimable que le marbre dont on les formoit. Ce marbre sortoit si beau des mains des Myrons, des Phidias, des Scopas, des Praxiteles, qu’il fut l’objet de l’adoration des peuples tellement éblouis par la majesté de leurs dieux de marbre ou de bronze, qu’ils n’en pouvoient plus soutenir l’éclat. On a vu des villes entieres chez ce peuple facile à émouvoir, s’imaginer voir changer le visage de leurs dieux. C’est ainsi que parle Pline des superbes statues de Diane & d’Hecate, dont l’une étoit à Scio & l’autre à Ephese.

C’est donc à la Grece que la sculpture est redevable de la souveraine perfection où elle a été portée. La grandeur de Rome qui devoit s’élever sur les débris de celle des successeurs d’Alexandre, demeura long-tems dans la simplicité rustique de ses premiers dictateurs & de ses consuls, qui n’estimoient & n’exerçoient d’autres arts que ceux qui servent à la guerre & aux besoins de la vie. On ne commença à avoir du goût pour les statues & les autres ouvrages de sculpture qu’après que Marcellus, Scipion, Flaminius, Paul Emile & Mummius eurent exposé aux yeux des Romains ce que Syracuse, l’Asie, la Macédoine, Corinthe, l’Achaïe & la Béotie avoient de plus beaux ouvrages de l’art. Rome vit avec admiration les tableaux, les marbres, & tout ce qui sert de décoration aux temples & aux places publiques. On se piqua d’en étudier les beautés, d’en discerner toute la délicatesse, d’en connoître le prix, & cette intelligence devint un nouveau mérite, mais en même tems l’occasion d’un abus funeste à l’état. Mummius, après la prise de Corinthe, chargeant des entrepreneurs de faire transporter à Rome quantité de statues & de tableaux de la main des premiers maîtres, les menaça s’il s’en perdoit ou s’en gâtoit en chemin, de les obliger d’en fournir d’autres à leurs dépens-Cette grossiere ignorance n’est-elle pas, dit un historien, infiniment préférable à la prétendue science qui en prit bientôt la place ? Foiblesse étrange de l’humanité ! L’innocence est-elle donc attachée à l’ignorance ? Et faut-il que des connoissances & un goût estimables en soi ne puissent s’acquérir sans que les mœurs en souffrent, par un abus dont la honte retombe quelquefois, quoiqu’injustement, sur les arts mêmes ?

Ce nouveau goût pour les pieces rares fut bientôt porté à l’excès. Ce fut à qui orneroit le plus superbement ses maisons, à la ville & à la campagne. Le gouvernement des pays conquis leur en offroit les occasions. Tant que les mœurs ne furent pas corrompues, il n’étoit pas permis aux gouverneurs de rien acheter des peuples que le sénat leur soumettoit, parce que, dit Cicéron, quand le vendeur n’a pas la liberté de vendre les choses au prix qu’elles valent, ce n’est plus une vente de sa part, c’est une violence qu’on lui fait. On sait que ces merveilles de l’art qui portent le nom des grands-maîtres, étoient souvent sans prix. En effet, elles n’en ont point d’autre que celui qu’y mettent l’imagination, la passion, &, pour me servir de l’expression de Séneque, la fureur de quelques particuliers. Les gouverneurs de provinces achetoient pour rien ce qui étoit fort estimé ; encore étoient-ce les plus modérés ; la plûpart usoient de force & de violence.

L’histoire nous en a fourni des preuves dans la personne de Verrès, préteur de Sicile ; & il n’étoit pas le seul qui en usât de la sorte. Il est vrai que sur cet article il porta l’impudence à un excès qui ne se conçoit point. Cicéron ne sait pas comment l’appeller ; passion, maladie, folie, brigandage : il ne trouve point de nom qui l’exprime assez fortement ; ni bienséance, ni sentiment d’honneur, ni crainte des lois, rien n’arrêtoit Verrès. Il comptoit être dans la Sicile, comme dans un pays de conquête : nulle statue, soit petite, soit grande, pour peu qu’elle fût estimée & précieuse, n’échappoit à ses mains rapaces. Pour dire tout en un mot, Cicéron prétend que la curiosité de Verrès avoit plus couté de dieux à Syracuse, que la victoire de Marcellus ne lui avoit couté d’hommes.

Dès que Rome eut commencé à dépouiller la Grece de ses précieux ouvrages de sculpture, dont elle enrichit ses temples & ses places publiques, il se forma dans son sein des artistes qui tâcherent de les imiter ; un esclave qui réussissoit en ce genre, devenoit un trésor pour son maître, soit qu’il voulût vendre la personne, ou les ouvrages de cet esclave. On peut donc imaginer avec quel soin ils recevoient une éducation propre à perfectionner leurs talens. Enfin les superbes monumens de la sculpture romaine parurent sous le siecle d’Auguste ; nous n’avons rien de plus beau que les morceaux qui furent faits sous le regne de ce prince ; tels sont le buste d’Agrippa son gendre, qu’on a vu dans la galerie du grand-duc de Florence, le Cicéron de la vigne Matthéi, les chapiteaux des colonnes du temple de Jules César, qui sont encore debout au milieu du Campo-Vaccinio, & que tous les Sculpteurs de l’Europe sont convenus de prendre pour modele quand ils traitent l’ordre corinthien. Cependant les Romains eux-mêmes dans le siecle de leur splendeur ne disputerent aux illustres de la Grece que la science du gouvernement ; ils les reconnurent pour leurs maîtres dans les beaux-arts, & nommément dans celui de la Sculpture. Pline est ici du même sentiment que Virgile.

