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tement analogues à cet égard aux baumes & aux résines, & par conséquent aux huiles essentielles.

L’union naturelle du principe aromatique & de l’huile essentielle est bien évidente, puisqu’une pareille huile retirée sans la moindre altération d’un végétal ; par exemple, l’huile retirée de l’écorce de citron en en exprimant des zests, est abondamment chargée de ce principe, & qu’elle peut ensuite le perdre absolument étant gardée à l’air libre, ou dans un vaisseau négligemment fermé.

Quant à la partie odorante des plantes qui ne contiennent point d’huile essentielle, tout ce qu’on sait de sa façon d’être dans les plantes, c’est qu’elle adhere assez à leur substance, pour que la dessiccation ne le dissipe pas entierement ; quoiqu’il soit vrai que les plantes aromatiques qui ne contiennent point d’huile essentielle, telles que les muguets, les jacintes, le jasmin, &c. perdent infiniment plus de leur odeur par la dessiccation, que celles qui contiennent de l’huile essentielle.

Ce principe est le plus mobile de tous ceux que renferment les plantes. Il doit être regardé comme étranger à leur texture & même à leurs sucs propres ou fondamentaux (voyez Végétal), & comme étant répandu à leur surface & dans leurs pores, comme adhérent à ces parties en les mouillant, ou tout au plus comme étant déposé dans de petits reservoirs particuliers, soit seul & pur, soit mêlé à de l’huile essentielle. Il n’est pas permis de croire que ce principe nage dans l’eau de la végétation, puisqu’il est plus volatil que ce dernier principe, qu’on peut néanmoins dissiper tout entier par la dessiccation, sans que la meilleure partie du principe aromatique soit dissipée en même tems. Ce fait est très-sensible, par exemple, dans les feuilles de menthe, qui étant bien seches, contiennent encore une quantité considérable de principes aromatiques.

Le principe aromatique est si subtil & si léger, si peu corporel, s’il est permis de s’exprimer ainsi, qu’il n’est pas possible de le déterminer par le poids ni par mesure ; car, selon l’expérience de Boerhaave, une eau distillée très chargée de parfum, qui ayant été exposée à l’air, a perdu absolument toute odeur, n’a pas diminué sensiblement de poids ni de volume.

Il est cependant évident que le principe aromatique est un être composé, puisqu’il y en a autant d’especes distinctes, qu’il y a de substances odorantes : or ces divers principes odorans ne peuvent être spécifiés que par des diversités dans leurs mixtions.

Quant à l’essence propre à la constitution intérieure ou chimique du principe aromatique, elle est encore absolument inconnue ; mais malgré l’extrème subtilité de ce principe, qui le dérobe aux sens & aux instrumens chimiques, on peut cependant avancer, d’après le petit nombre de notions que nous avons sur cet objet, que la connoissance intime de sa composition n’est pas une découverte au-dessus de l’art.

Il semble qu’on ne doit pas confondre avec le principe aromatique une certaine vapeur qui s’exhale de presque toutes les substances végétales & animales appellées inodores, & qui est pourtant capable de faire reconnoître ces substances par l’odorat ; car quoiqu’on peut soutenir avec quelque vraissemblance qu’elles ne different à cet égard des substances aromatiques que par le plus ou le moins, cependant comme l’odeur de ces substances est presque commune à de grandes divisions ; par exemple, à toutes les herbes, à toutes les chairs, à tous les laits, &c. il est plus vraissemblable que ce principe mobile n’est qu’une foible émanation de toute leur substance, & non point un principe particulier. On peut assurer la même chose avec encore plus de vraissemblance du soufre commun, du cuivre & du plomb, qui ont

chacun une odeur propre très-forte. L’odeur de la transpiration des divers animaux, & même des divers individus de la même espece, paroît être aussi un être fort distinct du principe qui fait le sujet de cet article.

La partie odorante a été regardée par les pharmacologistes, comme le principe le plus précieux des plantes qui en étoient pourvues. Boerhaave a surtout poussé si loin ses prétentions à cet égard, qu’il regarde tous les autres principes des plantes aromatiques comme absolument dépouillés de vertus. Voici comme il s’en exprime : quin etiam scire refert hominum industriam deprehendisse tenui huic stirpium vapori deberi stupendos effectus quos in corpore hominis excitant concreta vegetantia tàm evacuando quam mutando : quoniam eo solo de medicamentis venenisque penitus separato sine ullâ ferè ponderis jacturâ caret omni illâ efficaciâ. Cette prétention est certainement outrée, surtout si on veut la généraliser ; car certainement il y a plusieurs substances aromatiques qui exercent d’ailleurs des effets médicamenteux très-manifestes par des principes fixes. Il est cependant vrai en général que le principe aromatique doit être ménagé dans la préparation des médicamens odorans, comme un agent médicamenteux très-efficace : aussi est ce une loi constante de manuel pharmaceutique, de ne soumettre aucune substance aromatique à un degré de feu capable de dissiper le principe odorant ; or le degré de l’eau bouillante, & même celui du bain-marie étant plus que suffisant, pour dissiper ce principe, on ne doit point traiter les substances aromatiques par la décoction, ni même par la chaleur du bain-marie très-chaude dans les vaisseaux ouverts, & lorsque la décoction est d’ailleurs nécessaire pour retirer en même tems d’autres principes de la même substance ; il faut faire cette décoction dans un appareil convenable de distillation, & réunir le principe aromatique qui s’est élevé & qu’on a retenu, & la décoction refroidie. On en use ainsi dans la préparation de certains sirops (voyez Sirop.) Si l’on est obligé de faire essuyer la chaleur d’un bain-marie très-chaud à une liqueur chargée de principes aromatiques ; comme par exemple, pour la disposer à dissoudre une très-grande quantité de sucre, on doit lui faire essuyer cette chaleur dans un vaisseau exactement fermé. On trouvera encore des exemples de cette manœuvre à l’article Sirop.

Il ne faut pas imaginer cependant que toutes les substances aromatiques soient absolument dépouillées de leur partie odorante par une décoction même très-longue, comme beaucoup de chimistes & de médecins le pensent, sur la foi de Boerhaave & de la théorie. Il est sûr au contraire que la plûpart des substances qui ont beaucoup d’odeur, telles que presque tous les aromates exotiques, la racine de benoite, celle d’iris de Florence, & même quelques fleurs, comme les fleurs d’orange, les œillets, conservent beaucoup d’odeur après de longues décoctions : mais malgré cette observation, il est toujours très-bon de s’en tenir à la loi générale. L’excès de circonspection n’est point blâmable dans ce cas. Le principe aromatique résidant dans un véhicule que l’on doit regarder comme sans vertu, c’est-à-dire, dans de l’eau, étant aussi concentrée qu’il est possible dans ce véhicule, en un mot, réduit sous la forme d’eau distillée très-chargée (voyez Eau distillée), & qui peut être regardé dans cet état comme pur, relativement à ses effets sur le corps humain ; ce principe, dis-je, a une saveur générique vive, active, irritante, qui le rend propre à exercer la vertu cordiale, stomachique, fortifiante, nervine, sudorifique : c’est principalement pour ces vertus connues qu’on ordonne les différentes eaux distillées aromatiques ; mais outre cela, quelques-uns de ces princi-