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dité à nier l’existence des pétrifications. En effet, on a trouvé en plusieurs endroits de la terre, des arbres entiers pétrifiés, avec leurs branches & leurs racines. On appercevoit en les coupant, les cercles annuels de leur croissance ; on en a des morceaux sur lesquels on voit distinctement qu’ils ont été rongés par les vers ; d’autres portent des marques visibles de la coignée & de la scie. Enfin ce qui doit fermer la bouche à l’incrédulité, on a trouvé, quoique rarement, des morceaux de bois dont une portion étoit encore dans l’état d’un bois véritable & propre à brûler, tandis qu’une autre portion étoit changée en agate, ou en une pierre d’une autre espece.

Ce qui vient d’être dit du bois peut s’appliquer aux parties des animaux qui se pétrifient. Les animaux ont ainsi que les végétaux, une terre qui leur sert de base ; c’est cette terre qui forme leurs os, les coquilles ; ils contiennent encore des parties salines & aqueuses ; ils sont remplis de fibres & de pores qui peuvent admettre les eaux de la terre ; ces eaux peuvent déposer dans les pores & interstices de ces substances animales, les molécules terreuses dont elles sont chargées & qui s’y durcissent peu-à-peu. Les substances animales qu’on trouve le plus ordinairement pétrifiées, sont les coquilles, les madrépores, les ossemens de poissons ; cela est assez naturel, vu que ces substances ont déjà par elles-mêmes beaucoup d’analogie avec les pierres, étant composées pour la plus grande partie, de molécules terreuses & calcaires. A l’égard des parties grasses & charnues des animaux, elles sont d’un tissu trop lâche, & trop sujettes à la pourriture, pour pouvoir donner le tems aux eaux de déposer la matiere lapidifique dans leurs fibres.

Quant aux pétrifications des quadrupedes, elles doivent être très-rares, si tant est qu’il en existe ; on trouve assez souvent leurs ossemens enfouis en terre, mais ils ne sont point pétrifiés pour cela ; on doit sur-tout regarder comme très-incertain ce qui a été rapporté par quelques auteurs, d’un cadavre humain pétrifié que l’on dit avoir été trouvé en 1583 aux environs de la ville d’Aix en Provence : on peut en dire autant des hommes pétrifiés que l’on prétend avoir été trouvés dans une montagne de la Suisse ; ces hommes, dit-on, faisoient partie de l’équipage d’un vaisseau qui fut trouvé avec ses agrêts au même endroit. Ces faits sont aussi fabuleux que la prétendue ville de Bidoblo en Afrique, dont on nous conte que tous les habitans ont été pétrifiés. Le merveilleux de cette histoire disparoîtra si l’on fait attention que souvent les voyageurs qui passent dans les endroits sablonneux de l’Arabie & de la Lybie, sont tout d’un coup ensevelis sous des montagnes de sable que le vent éleve, quelques siecles après on retrouve leurs cadavres durcis & desséchés, évenement qui a pu arriver aux habitans de la ville de Bidoblo.

Un grand nombre d’auteurs nous parlent d’ossemens de quadrupedes pétrifiés ; cependant en regardant la chose de près, on trouvera que rien n’est moins decidé que leur existance, & l’on verra que les ossemens des quadrupedes que l’on rencontre en terre, sont ou dans leur état naturel, ou simplement rongés & calcinés. Voyez les articles Ossemens fossiles, Ivoire fossile, &c. Cependant il peut se faire que ces os, par leur séjour dans la terre, aient acquis une dureté beaucoup plus grande qu’ils n’avoient auparavant, mais cela n’autorise point à les mettre au rang des pétrifications.

On a aussi raison de se défier des prétendus oiseaux pétrifiés avec leurs œufs, que l’on assure se trouver au pays de Hesse, dans le Westerwald, dans une montagne appellée Vogelsberg. On doit porter le

même jugement des crapaux, des lézards, & même des serpens pétrifiés qui se sont quelquefois trouvés en terre ; quant aux serpens il y a lieu de soupçonner que des gens peu instruits auront pû être trompés par des cornes d’ammon, qui ressemblent assez à un serpent entortillé.

La chose est beaucoup plus certaine pour les animaux marins, & l’on est assuré qu’il s’en trouve de pétrifiés ; près des villages de Mary & de Lisy, dans le voisinage de Meaux, on trouve une grande quantité de crabes pétrifiés ; on rencontre en plusieurs autres endroits des dents & des palais de poissons pétrifiés, &c. au point de donner des étincelles lorsqu’on les frappe avec un briquet. Telles sont les pierres que l’on nomme crapaudines, giossopetres, &c. Voyez ces articles. Les belemnites, les cornes d’ammon, les oursins ou échinites, & un grand nombre de coquilles & de litophytes sont souvent véritablement pétrifiés ; on en voit qui sont entierement changés en cailloux ou en agathe ; d’autres ont servi de moule à la matiere lapidifique qui a été reçue dans l’intérieur de ces corps ; mais ce seroit se tromper que de mettre tous les corps marins qui se trouvent dans le sein de la terre au rang des pétrifications ; quelques-uns de ces corps n’ont éprouvé aucune altération, d’autres ont été simplement rongés, ont perdu leur liaison, ce qui ne peut passer pour un changement en pierre ; d’où l’on voit que l’on ne doit pas donner indistinctement le nom de pétrification à toutes les coquilles ou corps marins qui se trouvent enfouis dans les couches de la terre. Voyez l’article Fossile. Lorsqu’on veut parler avec exactitude, il seroit à propos de distinguer même les pierres qui sont venues se mouler dans l’intérieur des coquilles ou des corps marins, des vraies pétrifications. En effet, on voit souvent des pierres ainsi formées ou moulées, qui sont encore enveloppées de la coquille qui a servi de moule à la matiere lapidifique, la coquille elle-même n’a point été changée, elle est souvent dans son état naturel. Il ne faut point croire non plus que l’animal qui logeoit dans ces coquilles ait été converti en pierre, tout ce qu’on peut dire, c’est que le suc pierreux est venu occuper la place de l’animal.

Ce seroit encore se tromper que de prendre pour une vraie pétrification les incrustations ou croûtes pierreuses qui se forment à l’entour de quelques substances qui ont séjourné quelque tems au fond de certaines eaux ; les molécules terreuses contenues dans ces eaux se sont déposées sur les feuilles ou les plantes, & les ont couvertes d’un enduit qui s’est durci & changé en pierre, en conservant la forme du corps sur lequel ces molécules se sont déposées, tandis que le corps lui-même s’est pourri & a disparu. Voyez Incrustation.

On ne doit pas non plus confondre avec les pétrifications, les empreintes des végétaux ou des poissons qui se trouvent sur quelques pierres ; la pierre qui porte ces empreintes, étant dans un état de mollesse, a pris la figure du corps qu’elle enveloppoit, elle s’est durcie peu-à-peu, & le corps qui a fait l’empreinte a souvent entierement disparu. Voyez Phytolites & Typolites.

Enfin on ne peut donner le nom de pétrifications aux pierres à qui des circonstances fortuites ont fait prendre dans le sein de la terre des formes bisarres, qui peuvent quelquefois avoir de la ressemblance avec des corps étrangers au regne minéral. Voyez l’article Jeux de la nature.

Les vraies pétrifications sont donc les substances, soit animales, soit végétales, qui ont été pénétrées & imbibées du suc pierreux, qui est venu remplacer les principes dont ces corps étoient originairement composés, sans changer leur structure & leur tissu.