Les figures romaines ont une sorte de fierté majestueuse, qui peint bien le caractere de cette nation maîtresse du monde ; elles sont aisées à distinguer des figures greques qui ont des graces négligées. A Rome, on voiloit les figures par des draperies convenables aux différens états, mais on ne rendoit pas la nature avec autant de souplesse & d’esprit qu’on la rendoit à Athènes. Quoique les Romains missent en œuvre dans leurs représentations, ainsi que les Grecs, le marbre, le bronze, l’or, l’argent & les pierres précieuses, ces richesses de la matiere ne sont point celles de l’art. Ce qu’on y aime davantage, c’est la perfection de l’imitation & l’élégance de l’exécution, dont les Grecs firent leur principale étude. Les mouvemens du corps qu’ils voyoient tous les jours dans leurs spectacles publics n’auroient point été applaudis par ce peuple délicat, s’ils n’eussent été faits avec grace & avec vérité ; & c’est de cette école de la belle nature que sortirent les ouvrages admirables de leur ciseau.

Les signes visibles des passions sont non-seulement dans les gestes du corps & dans l’air du visage, mais ils doivent encore se trouver dans les situations que prennent les plus petits muscles. C’est en quoi les Grecs qui copioient une nature habituée à l’émotion, surent donner à leurs ouvrages une vérité, une force, une finesse d’expression, qu’aucun autre peuple n’a su rendre.

Avant qu’ils eussent porté la Sculpture à ce degré d’excellence, plusieurs nations s’étoient occupées à la pratique du même art. S’il est vrai que l’amour inspira les premiers traits de cette imitation, il ne voulut pas lui accorder des progrès rapides. On fut très long-tems à donner aux figures la situation d’une personne qui marche. Celles des Egyptiens avoient les piés joints & enveloppés, mais Dédale représenta le premier avec aisance les extrémités des figures.

Parmi les nations, il n’y a guere eu que les anciens Perses qui n’ayent pas élevé des statues à leurs dieux. Quoiqu’il fût défendu aux Israélites par la loi des douze tables de se tailler aucune image à la ressemblance des fausses divinités, la sculpture ne passoit pas chez les Hébreux pour une idolâtrie ; deux chérubins couvroient l’arche de leurs aîles. La mer d’airain qui étoit dans le temple de Salomon avoit pour base quatre bœufs énormes. Nemrod, pour se consoler de la mort de son fils, fit faire la représentation de ce fils ; tout cela fut permis selon la loi. Mais combien ces statues, ces vases, ces bœufs grossiers étoient-ils inférieurs aux productions des Grecs ? Leurs figures ont un tendre, un moëlleux, une souplesse qu’on ne vit jamais ailleurs. Eux seuls rendirent sans voile la belle nature dans toute sa pureté. Si les statues de Lucine étoient couvertes jusqu’aux piés, ses habillemens n’étoient que des draperies légeres & mouillées, qui laissoient entrevoir toutes les graces du nud. Comme les héros devoient être représentés avec les attributs de leur gloire, & que les dieux devoient porter les marques de leur puissance, on les représentoit souvent assis, pour exprimer le repos dont ils jouissoient. En un mot, on vit déja du tems de Périclès & après lui fleurir la sculpture des Grecs par des chef-d’œuvres, qui ont fait & feront l’admiration de tous les siecles. Nous avons déja parlé des artistes célebres qui les produisirent, & leurs noms nous intéressent toujours. Voyez donc Sculpteurs anciens.

Pausanias ne fait mention que de quinze peintres dans la Grece, & parle de cent soixante & neuf sculpteurs. La quantité d’ouvrages que cet historien, ainsi que Pline, attribuent à la plûpart des artistes qu’ils nomment, paroît inconcevable, & plus encore aux gens du metier qui connoissent la pratique, le tems & le nombre d’opérations que la sculpture exige pour mettre au jour une de ses productions.

Mais une autre réflexion plus singuliere de M. de Caylus, tombe sur ce qu’on ne trouve sur les statues grecques qui nous sont demeurées, aucun des noms que Pline nous a rapportés ; & pour le prouver, voici la liste des noms qui sont véritablement du tems des ouvrages, & qui est tirée de la préface sur les pierres gravées de M. le baron Stock, savant également exact & bon connoisseur.

La Vénus de Médicis porte le nom de Cléomènes, fils d’Apollodore, athénien.

L’Hercule Farnèse, celui de Glycon, athénien.

La Pallas du jardin Ludovisi, d’Antiochus, fils d’Illus.

Sur deux têtes de philosophes grecs, dans le jardin du palais Aldobrandin, Linace, fils d’Alexandre.

Sur le grouppe d’une mere & d’un fils, Ménélaüs, éleve de Stéphanus.

Sur le gladiateur, au palais Borghèse, Agasias, fils de Dosithée, éphésien.

Sur l’Esculape, au palais Vérospi, on lit Assalectus-M.

Sur l’Hermès des jardins Montalte, Eubule, fils de Praxiteles.

Sur deux bustes du cardinal Albani, on lit sur l’un Zénas, & sur l’autre Zénas, fils d’Alexandre.

Le Torse du Belveder, est d’Apollonius, fils de Nestor, athénien.

Chez le même cardinal Albani, on lit sur un bas-relief représentant des bacchantes & un faune, le tout tenant de la maniere égyptienne quoique grecque, Callimaque.

L’apothéose d’Homere porte sur un vase, dans le palais Colonne, Archélaüs, fils d’Apollonius, de Priene.

Sur un vase servant de fonts de baptême à Gaëtte, & qui est orné d’un bas-relief, représentant la naissance de Bacchus, Salpion, athénien.

Nous passons sous silence plusieurs noms grecs, qui ont été ajoutés en différens tems, & nommément à la plinthe des deux chevaux que l’on voit sur le mont Quirinal, vulgairement appellé il monte cavallo, & qui portent les beaux noms de Phidias & de Praxiteles.

