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les peuples du nord en font un grand usage ; il leur est aussi nécessaire pour faire de la boisson, que le froment pour faire du pain. L’orge nourrit moins que le froment ; il se digere plus difficilement, parce qu’il est moins gluant, & qu’il ne peut pas s’attacher au corps, de même que le froment.

On estime l’orge qui est blanc, pur, plein, compacte, & pesant autant qu’il se peut : on rejette celui qui est petit, ridé, léger, spongieux. Il ne faut pas en faire d’usage d’abord après la moisson, & aussi-tôt qu’il est moulu ; mais il faut le conserver dans un lieu sec pendant quelque tems, à cause de son humeur visqueuse & superflue qui veut être évaporée ou atténuée. Quand il est sec, & qu’il commence à se rider, alors il est tems d’en faire usage, & il est salutaire. Son écorce extérieure, ou le son est plus sec que la pulpe ou la farine : il nourrit peu ou point du tout ; il déterge, & il est un peu purgatif à cause du suc de sa bâle, comme Hippocrate en avertit.

On prépare l’orge de différentes manieres, soit pour servir d’aliment, soit pour la Médecine.

1°. On fait du pain avec la farine d’orge, qui est plus friable & inférieur au pain de froment ; il sert de nourriture aux pauvres ; il ne convient qu’à ceux d’entr’eux qui s’exercent à de rudes travaux, & dont l’estomac est robuste : c’est pourquoi, selon Pline, les gladiateurs athéniens, qui avoient coutume de s’en nourrir, étoient surnommés hordearii ; terme qui signifie des gens qui vivent de pain d’orge. Il est meilleur, & a plus de saveur, quand on le mêle avec moitié de froment ou de seigle.

2°. Les anciens faisoient usage d’une sorte de pain d’orge, que les Grecs & les Latins appelloient maza. C’étoit de la farine d’orge rôti, mêlée & pétrie avec quelque liqueur, comme de l’eau, de l’huile, du lait, du vin cuit, du miel, &c. Voyez Maza.

3°. Les anciens Grecs faisoient une bouillie avec l’orge, appelloient cette bouillie ἀλφιτὸν, & les Latins la nommoient polenta. Voyez Polenta.

4°. Les anciens faisoient encore avec l’orge de la tisanne, nommée par les Grecs πτισσάνη ou πτισάνη, & par les Latins ptisana. Voyez Tisane.

Mais de toutes les différentes manieres de préparer l’orge, il nous en reste seulement trois, qui sont encore un peu usitées : la premiere s’appelle dans les boutiques de l’eau d’orge, ou décoction d’orge ; la seconde, qui n’est pas bien différente de la tisane des anciens, est nommée orge mondé ; la troisieme est de la crême d’orge, ou de l’orge passé. Voyez Orge, décoction d’(Diete), Orge mondé, & Orge passé.

On met la farine d’orge au nombre des quatre farines résolutives, qui sont la farine d’orge, celle de fèves, celle de l’orobe, & celle de seigle. On leur substitue quelquefois la farine de froment, de lin, de fénu-grec, & de lentille. Cette farine appliquée en cataplasme est émolliente, résolutive, maturative & anodine ; c’est pourquoi on l’emploie seule en cataplasme, ou avec les autres farines résolutives. (D. J.)

Orge, décoction d’(Diete.) la décoction d’orge, ou, comme on dit communément, l’eau d’orge, est simple ou composée. La simple se fait ou avec de l’orge entier, qui est plus détersif à cause de son écorce, & plus utile dans les obstructions ; ou bien on fait cette décoction avec de l’orge mondé, ou dont on a ôté la peau ; & alors elle est un peu plus rafraîchissante & incrassante. On fait bouillir cet orge avec de l’eau commune très-pure, plus ou moins long-tems, tantôt jusqu’à ce que les grains s’amollissent & se gonflent seulement, tantôt jusqu’à ce qu’ils soient crevés, c’est-à-dire, jusqu’à ce que la pellicule de ces grains se creve par la grande raré-

faction de la substance farineuse. On emploie utilement

ces décoctions dans les fievres ardentes, & autres maladies, pour délayer les humeurs épaisses & visqueuses, & pour adoucir & tempérer l’acrimonie des humeurs.

