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autre avec raison suffisante. Sans cette espece de lutte, il ne pourroit y avoir d’action ; car comment une force agiroit-elle sur ce qui ne lui oppose aucune résistance. Quand je tire un corps attaché à une corde, quelque aisément que je le tire, la corde est tendue également des deux côtés ; ce qui marque l’égalité de la réaction : & si cette corde n’étoit pas tendue, je ne pourrois tirer ce corps. Ceux qui demandent comment pouvez-vous faire avancer un corps, si vous êtes tiré par lui avec une force égale à celle que vous employez pour le tirer ; ceux, dis-je, qui font cette objection, ne remarquent pas que lorsque je tire ce corps, & que je le fais avancer, je n’emploie pas toute ma force à vaincre la résistance qu’il m’oppose ; mais lorsque je l’ai surmontée, il m’en reste encore une partie que j’emploie à avancer moi-même : & ce corps avance par la force que je lui ai communiquée, & que j’ai employée à surmonter sa résistance. Ainsi quoique les forces soient inégales, l’action & la réaction sont toujours égales. C’est cette égalité qui produit tous les mouvemens. Voyez Loi de la nature au mot Nature.

6°. La quantité de mouvement. La quantité dans un instant infiniment petit, est proportionnelle à la masse & à la vitesse du corps mû ; ensorte que le même corps a plus de mouvement quand il se meut plus vite, & que de deux corps dont la vitesse est égale, celui qui a le plus de masse a le plus de mouvement ; car le mouvement imprimé à un corps quelconque, peut être conçu divisé en autant de parties que ce corps contient de parties de matiere propre, & la force motrice appartient à chacune de ces parties, qui participent également au mouvement de ce corps en raison directe de leur grandeur. Ainsi le mouvement du tout est le résultat de toutes les parties, & par conséquent le mouvement est double dans un corps dont la masse est double de celle d’un autre, lorsque ces corps se meuvent avec la même vitesse.

7°. La direction du mouvement. Il n’y a point de mouvement sans une détermination particuliere ; ainsi tout mobile qui se meut tend vers quelque point. Lorsqu’un corps qui se meut n’obéit qu’à une seule force qui le dirige vers un seul point, ce corps se meut d’un mouvement simple. Le mouvement composé est celui dans lequel le mobile obéit à plusieurs forces : nous en parlerons plus bas. Dans le mouvement simple, la ligne droite tirée du mobile au point vers lequel il tend, représente la direction du mouvement de ce corps, & si ce corps se meut, il parcourra certainement cette ligne. Ainsi tout corps qui se meut d’un mouvement simple, décrit pendant qu’il se meut une ligne droite. M. Formey.

Le mouvement peut donc être regardé comme une espece de quantité, & sa quantité ou sa grandeur, qu’on appelle aussi quelquefois moment, s’estime 1°. par la longueur de la ligne que le mobile décrit ; ainsi un corps parcourant cent piés, la quantité de mouvement est plus grande que s’il n’en parcouroit que dix : 2°. par la quantité de matiere qui se meut ensemble ou en même tems, c’est-à-dire non par le volume ou l’étendue solide du corps, mais par sa masse ou son poids ; l’air & d’autres matieres subtiles, dont les pores du corps sont remplis, n’entrant point ici en ligne de compte : ainsi un corps de deux piés cubiques parcourant une ligne de cent piés, sa quantité de mouvement sera plus grande que celle d’un corps d’un pié cubique qui parcourra la même ligne ; car le mouvement que l’un des deux a en entier se trouve dans la moitié de l’autre, & le mouvement d’un corps total est la somme du mouvement de ses parties.

Il s’ensuit de-là qu’afin que deux corps aient des mouvemens ou des momens égaux, il faut que les lignes qu’ils parcourront soient en raison réciproque

de leur masse, c’est-à-dire que si l’un de ces corps a trois fois plus de quantité de matiere que l’autre, la ligne qu’il parcourra doit être le tiers de la ligne qui sera parcourue par l’autre. C’est ainsi que deux corps attachés aux deux extrémités d’une balance ou d’un levier, & qui auront des masses en raison réciproque de leur distance du point d’appui, décriront s’ils viennent à se mouvoir, des lignes en raison réciproque de leur masse. Voyez Levier & Puissances méchaniques.

Par exemple si le corps A (Pl. de Méchan. fig. 30.) a trois fois plus de masse que B, & que chacun de ces corps soit attaché respectivement aux deux extrémités du levier AC, dont l’appui ou le point fixe est en C, de maniere que la distance BC soit triple de la distance CA, ce levier ne pourroit se mouvoir d’aucun côté sans que l’espace BE, que le plus petit corps parcourroit, fût triple de l’espace AD, que le plus grand parcourroit de son côté ; de sorte qu’ils ne pourroient se mouvoir qu’avec des forces égales. Or il ne sauroit y avoir de raison qui fît que le corps A tendant en bas par exemple, avec quatre degrés de mouvement, élevât le corps B ; plûtôt que le corps B tendant également en enbas avec ces quatre degrés de mouvement, n’éleveroit le corps A : on conclut donc avec raison qu’ils resteront en équilibre, & l’on peut déduire de ce principe toute la science de la méchanique.

On demande si la quantité de mouvement est toujours la même. Les Cartésiens soutiennent que le Créateur a imprimé d’abord aux corps une certaine quantité de mouvement, avec cette loi qu’il ne s’en perdroit aucune partie dans aucun corps particulier qui ne passât dans d’autres portions de matiere ; & ils concluent de-là que si un mobile en frappe un autre, le premier ne perdra de son mouvement que ce qu’il en communiquera au dernier. Voyez ce que nous avons dit sur ce sujet à l’article Percussion.

M. Newton renverse ce principe en ces termes. Les différentes compositions qu’on peut faire de deux mouvemens (voyez Composition), prouve invinciblement qu’il n’y a point toujours la même quantité de mouvement dans le monde ; car si nous supposons que deux boules jointes l’une à l’autre par un fil, tournent d’un mouvement uniforme autour de leur centre commun de gravité, & que ce centre soit emporté en même tems uniformément dans une droite tirée sur le plan de leur mouvement circulaire, la somme du mouvement des deux boules sera plus grande lorsque la ligne qui les joint sera perpendiculaire à la direction du centre, que lorsque cette ligne sera dans la direction même du centre, d’où il paroit que le mouvement peut & être produit & se perdre ; de plus, la tenacité des corps fluides & le frottement de leurs parties, ainsi que la foiblesse de leur force élastique, donne lieu de croire que la nature tend plûtôt à la destruction qu’à la production du mouvement ; aussi est-il vrai que la quantité de mouvement diminue toujours, car les corps qui sont ou si parfaitement durs, ou si mols, qu’ils n’ont point de force élastique, ne rejailliront pas après le choc, leur seule impénétrabilité les empêche de continuer à se mouvoir ; & si deux corps de cette espece égaux l’un à l’autre se rencontroient dans le vuide avec des vitesses égales, les lois du mouvement prouvent qu’ils devroient s’arrêter dans quelqu’endroit que ce fut, & qu’ils y perdroient leur mouvement ; ainsi des corps égaux, & qui ont des mouvemens opposés, ne peuvent recevoir un grand mouvement après le choc, que de la seule force élastique ; & s’ils en ont assez pour le faire rejaillir avec de la force avec laquelle ils se sont rencontrés, ils perdront en ces différens cas de leur mouvement. C’est aussi ce que les expériences confirment ; car si on laisse tom-