L’étonnement s’étend encore sur ce que Pline ne désigne aucun des ouvrages qu’on vient de citer ; le Laocoon & la Dircé sont les seuls dont il parle, & qui nous soient demeurés, à moins qu’on ne veuille croire que le grouppe des lutteurs, ouvrage de Céphisodore, fils de Praxiteles, soit celui que l’on conserve à Florence, dans la galerie du grand duc.

D’un autre côté, il ne faut pas être surpris du silence de Pausanias, sur toutes les belles statues de Rome. Quand il a fait le voyage de la Grèce, il se pouvoit qu’elles fussent déja transportées en Italie, car depuis environ trois cens ans, les Romains travailloient à dépouiller la Grece de ses tableaux & de ses statues. Instruits par la réputation des plus beaux morceaux, ils avoient eu soin de s’en emparer à l’envi les uns des autres. Quelle devoit en être l’abondance ! Pausanias écrivant quarante ans après, nous décrit cette même Grece encore remplie des plus grands trésors.

Si les anciens n’ont point parlé des figures que nous admirons, parce qu’ils en connoissoient de plus belles ; si leur silence sur le nom des artistes qui nous sont demeurés, est fondé sur ce qu’ils en savoient de supérieurs ; quelles idées devons-nous avoir des Grecs & de la perfection de leurs talens ? Mais l’imagination ne peut se prêter, & s’oppose à concevoir des ouvrages supérieurs à ceux qui faisant aujourd’hui le plus grand ornement de Rome, font aussi la base & la regle des études de nos plus habiles modernes.

Comme toutes choses humaines ont leur période, la sculpture, après avoir été portée au plus haut degré de perfection chez les Grecs ; dégénera chez cette nation spirituelle, quand elle eut perdu la liberté ; mais la sculpture des Romains, sans avoir été portée si haut, eut un regne beaucoup plus court ; elle languissoit déja sous Tibere, Caius, Claude, & Néron ; & bientôt elle s’éteignit tout-à-fait. On regarde le buste de Caracalla comme le dernier soupir de la sculpture romaine. Les bas-reliefs des deux arcs de triomphe, élevés en l’honneur de l’empereur Sévere, sont de mauvaise main ; les monumens qui nous restent de ses successeurs, font encore moins d’honneur à la sculpture ; nous voyons par l’arc de triomphe élevé à la gloire de Constantin, & qui subsiste encore à Rome aujourd’hui, que sous son regne, & même cent ans auparavant, la sculpture y étoit devenue un art aussi grossier qu’elle pouvoit l’être au commencement de la premiere guerre contre les Carthaginois. Enfin elle étoit morte lors de la premiere prise de Rome par Alaric, & ne ressuscita que sous le pontificat de Jules II. & de Léon X. C’est-là ce qu’on nomme la sculpture moderne, dont nous allons donner l’article. (Le chevalier de Jaucourt.)

Sculpture moderne, (Beaux arts.) la sculpture moderne est comme je viens de le dire dans l’article précédent, celle qu’on vit renaître avec la peinture, en Italie, sous les pontificats de Jules II. & de Léon X. En effet, on peut considerer la sculpture & la peinture comme deux sœurs, dont les avantages doivent être communs, je dirois presque comme un même art, dont le dessein est l’ame & la regle, mais qui travaille diversement sur différentes matieres. Si la poésie ne paroît pas aussi nécessaire au sculpteur qu’au peintre, il ne laisse pas d’en faire un tel usage, qu’entre les mains d’un homme de génie, elle est capable des plus nobles opérations de la peinture : j’en appelle à témoins les ouvrages de Michel-Ange, & du Goujon ; le tombeau du cardinal de Richelieu, & l’enlevement de Proserpine, par Girardon ; la fontaine de la place Navone, & l’extase de sainte Thérese, par le cavalier Bernin ; le grand bas-relief de l’Algar de qui représente S. Pierre & S. Paul en l’air, menaçant Atila qui venoit à Rome pour la saccager.

La beauté de ces morceaux & de quelques autres, ont engagé des curieux à mettre en problême, si la sculpture moderne n’égaloit point celle des Grecs, c’est-à-dire, ce qui s’est fait de plus excellent dans l’antiquité. Comme nous sommes certains d’avoir encore des chefs-d’œuvres de la sculpture antique, il est naturel de nous prêter à l’examen de cette question.

Pline parle avec distinction de la statue d’Hercule, qui présentement est dans la cour du palais Farnèse ; & Pline écrivoit quand Rome avoit déja dépouillé l’orient de l’un des plus beaux morceaux de sculpture qui fussent à Rome. Ce même auteur nous apprend encore que le Laocoon qu’on a vu dans une cour du palais de Belveder, étoit le morceau de sculpture le plus précieux qui fût à Rome de son tems ; le caractere que cet historien donne aux statues qui composent le grouppe du Laocoon, le lieu où il nous dit qu’elles étoient dans le tems qu’il écrivoit, & qui sont les mêmes que les lieux où elles ont été déterrées depuis plus de deux siecles, rendent constant, malgré les scrupules de quelques antiquaires, que les statues que nous avons sont les mêmes dont Pline a parlé ; ainsi nous sommes en état de juger si les anciens nous ont surpassé dans l’art de la sculpture : pour me servir d’une phrase du palais, les parties ont produit leurs titres.