La décoction d’orge composée se fait avec les racines de réglisse, de chien-dent, de chicorée, ou autres racines apéritives, avec celles de scorsonere, de patience, de bardane, &c. avec les raisins, les jujubes, les figues, les dattes, les grains, & autres, selon les différentes indications. Ainsi Etmuller vante dans la pleurésie une boisson faite avec la décoction d’orge, dans laquelle on infuse des fleurs de coquelicot ou de paquerette : dans la rougeole, on fait bouillir de l’orge avec de la corne-de cerf, & avec la racine de scorsonere dans les fievres pétéchiales. (D. J.)

Orge grué, (Diete) on l’appelle autrement orge mondé. Il se fait avec le plus bel orge dont on ôte la peau sous la meule. On le macere dans de l’eau, on le lave, & on le frote dans les mains pour enlever toute la peau qui est restée, après qu’il a été écrasé sous la meule. Ensuite on le met dans un vaisseau de terre ; on y verse de nouvelle eau, & on le fait bouillir pendant cinq, six ou sept heures, jusqu’à ce qu’il se change en crême ; & de peur d’interrompre l’ébullition, on verse de l’eau tiéde, quand il est nécessaire, & on le fait cuire à un feu doux ; c’est ce qu’on appelle orge grué, parce que la graine y reste. Pour le rendre meilleur, quelques-uns y ajoutent dans le commencement du beurre frais, & un peu de sel sur la fin. Le peuple le mange préparé de cette façon. D’autres pour le rendre plus agréable, y mêlent des amandes ; pour rafraîchir, des graines de melon, de courge ; & pour la douceur, du sucre. On fait un grand usage de cette préparation : c’est une excellente nourriture qui produit un bon suc dans la santé & dans la maladie. (D. J.)

Orge mondé, (Diete médicinale.) c’est de l’orge qui a été écrasé sous la meule, & dépouillé de sa premiere peau. On en fait des décoctions, des tisanes, des crêmes, sous le nom d’orge grué & d’orge passé. Voyez Orge grué & Orge passé.

On fait avec l’orge mondé le sucre d’orge & le sucre tors, que les Arabes appellent alphenicum. Le sucre d’orge est une composition jaunâtre, transparente, faite avec le sucre cuit dans une décoction légere d’orge, jusqu’à ce qu’il ait assez de consistence pour en faire des bâtons. Le sucre tors se fait avec de l’eau d’orge & du sucre dans une certaine proportion, & cuits de telle sorte qu’il en résulte une masse solide, qu’on peut manier sans qu’elle s’attache aux doigts frotés d’huile d’amandes, & la réduire en fils très-fins ou grossiers, longs ou courts, & le plus souvent tortillés, mais toujours blancs. Ces deux préparations sont assez bonnes pour la toux, l’enrouement, la sécheresse de la trachée-artere, & dans les maladies légeres du poumon & de la poitrine. (D. J.)

Orge passé, (Diete.) c’étoit la crême d’orge des anciens, qui se fait parmi nous de la maniere suivante. On prend de l’orge mondé, on le macere, on le frote dans les mains, on le fait cuire pendant sept ou huit heures, on le pile dans un mortier avec des amandes douces pelées, & on le passe. Les uns le font plus liquide, d’autres plus épais. Alors on y ajoute du sucre, on le sert dans un plat d’argent ; & on le donne à ceux qui se portent bien, aux malades, & à ceux qui sont exténués : on y mêle des quatre semences froides pour faciliter le sommeil. Quand on le fait cuire derechef, après l’avoir passé, il devient plus épais & plus nourrissant. On ne se contente pas d’en faire prendre une fois le jour à l’heure du sommeil, mais deux, trois fois, & davan-