Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 11.djvu/222

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mément à l’âge & au genre de vie de chacun en particulier. On apprend par expérience ce qui est utile ou nuisible, dans la maniere dont on se nourrit. C’est d’après cette connoissance réfléchie, à juvantibus & lædentibus, que l’on peut devenir le médecin de soi-même, non pour s’administrer convenablement des remedes, mais pour se garantir des maladies qui peuvent provenir du défaut de régime approprié.

On peut juger que l’on n’a pris que la nourriture convenable, lorsqu’après le repas on ne se sent point le corps appesanti ; & que l’on se trouve au contraire agile, & relevé de l’abbatement que l’on éprouve après un certain tems par la privation des alimens.

La sobriété est sans doute un des moyens qui contribuent le plus à conserver saine l’économie animale, & à prolonger la vie autant qu’il est possible, comme l’a très-bien établi le fameux vieillard Louis Cornaro, dans sa dissertation della vita sobria. Mais il ne s’ensuit pas qu’il convienne à tous les tempéramens de manger peu ; ce qui est excès pour l’un ne l’est pas l’autre.

Un homme robuste qui fait beaucoup d’exercice, & qui travaille beaucoup & consomme beaucoup de sa force, ne peut se borner à une petite quantité d’alimens ; il faut que les réparations soient proportionnées aux déperditions, autrement il seroit bientôt exténué : les maux qui viennent d’inanition, sont plus difficiles à guérir que ceux que produit la replétion.

Le peu de nourriture ne convient qu’aux personnes d’une constitution foible, délicate ; mais l’excès ne convient à personne. Sanctorius, Aphorism. 54. libr. I. observe très-bien, que, qui mange plus qu’il ne faut, se nourrit moins qu’il ne faut.

Les gens riches, d’une vie sédentaire, qui emploient tout l’art imaginable pour s’exciter à manger au delà de l’appétit, du besoin naturel, ont ordinairement une vieillesse précoce ; la variété & les assaisonnemens des différentes choses destinées à la nourriture, comme les ragoûts, sont en général très-pernicieux à la santé, par la disposition qu’ils donnent à manger avec excès, autant que par la corruption qu’ils portent dans les humeurs : les alimens les plus simples sont les meilleurs pour toute sorte de tempéramens. Voyez Régime.

Au reste, pour tout ce qui regarde les alimens considérés comme causes de maladies, voyez Aliment.

La boisson la plus naturelle est celle qui est commune à tous les animaux pour faire cesser le sentiment du besoin qu’on appelle soif, & pour fournir la matiere d’un mélange de fluide aux alimens solides, & celle du véhicule principal de la masse des humeurs. Voyez Soif. C’est l’eau douce, la plus légere, bien battue, sans odeur & sans goût, au degré de la chaleur actuelle de l’air, qui est le fluide le plus propre à satisfaire à ces différens besoins : elle étoit regardée par les Grecs & les Romains, non-seulement comme un moyen très-propre à maintenir la santé, à dépurer le sang, à fortifier le corps, mais encore comme un remede presqu’universel. Hérodote paroît attribuer la longue vie extraordinaire des Ethiopiens (qu’il appelloit par cette raison macrobes) principalement à l’usage qu’ils faisoient d’une eau si légere que le bois ne pouvoit se soutenir sur sa surface. Voyez Eau (Diete). (Diete.)

L’eau est donc bien préférable à toute boisson spiritueuse, qui par sa qualité stimulante, échauffante, ne peut que disposer aux maladies aiguës ; aussi on ne peut pas disconvenir qu’elle doit nuire dans tous les cas où une boisson cordiale est né-

cessaire ; nécessité qui n’a jamais lieu dans la bonne

santé : mais par l’habitude que l’on a contractée dès l’enfance, de faire usage des liqueurs fermentées, les humeurs prennent une certaine énergie, sans laquelle les solides ne seroient pas suffisamment excités à faire leurs fonctions. C’est un aiguillon, qui devient nécessaire à l’économie animale pour mettre suffisamment en jeu la faculté qui paroît être le principe de toutes les actions du corps (l’irritabilité), voyez Irritabilité. Mais lorsque la partie spiritueuse qui forme cet aiguillon, est trop dominante dans la boisson de liqueur fermentée, ou qu’elle est prise en plus grande quantité qu’à l’ordinaire, elle fait d’abord naître plus de gaieté ; elle rend l’esprit plus vif, & dispose à exprimer mieux & avec plus de facilité, les idées qu’elle réveille, lorsque les effets de la boisson ne sont pas plus forts ; il est bon, selon le conseil de Celse, de s’y livrer quelquefois à ce point-là.

Mais si l’excès est plus considérable, les idées se troublent, le délire suit ; le corps devenu chancelant sur ses membres, peut à peine se soutenir, & l’abattement général des forces qui s’ensuit est ordinairement suivi du sommeil le plus profond, quelquefois avec danger qu’il ne se change en apoplexie, & de laisser quelque partie affectée de paralysie ; ou à la longue, lorsque l’on retombe souvent en cet état, de dissoudre le sang & de disposer à la cachexie, à l’hydropisie, & à une fin prématurée. Voyez Vin, Diete, Ivresse, maladie.

Cependant il faut observer, par rapport à la boisson en général, qu’il est plus nuisible à l’économie animale de boire trop peu que de boire avec excès, sur-tout pour ceux qui ont le ventre paresseux, parce que c’est la boisson qui, comme on vient de le dire, fournit la plus grande partie du dissolvant des alimens dans l’ouvrage de la digestion ; qui constitue le principal véhicule des humeurs pour la circulation, les sécrétions & les excrétions : c’est pourquoi il est si important que la matiere de la boisson ne soit pas de nature à nuire aisément par sa quantité.

Ainsi, l’usage de l’eau pure ou des liqueurs fermentées bien trempées, c’est-à-dire mêlées avec environ les deux tiers d’eau, sur-tout en été, est la boisson la plus convenable, qu’il vaut mieux répéter souvent dans le cours d’un repas, en petite quantité à-la-fois, selon que le pratiquoit Socrate, que de boire à grands coups. Il faut arroser les alimens dans l’estomac à mesure que l’on mange, mais ne pas les inonder. La boisson doit être moins abondante en hiver, & l’on peut alors boire son vin moins trempé, & même en boire de pur lorsqu’il est bon, mais à petite dose. C’est à tort que l’on le recommande ainsi aux vieillards, quoique dans l’hiver de la vie ; ils n’ont pas besoin d’ajouter aux causes qui tendent continuellement à les dessécher de plus en plus : ainsi le vin trempé leur est toujours plus convenable.

On doit dans tous les tems de la vie éviter de boire hors des repas, sur-tout des liqueurs fermentées, pour ne pas troubler la digestion, & ne pas l’exposer aux pernicieux effets de l’ivresse, que l’on éprouve bien plus facilement lorsqu’on boit sans manger.

Les liqueurs fortes, c’est-à-dire toutes celles qui sont principalement composées d’esprit-de-vin, doivent être regardées comme de délicieux poisons pour ceux qui en font un grand usage : il est rare de voir que quelqu’un qui s’est habitué dans sa jeunesse à cette boisson & qui en continue l’usage, passe l’âge de cinquante ans.

III. Du mouvement & du repos. Les effets du mou-