Il est peu de gens qui n’aient oui parler de l’histoire de Niobé, représentée par un sculpteur grec, avec quatorze ou quinze statues liées entr’elles par une même action. On voit encore à Rome dans la vigne de Médicis, les savantes reliques de cette belle composition. Le Pasquin & le Torse de Belvéder, sont des figures subsistantes du grouppe d’Alexandre, blessé, & soutenu par des soldats. Il n’y a point d’amateurs des beaux arts, qui n’aient vu des copies du gladiateur expirant, qu’on a transporté au palais Chigi ; ils ne vantent pas moins le grouppe de Papirus & la figure nommée le Rotateur ; s’il est quelqu’un à qui ces morceaux admirables soient inconnus, il en trouvera la description dans ce Dictionnaire, or je n’entendis jamais dire à un juge impartial, qu’ils ne surpassent infiniment les plus exquises productions de la sculpture moderne. Jamais personne n’a comparé, avec égalité de mérite, le Moïse de Michel-Ange, au Laocoon du Belvéder ; la préférence que le même Michel-Ange donna si hautement au Cupidon de Praxitele sur le sien, prouve assez que Rome la moderne ne le disputoit pas plus aux Grecs pour la sculpture, que ne le faisoit l’ancienne Rome ; Et comment les modernes pourroient-ils entrer en concurrence ? Les honneurs, les distinctions, les encouragemens, les recompenses, tout manque à leur zèle, & à leurs travaux ; la nature qu’ils copient est sans sentiment & sans action ; ils ne peuvent s’exercer que sur des hommes qui n’ayant fait que des exercices de force, n’ont jamais connu les situations délicates ou nobles qui dans leur état eussent paru ridicules. Inutilement voudroit-on donner à de simples artisans, dans le tems qu’on les dessine, la position d’un héros ; on n’en fera jamais que des personnages maussades, & dont l’air sera décontenancé ; un pâtre revêtu des habits d’un courtisan, ne peut déguiser l’éducation de son village ; mais les Grecs qui copioient la belle nature, habitués à l’émotion & à la noblesse, purent donner à leurs ouvrages une vérité, une force d’expression, que les modernes ne sauroient attraper ; ces derniers ont rarement répandu de la physionomie dans toutes les parties de leurs figures, souvent même ils ne paroissent avoir cherché l’expression que dans les traits du visage ; alors afin que cette expression fût plus frappante, ils n’ont pas craint quelquefois de passer la nature, & de la rendre horrible ; les anciens savoient bien mieux se retenir dans la vérité de l’imitation. Le Laocoon, le Gladiateur, le Rotateur dont nous avons parlé, nous intéressent ; mais ils n’ont rien d’outré ni de forcé.

Cependant la sculpture moderne a été poussée fort loin, elle a découvert l’art de jetter en fonte les statues de bronze, elle ne cede en rien à la sculpture antique pour les bas reliefs, & elle l’a surpassé dans l’imitation de quelques animaux, s’il est permis d’appuyer ce jugement sur des exemples particuliers. A considérer les chevaux de Marc-Aurele, ceux de Monte-Cavallo, les prétendus chevaux de Lysippe qui se trouvent sur le portail de l’église de S. Marc à Venise, le bœuf de Farnèse, & les autres animaux du même grouppe, il paroîtroit que les anciens n’ont point connu comme nous, les animaux des autres climats, qui étoient d’une plus belle espece que les leurs. Quelqu’un pourroit encore imaginer qu’il semble par les chevaux qui sont à Venise, & par d’anciennes médailles, que les artistes de l’antiquité n’ont pas observé dans les chevaux, le mouvement diamétral des jambes ; mais il faut bien se garder de décider sur de si légeres apparences.

Encore moins faut-il se persuader que les Grecs ayent négligé de représenter les plis & les mouvemens de la peau dans les endroits où elle s’étend, & se replie selon le mouvement des membres ; il est vrai que le sentiment des plis de la peau, de la mollesse des chairs, & de la fluidité du sang, est supérieurement rendue dans les ouvrages du Puget ; mais ces vérités se trouvent-elles moins éminemment exprimées dans le Gladiateur, le Laocoon, la Vénus de Médicis ? &c. Je suis aussi touché que personne de l’Andromède, mais combien l’étoit-on dans l’antiquité des ouvrages de Polyclete ? Ne sait-on pas que sa statue du jeune homme couronné, étoit si belle pour l’expression des chairs, qu’elle fut achetée environ vingt mille louis ? ce seroit donc une espece de délire, de contester aux Grecs la préeminence qui leur est encore due à cet égard ; il n’y a que la médiocrité qui s’avise de calculer à l’insçu du génie.

L’Europe est trop heureuse que la ruine de l’empire grec y ait fait refluer le peu de connoissances dans les arts, qui restoient encore au monde. La magnificence des Médicis, & le goût de Léon X, les fit renaître.

La richesse des attitudes, la délicatesse des contours, l’élégance des ondulations, avoient été totalement oubliées pendant plusieurs siecles. Les Goths n’avoient sçu donner à leurs figures ni grace ni mouvement ; ils imaginoient que des lignes droites & des angles aigus, formoient l’art de la sculpture ; & c’est ainsi qu’ils rendoient les traits du visage, les corps & les bras ; leurs statues portoient des écriteaux qui leur sortoient de la bouche, & où on pouvoit lire les noms & les attributs des représentations qui n’avoient rien de ressemblant. Les modernes reconnurent ces ridicules extravagances, & se rapprocherent sagement de l’antique.

Michel Ange r’ouvrit en Italie les merveilles de la sculpture, & le Goujonimita ses traces ; il a été suivi par Sarrasin, le Puget, Girardon, Coysevox, Coustou, le Gros, &c. qui ont élevé cet art dans la France, à une supériorité glorieuse pour la nation ; vous trouverez leurs articles au mot Sculpteurs modernes.

Je ne veux point prévoir la chute prochaine de cet art parmi nous ; mais selon toute apparence, il n’y regnera pas aussi long-tems que chez les Grecs, à la religion desquels il tenoit essentiellement.

Ne voyons-nous pas déja la dégénération bien marquée de notre peinture ? Or comme je l’ai dit, la peinture & la sculpture sont deux sœurs à peu près du même âge, extrémement liées ensemble, & qui subsistent des mêmes alimens, honneurs, recompenses, distinctions, dont la mode ne doit pas être l’origine.

La sculpture tombera nécessairement chez tous les peuples qui ne tourneront pas ses productions à la perpétuité de leur gloire, & qui n’associeront ni leurs noms, ni leurs actions, aux travaux des habiles artistes.

