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sans que leur être propre spécifique périsse, au lieu que l’aggregé étant divisé dans ses parties intégrantes & primitives, chacune de ces parties est encore un corps pareil à la masse dont elle est détachée. C’est dans ce dernier sens que la plus petite partie d’or est toujours de l’or ; mais nul des principes chimiques de la plus petite partie d’or, de l’or individu, du mixte appellé or, n’est de l’or ; nul assemblage de certains principes de l’or, moins un, n’est de l’or ; de même que nulle unité, concourant à la formation du nombre six, n’est six ; ni nulle somme de ces unités, moins une, ou moins plusieurs, n’est six.

2°. La mixtion ne se fait que par juxta-position, que par adhésion superficiaire de principes, comme l’aggrégation se fait par pure adhésion de parties intégrantes d’individus chimiques. On n’a plus heureusement besoin de combattre les entrelacemens, les introsusceptions, les crochets, les spyres & les autres chimeres des Physiciens & des Chimistes du dernier siecle.

3°. La mixtion n’est exercée, ou n’a lieu, qu’entre les parties solitaires, uniques, individuelles des principes, fit per minima : elle suppose, elle demande la destruction, ou du moins le très-grand relâchement de l’aggrégation, tel que celui qui est propre aux liquides, aux substances que les Chimistes appellent dissoutes ou résoutes, solutæ ; & voilà d’où naît l’axiome chimique, corpora non agunt, c’est-à-dire, ne contractent point la mixtion chimique, nisi sint soluta.

4°. La mixtion est un acte naturel spontané ; l’art ne la produit point, n’ajoute rien à l’énergie du principe naturel dont elle dépend, n’excite point la force qui la produit ; il ne fait que placer les corps miscibles dans la sphere d’activité de cette force ; sphere qui est très-bornée, qui ne s’étend point à un espace sensible. Ainsi, non seulement les mixtes naturels, mais même les mixtes qui peuvent être appellés à quelques égards artificiels, savoir, ceux qui sont dûs à la dissolution chimique, ou à l’action menstruelle, déterminée par des opérations artificielles, voyez Menstrue, Chimie ; tous ces corps, dis-je, sont à la rigueur des produits naturels, des êtres dûs immédiatement à un principe absolument indépendant de l’art humain. Je sens bien qu’on pourroit chicaner sur cette maniere d’envisager le principe immédiat de la mixtion, & dire que tous les principes des changemens que les hommes appellent artificiels, sont pourtant naturels à la rigueur ; mais cela ne seroit pas exact : des principes naturels concourent, il est vrai, aux changemens opérés par les hommes, mais ils y concourent plus ou moins prochainement ; & ce concours plus ou moins prochain, plus ou moins médiat, suffit ici pour établir des différences essentielles. En un mot, l’acide & l’alkali qui, lorsqu’ils sont mis à portée l’un de l’autre, ex intentione artificis, s’unissent pour former le nitre, sont joints par un lien qui peut être plus exactement, plus proprement appellé naturel, que celui qui assujettit les douves d’un tonneau, au moyen des cerceaux, &c.

5°. L’acte de la mixtion est soudain & momentané : mixtio fit in instanti, dit Stahl, dans son specimen Becherianum, part. I. sect. 1. membre. 1. §. xij. Ceci est une suite nécessaire du dogme précédent ; car non-seulement l’observation, les faits, établissent cette vérité ; mais elle est susceptible, dans la considération abstraite, de la plus exacte démonstration. En effet, dès que la mixtion s’opere par une force inhérente, ou toûjours subsistante dans les corps ; dès que des corps se trouvent placés dans la sphere d’activité de cette force (cette sphere étant sur-tout circonscrite dans les termes de la plus gran-

de vicinité possible, peut-être du contact), & dès

que tous les obstacles sont écartés ou vaincus, la mixtion doit arriver dans un instant, par un acte simple, dans lequel on ne sauroit concevoir de la durée ; en un mot, être très-voisin, ou se toucher, est la même chose dans ce cas, que subir la mixtion.

6°. La cohésion mixtive est très-intime ; le nœud qui retient les principes des mixtes est très-fort : il résiste à toutes les puissances méchaniques ; nul coin, nul lévier, nul choc, nulle direction de mouvement, ne peut le rompre : & même le plus universel des agens chimiques, le feu, & toute l’énergie connue de son action dissociante, agit en vain sur la mixtion la plus parfaite, sur un certain ordre de corps chimiques composés, dont nous parlerons dans la suite de cet article. A plus forte raison, le degré le plus foible de cette action, savoir la raréfaction par sa chaleur ne porte-t-elle point absolument sur la mixtion, même la plus imparfaite. Le moyen le plus commun, le plus généralement efficace que la nature & l’art employent pour surmonter cette force, c’est un plus grand degré de cette même force. Certains corps combinés chimiquement, ne se séparent parfaitement & absolument, que lorsque chacun ou au-moins l’un d’entre eux, passe dans une nouvelle combinaison. Cette nouvelle combinaison est l’effet propre du phénomene que les Chimistes appellent précipitation ; & ce plus haut degré de force mixtive existe entre deux substances, dont l’une est nue ou libre, (voyez Nud, Chimie) & l’autre unie ou combinée, par l’exercice duquel cette derniere est dégagée de ses anciens liens, & en subit de nouveaux ; ce plus haut degré de force, dis-je, est connu dans l’art sous les noms de plus grand rapport, & de plus grande affinité. Voyez Rapport, Chimie. Voyez aussi a l’art. Feu, Chimie, & à l’art. Distillation, quels sont les corps chimiques composés dont le feu seul peut désunir les principes, & quels sont ceux contre la mixtion desquels cet agent est impuissant.

Ce lien, ce nœud, cette cohésion mixtive, est très-supérieure dans le plus grand nombre de cas à la cohésion aggrégative, qui est l’attraction de cohésion des Physiciens. Cette vérité est prouvée, & en ce que l’action dissociante du feu se porte efficacement sur tous les aggrégés chimiques ; & en ce que dans les cas les plus ordinaires & les plus nombreux, les parties intégrantes individuelles des aggrégés abandonnent, deserunt, leur association aggrégative, pour se porter violemment, ruere, à la mixtion, ou à l’association avec des principes divers, comme cela arrive dans presque toutes les dissolutions (voyez Menstrue, Chimie), & enfin en ce que les puissances méchaniques surmontent, quelquefois même avec beaucoup de facilité, la cohésion aggrégative.

Il est tout commun aussi de voir dans les opérations chimiques les agens chimiques très-énergiques, & principalement le feu rompre l’aggrégation d’un sujet chimique composé sans agir sur sa mixtion. Toutes les opérations chimiques proprement dites, que nous avons appellé disgrégatives, & toutes celles que nous avons appellé mixtives ou combinantes, sont dans ce cas. Voyez Opérations chimiques.

Il arrive cependant quelquefois que certains menstrues obéissent davantage à la force de cohésion aggrégative, qu’à la force de miscibilité : par exemple, l’esprit de nitre concentré à un certain point, n’agit pas sur l’argent par cette raison ; voyez Menstrue, Chimie : mais ces cas sont rares.

7°. Un caractere essentiel de la mixtion chimique, du-moins la plus parfaite, c’est que les propriétés particulieres de chaque principe qui concourt à la