L’Encyclopédie/1re édition/SOIF

◄  SOIERIE
SOIGNIES  ►

SOIF, s. f. (Physiolog.) c’est l’appétit des fluides ; il ne faut point croire que ce qui est la source de la soif soit aussi la source de la faim ; souvent cette derniere sensation n’est pas accompagnée de la soif, & souvent on l’éprouve dans le tems qu’on a le moins d’appétit. Elle a son siége non-seulement dans l’estomac, mais dans l’ésophage, dans le pharynx & dans toute la bouche.

Son origine n’est pas facile à développer ; mais en général il paroît que la soif provient d’une certaine chaleur qui s’excite dans l’estomac par différentes causes ; les principales sont les alimens chauds, les vins spiritueux, les liqueurs fortes, les assaisonnemens aromatiques, le violent exercice, la chaleur de la saison, le crachement excessif des gens pituiteux, phthisiques, mélancholiques, &c.

Si donc 1°. le gosier n’est pas humecté, la soif se fait sentir, parce que les vaisseaux étant secs se retrécissent, & augmentent par-là le mouvement du sang ; c’est à cause de cette sécheresse, que les phthisiques ont la paume de la main fort chaude après le repas.

2°. S’il y a des matieres gluantes dans l’estomac, la soif peut survenir, parce que ces matieres qui ont de la viscosité, sont un effet de la chaleur, & quelquefois elles supposent un sang privé de sa lymphe ; quand le sang n’a pas d’humeur aqueuse, il est épais, & alors il ne peut pas passer librement par les vaisseaux capillaires, il gonfle donc les arteres qui doivent en conséquence battre plus fréquemment & plus fortement, ce qui ne sauroit arriver que la chaleur ne s’augmente.

3°. Les sels, les matieres âcres, ou les corps qui contiennent beaucoup de feu doivent causer la soif, car toutes ces substances mettent en mouvement les parties solides, & y excitent par conséquent de la chaleur.

4°. Dans les fievres, la soif se fait sentir avec violence, la raison n’est pas difficile à trouver ; les fievres ne sont causées que par un excès de mouvement, les arteres étant bouchées se gonflent, il faut donc qu’elles battent plus fortement & plus fréquemment, & que par-là il survienne plus de chaleur.

5°. Dans l’hydropisie, l’on sent une soif violente, cela vient de ce que la partie aqueuse du sang reste dans l’abdomen ; il n’y aura donc qu’un sang épais dans les autres parties, cette épaisseur causera nécessairement de la chaleur ; d’ailleurs l’abdomen étant rempli d’eau, les vaisseaux sanguins sont fort comprimés, le sang coule donc en plus grande quantité vers les parties supérieures ; de-là il suit que le mouvement & la chaleur y sont plus considérables, & qu’il arrive souvent des hémorrhagies aux hydropiques.

6°. On voit par ce détail que c’est un mauvais signe, comme dit Hippocrate, que de n’avoir pas soif dans les maladies fort aiguës ; cela marque que les organes deviennent insensibles, & que la mort n’est pas éloignée. L’origine de ce dégoût pour les fluides, vient du resserrement des vaisseaux lactés ; il faudroit alors employer quelque liquide très-humectant, auquel le malade se porteroit plus volontiers.

La cause finale de la soif, est de nous avertir des vices du sang, de sa diverse acrimonie, de son épaississement, de son inflammation ; du desséchement du pharynx, de l’ésophage & du ventricule, desséchement qui arrive toutes les fois que les glandes cessent de filtrer un suc doux & muqueux.

Entre les quadrupedes qui peuvent le plus supporter la soif, on n’en connoît point qui jouissent de cet avantage comme le chameau ; car même dans les pays brûlans, ils supportent la soif des semaines entieres. Cet animal a dans le second de ses quatre ventricules plusieurs cavités faites comme des sacs, qui selon quelques physiciens pourroient être les réservoirs où Pline dit que les chameaux gardent fort long-tems l’eau qu’ils boivent en quantité quand ils en trouvent dans les déserts.

Ce qu’il y a de plus certain, c’est que l’homme n’a pas le même bonheur, & que quand il ne peut satisfaire à ce besoin pressant, cet état est suivi au bout de quelques jours de l’inflammation du ventricule, de la fievre, du resserrement de la gorge, & de la mort. C’est un tourment inexprimable, par lequel on recherche dans le secours de l’eau ou de toute autre liquide, le remede au mal qu’on endure ; on donneroit alors un royaume pour un verre d’eau, comme fit Lysimaque.

Il n’y a, dit l’amiral Anson, dans son voyage de la mer du Sud, que ceux qui ont souffert long-tems la soif, & qui peuvent se rappeller l’effet que les seules idées de sources & de ruisseaux ont produit alors en eux, qui soient en état de juger de l’émotion avec laquelle nous regardâmes une grande cascade d’une eau transparente, qui tomboit d’un rocher haut de près de cent piés dans la mer, à une petite distance de notre vaisseau. Ceux de nos malades qui n’étoient point à l’extrémité, quoiqu’alités depuis long-tems, se servirent du peu de force qui leur restoit, & se traînerent sur le tillac pour jouir d’un spectacle si ravissant. (D. J.)

Soif, (Lang. franç.) ce mot au figuré désigne une grande passion, un desir vif, inquiet, & ardent de quelque chose ; il s’emploie dans le style noble, la soif de l’or, la soif des honneurs, la soif de la gloire. L’Evangile dit, que ceux qui ont soif de la justice sont bienheureux ; c’est une belle idée. La poésie s’est enrichie de ce mot.

Cette soif de régner que rien ne peut éteindre

Rac. Iphig. act. 4. sc. 4.

Perfides, contentez votre soif sanguinaire.

Iphig. act. 5. sc. 4.

Vous brûlez d’une soif qu’on ne peut étancher.

Despreaux.

(D. J.)