Enfin plusieurs raisons, qu’il n’est pas nécessaire de détailler, nous annoncent que la sculpture seroit déja fannée dans ce royaume, sans les soins continuels du prince qui la soutient par de grands ouvrages auxquels il l’occupe continuellement. (Le chevalier de Jaucourt.)

Sculpture en Bronze, (Hist. des beaux Arts antiq.) Nous ne traiterons ici que l’historique ; les opérations de l’art ont été savamment exposées au mot Bronze.

Les ouvrages des Grecs, en bronze, étoient également recommandables par l’élégance de leur travail & la magnificence de leur volume. Il ne faut pas s’en étonner, ce genre de monument avoit pour objet la religion, la récompense du mérite, une gloire noble & bien placée.

La pratique de leurs opérations nous est inconnue. Pline n’en a pas parlé. Il n’a décrit ni les fourneaux des sculpteurs, ni leur maniere de fondre, ni l’alliage des matieres qu’ils fondoient. Nos artistes doivent regarder le silence de cet historien en ce genre, comme une perte dans les Arts, parce qu’on auroit pu tirer un grand profit des différences de leur pratique, & des lumieres qu’ils avoient acquises par une manœuvre juste, & qu’ils ont si constamment répétée. On doit moins regretter de n’être pas instruit du mélange de leur matiere ; ce mélange a toujours été assez arbitraire, c’est-à-dire, dépendant de la volonté & de l’habitude des fondeurs. De plus, ce qui est assez rare dans la nature, on peut faire des expériences de ce mélange en petit, & elles sont toujours certaines & utiles dans le grand.

Le nombre des statues de toute grandeur, que les anciens ont faites en bronze, est presque incroyable. Les temples, les places publiques, les maisons des particuliers en étoient chargées : mais l’on ne peut s’empêcher de se récrier sur les entreprises grandes & hardies qu’ils ont exécutées dans cette opération de l’art. Nous voyons, dit Pline, des masses de statues, auxquelles on donne le nom de colosses, & qui ressemblent à des tours. Tel étoit l’Apollon placé dans le capitole, & que Lucullus avoit apporté d’Apollonie de Thrace. Ce colosse dont la hauteur étoit de trente coudées (45 piés) avoit couté cinq cens talens, (environ deux millions trois cens cinquante mille livres de notre monnoie.) Telle étoit la statue colossale de Jupiter que l’empereur Claude avoit consacrée dans le champ de Mars ; & tel le Jupiter que Lysippe fit à Tarente, qui avoit quarante coudées de haut.

Mais un nombre presque infini d’artistes s’illustrerent par la prodigieuse quantité de petites statues de fonte & de bronze qu’ils produisirent, les unes grandes comme nature, & d’autres seulement d’un ou deux piés. On en est convaincu par la quantité de petits bronzes, qui subsistent encore. Il est vrai que les bronzes grecs sont rares, & que nous n’en connoissons guere que de romains ; mais nous ne pouvons douter que Rome n’ait toujours été le singe de la Grece. La seule flotte de Mummius transporta de Corinthe à Rome trois mille statues de marbre ou de bronze, dont vraissemblablement la plus grande partie étoit ce que nous appellons des bronzes au-dessus & au-dessous d’un pié.

Les Grecs étoient dans l’usage de couvrir leurs bronzes avec du bitume ou de la poix. Ils ne pouvoient prendre cette précaution que pour les conserver, & leur donner l’éclat & le brillant qu’ils aimoient. Pline est étonné que les Romains ayent préféré la dorure à cet usage ; & en cela il parle non-seulement en philosophe ennemi du luxe, mais en homme de goût, & au fait des Arts. La dorure a plusieurs inconvéniens, dont le principal sur-tout quand on dore une statue qui n’a point été faite pour être dorée, est de l’empêcher de s’éclairer selon la pensée & l’intention de l’auteur. Quant à la poix dont les anciens couvroient leurs bronzes, nous n’avons rien à desirer ; les fumées & les préparations de nos artistes sont d’autant préférables, qu’elles ont moins d’épaisseur.

Il paroît par Pline, que la premiere statue de bronze que l’on ait fondue à Rome, fut une Cérès consacrée par Spurius Cassius, qui fut tué par son propre pere pour avoir aspiré à la royauté. Les statues de Romulus, que l’on voyoit dans le capitole, & des rois prédécesseurs de Tarquin, avoient été fondues ailleurs, & transportées ensuite à Rome. Cependant, quoique l’usage de la fonte fût très-ancien en Italie, elle continua de former ses dieux de terre ou de bois jusqu’à la conquête de l’Asie. Toutes ces observations sont de M. de Caylus : je les ai puisées dans ses Dissertations sur Pline, dont il a enrichi les mémoires de Littérature. (Le Chevalier de Jaucourt.)

Sculpture en Marbre ; c’est l’art de tirer & de faire sortir d’un bloc de marbre une statue, un grouppe de figures, un portrait, en coupant, taillant & ôtant le marbre.

Lorsqu’un sculpteur statuaire veut exécuter une statue, un grouppe de figures, ou autre sujet en marbre, il commence par modeler, soit en terre, soit en cire, une ou plusieurs esquisses, voyez Modele & Esquisses de son sujet, pour tâcher de déterminer, dès ces foibles commencemens ses attitudes, & s’assurer de sa composition. Lorsqu’il est satisfait, & qu’il veut s’arrêter à une de ses esquisses, il en examine toutes les proportions. Mais comme dans ces premiers projets il se trouve beaucoup plus d’esprit & de feu que de correction ; il est indispensablement obligé de faire un modele plus grand & plus fini, dont il fait les études. Voyez Etudes d’après le naturel. Ce deuxieme modele achevé, il le fait monter & tirer en plâtre, pour le conduire à faire un troisieme modele, qu’il fait à l’aide de l’échelle de proportion ou pié réduit, de la même grandeur & proportion qu’il veut exécuter son sujet en marbre. C’est alors qu’il redouble ses attentions, qu’il examine & qu’il recherche avec soin toute la correction, la finesse, la pureté & l’élégance des contours. Il fait encore mouler en plâtre ce troisieme modele afin de le conserver dans sa grandeur & dans sa proportion. Car s’il se contentoit de son modele en terre, il ne retrouveroit plus ses mesures, parce que la terre en se séchant se concentre & se retire, ce qui le jetteroit dans un extrême embarras. Pour déterminer la base du bloc de marbre, il fait faire un lit sous la plinte du bloc, voyez Lit sous la plinte, & ce lit lui sert de base générale pour diriger toutes ses mesures & tirer toutes ses lignes. Alors il donne sur le bloc de marbre les premiers coups de crayon, puis il le fait épanneler, Voyez Epanneler. Ensuite il fait élever à même hauteur le modele & le bloc de marbre, chacun sur une selle semblable & proche l’une de l’autre à sa discrétion, voyez Selle. Quand le modele & le bloc de marbre sont placés à propos, l’on pose horisontalement sur la tête de l’un & de l’autre des chassis de menuiserie, quarrés & égaux, & qui reviennent juste en mesure avec ceux qui portent les bases ou les plintes des figures, voyez les Planches & les fig. de la Sculpture. L’on a de grandes regles de bois qui portent avec elles plusieurs morceaux de bois armés d’une pointe de fer qui parcourent à volonté tout le long de la regle, & que l’on fixe néanmoins où l’on veut avec des vis : c’est l’effet du trusquin, voyez Trusquin. Ces regles se posent perpendiculairement contre les chassis qui sont au-dessus & au-dessous du modele pour y prendre des mesures & les rapporter sur le bloc de marbre, en les posant sur les chassis dans la même direction où elles ont été posées sur ceux du modele. C’est avec ces regles qu’on pourroit mieux appeller compas, à cause de leur effet, que l’artiste marque & établit tous les points de direction de son ouvrage, ce qu’il ne pourroit pas faire avec les compas ordinaires, dont on ne sauroit introduire les pointes dans les fonds & cavités dont il faut rapporter les mesures. Il est manifeste que cette opération se réitere sur les quatre faces du bloc de marbre & du modele autant de fois que le besoin le requiert : car la figure étant isolée, demande à être travaillée avec le même soin dans toutes ses faces.

L’artiste ayant trouvé & établi des points de direction, qu’il a posés à son gré sur les parties les plus saillantes de son ouvrage, comme sont les bras, les jambes, les draperies & autres attributs ; il retrace de nouveau les masses ou sommes de la figure du sujet, & fait jetter à-bas les superfluités du marbre jusqu’au gros de la superficie, par des ouvriers ou éleves, se reposant sur eux de ce pénible travail, mais ayant toujours les yeux sur l’ouvrage, de crainte que ces foibles ouvriers n’atteignent les véritables nus & points du sujet. Il doit aussi leur faire faire attention à ne travailler que sur le fort du marbre, cela s’entend, en ce que les outils & les coups de masse soient toujours dirigés vers le centre du bloc. Autrement ils courroient risque d’étonner & d’éliter quelques parties du marbre qui n’est presque jamais également sain, étant souvent composé de parties poufes & de parties fieres. Voyez Pouf & Fier.

Les outils dont on se sert pour cette ébauche, sont la masse, les pointes, les doubles pointes, la marteline & la gradive, avec lesquels, en ôtant le superflu petit-à-petit, on voit sortir le sujet. Alors l’artiste suit de près l’approche de la figure, avec le ciseau & tous les autres outils qui lui sont nécessaires ; & il ne la quitte plus qu’il ne l’ait terminée au plus haut point de perfection qu’il est capable de lui donner.

De quelque outil qu’il se serve, soit marteline, cizeau, trépan, &c. il doit toujours avoir grand soin de ménager la matiere, car les fautes sont irréparables ; il ne doit donc ôter qu’avec beaucoup de discrétion pour arriver au but qu’il se propose, car il n’y a pas moyen d’y ajouter, & s’il se casse malheureusement une partie ou qu’il y ait quelque endroit altéré, il n’y a ni secret, ni mastic suffisant pour y remédier & la rétablir avec stabilité, sans qu’il y paroisse. Lorsque le sujet est totalement fini, & que le sculpteur se détermine à faire polir quelques draperies, ou autres ornemens, il se sert de gens destinés à ce travail que l’on nomme des polisseurs ; voyez Polisseur de marbre ; & il doit avoir attention à la conduite de ces sortes d’ouvriers, qui n’étant que des gens de métier & de peine, sont peu susceptibles des conséquences d’user & ôter les touches & les finesses que le sculpteur a ingénieusement semées dans tout son ouvrage. Ce poli est arbitraire & au choix de l’artiste, n’y ayant pour cela aucune regle établie qui puisse le diriger ou le contraindre. Le sculpteur en taillant son ouvrage prévient d’avance une partie des accidens qui pourroient arriver en le transportant. Il laisse des tenons de marbre aux parties saillantes, comme supports de bras, entre-deux de doigts, & autant qu’il est nécessaire, se reservant d’ôter ces tenons sur la place, lorsque la figure est posée sur son piédestal, où elle doit rester. C’est à cet instant que l’artiste intimidé ne voit son ouvrage qu’avec crainte, & que comme un nouveau spectacle qui lui fournit de nouvelles observations, & qui trop souvent lui reprochent des négligences auxquelles il ne peut refuser de nouveaux soins, puisqu’enfin c’est le fatal ou heureux moment où il abandonne à la postérité toute l’étendue de son savoir & de ses talens.

Pour transporter l’ouvrage le sculpteur a recours au charpentier qui l’ôte de dessus la selle, & le guinde sur un chassis de charpente appellé poulin, où il met des tasseaux de soutien avec chevilles, clous, & autres suretés, afin que rien ne se casse, soit en roulant ou en traînant dans les voies publiques jusqu’au lieu de sa destination.

On peut voir les outils en grand nombre dont se servent les sculpteurs, chacun à son article, où l’on a décrit son méchanisme & ses usages.

Sculpture en pierre et en bois ; outre ce qui a été dit à l’article Sculpture en marbre, par rapport aux statues & autres ouvrages qui s’exécutent sur cette matiere, la sculpture s’étend encore sur tout ce qui est pratiquable à l’outil, & qui peut être taillé, rogné, coupé, & réparé, comme pierre dure, pierre tendre, plâtre, ivoire, bois de diverses qualités, &c. Quant à la pierre dure, elle se travaille à-peu-près comme le marbre, c’est-à-dire avec la masse, les pointes, doubles pointes, cizeaux, & autres outils à précautions qu’on peut voir à leur article.

La pierre tendre, & les bois de chêne, buis, tilleul, noyer, & autres de ces qualités, se travaillent avec le maillet de bois, les fermoirs, les trépans, les gouges creuses & plates, à breter & à nez rond ; ces outils sont de toutes sortes de pas ou largeur. Il y en a qui n’ont pas deux lignes de face, & par degrés il y en a d’autres qui en ont jusqu’à deux pouces & plus ; on ne les distingue que par le pas. Les ouvriers nomment cet assortiment d’outils un affutage. Ces outils sont de fer, & par la tranche ils sont acerés de l’acier le plus fin. Il leur faut une trempe très fine. Ils sont faits de maniere qu’ils ont chacun une pointe forgée en quarré qui entre dans le manche, pour l’assurer & l’empêcher de tourner. Le manche de bois qui est de quatre à cinq pouces de longueur, est coupé à pans pour être tenu plus ferme, & ne point varier dans la main de l’ouvrier. L’on affute ces outils sur un grais de bonne qualité, pour leur donner le tranchant, & l’on se sert ensuite d’une affiloire pour leur couper le morfil, & les rendre propres à couper le bois, &c. avec netteté & propreté. Voyez Affiloire. L’on se sert pour finir ces ouvrages de rapes de différentes forces, tailles & courbures, comme aussi de peau de chien de mer dont on prend les plus convenables, qui sont certaines parties du ventre, les nageoires, & les oreilles.

La sculpture en pierre & en bois comprend plusieurs sortes d’ouvrages, comme figures, vases, ornemens, chapiteaux, fleurs, fleurons, &c. tant pour les décorations intérieures qu’extérieures des temples, des palais, & autres bâtimens, pour les vaisseaux de roi, de guerre, & marchands ; les voitures des ambassadeurs, & toutes sortes de monumens, comme cirques, carrousels, arcs de triomphe, obélisques, pyramides, &c.

Les anciens se sont servis de presque toutes sortes de bois pour faire des statues. Il y avoit à Sycione une statue d’Apollon qui étoit de buis ; à Ephèse celle de Diane étoit de cedre.

Dans le temple bâti à l’honneur de Mercure sur le mont Cillene, il y avoit une image de ce dieu faite de citronnier, de huit piés de haut ; ce bois étoit fort estimé.

On faisoit encore des statues avec le bois de palmier, d’olivier, & d’ébene, dont il y avoit une figure à Ephese, & ainsi de plusieurs autres sortes de bois, comme celui de vigne, dont il y avoit des images de Jupiter, de Junon, & de Diane.

On appelle bien couper le bois, quand une figure ou un ornement est bien travaillé, & la beauté d’un ouvrage consiste en ce qu’il soit coupé tendrement, & qu’il n’y paroisse ni sécheresse ni dureté.

Quand on veut faire de grands ouvrages, comme seroit même une seule figure, il vaut mieux qu’elle soit de plusieurs pieces que d’un seul morceau de bois, qui dans des figures de même que dans des ornemens, se peut tourmenter & jerser ; car une piece entiere de gros bois peut n’être pas seche dans le cœur, quoiqu’elle paroisse seche par-dehors, il faut que le bois ait été coupé plus de dix ans avant que d’être propre à être employé dans ces sortes d’ouvrages.

Sculpture en platre, tant en relief qu’en bas-relief. La sculpture en relief se fait d’une façon qu’on appelle travailler le plâtre à la main. On se sert de la truelle & du plâtre délayé ; on forme un ensemble ou masse de plâtre du volume de ce qu’on veut faire, & l’on travaille sur cette masse avec le maillet & les mêmes outils dont on se sert avec les pierres tendres. L’on se sert aussi de ripes & de rondelles ; ces ripes qui ont forme de spatule sont de différente grandeur, & ont des dents plus ou moins fortes. Elles sont sur la pierre & le plâtre ce que la double pointe & la gradine font sur le marbre.

Ces sortes de travaux en plâtre ne se font guere que dans les cas où l’on veut faire des modeles sur place, pour mieux juger des formes & des proportions du tout ensemble, & rendre les parties relatives les unes aux autres ; souvent on les finit entierement sur place, & l’on en fait des moules qui servent à jetter en plomb, ce que l’on voit quelquefois exécuter dans les parcs & jardins pour faire des fontaines, cascades, &c. Si au contraire on veut les exécuter en marbre, on les moule de façon à en pouvoir tirer des moules en plâtre que l’on apporte à l’attelier du sculpteur, pour lui servir à la conduite de son ouvrage en marbre.

La sculpture en bas-relief n’est pour ainsi-dire autre chose que l’art de mouler. Elle s’emploie le plus communément dans l’intérieur des appartemens pour former des bas-reliefs, cariatides, corniches, frises, metopes, consoles, agraphes, vases, & ornemens ; on commence par faire des modeles en terre sur des formes & fausses formes, suivant les lieux où l’on veut placer les ouvrages ; on en fait faire des moules en plâtre par quatre mouleurs. Ces moules sont composés de plusieurs pieces qui se rapportent & se renferment avec repers, dans une ou plusieurs chapes, suivant le volume & le relief de l’objet moulé. Voyez Chape. Quand ces moules sont bien secs, on les abreuve en leur donnant avec le pinceau plusieurs couches d’huile, ce qui les durcit & empêche que le plâtre ne s’y attache. Cela fait l’on coule dans le moule du plâtre bien tamisé & très-fin, que l’on tire quelquefois d’épaisseur ou en plein, suivant la force que l’on veut donner à l’ouvrage. Pour retirer le plâtre moulé on commence à dépouiller toutes les parties du moule les unes après les autres, dans le même arrangement qu’elles ont été posées, & alors on découvre le sujet en plâtre, qui rapporte avec fidélité jusqu’aux parties les plus déliées du modele, n’y ayant plus qu’à réparer, & souvent qu’à ôter les coutures occasionnées par les jointures des pieces du moule. Quand ces morceaux de sculpture en plâtre sont destinés à servir d’ornement à quelque édifice, on hache avec une hachette, ou avec quelqu’autre outil, les places où ils doivent être posés ; on les ajuste & on les scelle avec le plâtre. Il ne reste plus qu’à les ragréér avec les outils en bois, & même avec les ripes, comme nous avons déjà dit.

Sculpture en carton : il y a deux manieres de travailler ces sortes d’ouvrages. Comme ils n’ont point d’autre inconvénient à craindre que l’humidité, on ne les emploie d’ordinaire que dans les lieux couverts, comme intérieurs de bâtimens, d’églises, accessoires à des autels, pompes funebres, fêtes publiques, salles, spectacles, &c. Pour parvenir à l’exécution de ce travail, il faut prendre les mêmes précautions que pour les autres façons de sculpture que l’on a déja expliquées ; c’est-à-dire qu’il faut commencer par faire, soit de ronde-bosse, soit de bas-relief, les modeles des choses qu’on veut représenter. Il faut aussi faire tirer des moules sur des modeles, comme il a été dit à l’article de Sculpture en Platre. On endurcit le moule en l’imbibant d’huile bouillante ; & quand il est sec & en état, on y met pour premiere couche, des feuilles de papier imbibées d’eau, sans colle, que l’on arrange artistement dans toutes les parties du moule. Toutes les autres couches qu’on y donne se font aussi avec du papier ; mais il est imbibé de colle de farine, & l’on continue couche sur couche avec le papier collé jusqu’à ce qu’on ait donné à l’ouvrage l’épaisseur de deux ou trois lignes, ce qui forme un corps suffisamment solide. Mais il faut bien faire attention en posant toutes ces couches de papier, de le faire obéir avec les doigts ou les ébauchoirs, pour le faire atteindre jusqu’au fond des plus profondes cavités du moule, pour en prendre exactement les traits, & les rendre sur le carton avec toute la finesse que le sculpteur a donnée à son modele. On laisse sécher ces cartons en les exposant au soleil, ou à un feu doux, de crainte que l’excessive chaleur ne change les formes en occasionnant des vents, & faisant boursouffler le papier. Quand les cartons sont secs, on les retire du moule, soit par coquilles ou par volume. On les rassemble & ajuste avec des fils de fer. Le papier le plus en usage pour ces sortes d’ouvrages, est pour la premiere couche, le papier gris-blanc, dit fluant ; & après, tout papier spongieux, blanc ou gris, est propre à faire corps avec la colle. La seconde façon de former des ouvrages de sculpture en carton, est de les faire en papier, c’est-à-dire en papier battu dans un mortier. Cette pâte se fait ordinairement des rognures que les papetiers font de leurs papiers de compte ou à lettres ; les plus fins sont les meilleurs. L’on prend ces rognures, que l’on met dans un vase ou vaisseau rempli d’eau, que l’on change souvent, & que l’on laisse amortir jusqu’au point de devenir en pâte ou en bouillie. Quand cette pâte est ainsi réduite, l’on s’en sert, comme il va être expliqué. L’on a eu soin, comme ci-devant, d’imbiber d’huile, & d’endurcir le moule ; on y met le plus également qu’il est possible, l’épaisseur d’environ deux ou trois lignes de cette pâte ; on appuie dessus & avec force, & on se sert d’une éponge pour en retirer l’humidité autant qu’il est possible : on fait secher cette pâte au feu ou au soleil, puis avec une brosse, & de la colle de farine, on imbibe ce carton sur lequel on pose plusieurs couches de papier gris-blanc & gris, afin de donner un corps à ce carton, qui jusqu’alors étoit sans corps & sans colle. Cette seconde opération faite, on laisse sécher, puis on recommence avec de la colle forte de Flandres ou d’Angleterre à réimbiber ces couches de papier, & l’on y applique de la toile ; & souvent on y insinue des armatures de fil de fer & des fantons que l’on met entre le papier gris & la toile, ce qui empêche que les cartons ne se tourmentent, & fait qu’ils restent dans la véritable forme que le sculpteur a donnée au modele. Cette façon de faire le carton est la meilleure, tant pour la solidité que pour rapporter avec exactitude toutes les parties de détail du modele. Ces ouvrages, comme nous l’avons dit, ne craignent d’inconvenient que l’humidité. Ils ne se cassent point, les vers n’y font point de piquure, & ils peuvent être dorés aussi-bien que les ouvrages en bois, & avec les mêmes apprêts.

Sculpture, (Architect.) l’architecture fait usage de la sculpture par des figures & autres sujets de relief, ou d’ornemens de bas-relief, pour décorer un édifice ; on appelle en architecture sculpture isolée, celle qui est en ronde-bosse ; & sculpture en bas-relief, une sculpture qui n’a aucune partie détachée. (D. J.)