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plus difficiles à bien faire, & ceux dans lesquels on a le moins réussi. Deux causes y contribuent : d’une part, la réalité de cette difficulté intrinseque, dont on va voir les raisons dans un moment ; & de l’autre, une apparence toute contraire, qui est pour les plus novices un encouragement à s’en mêler, & pour les plus habiles, un véritable piége qui les fait échouer.

Il faut que ces élémens soient réduits aux notions les plus générales, & au nécessaire le plus étroit, parce que, comme le remarque très-judicieusement M. Pluche, il faut que les jeunes commençans voient la fin d’une tâche qui n’est pas de nature à les réjouir, & qu’ils n’en seront que plus disposés à apprendre le tout parfaitement. Ces notions cependant doivent être en assez grande quantité pour servir de fondement à toute la science grammaticale, de solution à toutes les difficultés de l’analyse, d’explication à toutes les irrégularités apparentes ; quoiqu’il faille tout-à-fois les rédiger avec assez de précision, de justesse, & de vérité, pour en déduire facilement & avec clarté, en tems & lieu, les développemens convenables, & les applications nécessaires, sans surcharger ni dégoûter les commençans.

L’exposition de ces élémens doit être claire & débarrassée de tout raisonnement abstrait ou métaphysique, parce qu’il n’y a que des esprits déja formés & vigoureux, qui puissent en atteindre la hauteur, en saisir le fil, en suivre l’enchaînement, & qu’il s’agit ici de se mettre à la portée des enfans, esprits encore foibles & délicats, qu’il faut soutenir dans leur marche, & conduire au but par une rampe douce & presque insensible. Cependant l’ouvrage doit être le fruit d’une métaphysique profonde, & d’une logique rigoureuse, sinon les idées fondamentales auront été mal vûes ; les définitions seront obscures ou diffuses, ou fausses ; les principes seront mal digérés ou mal présentés ; on aura omis des choses essentielles, ou l’on en aura introduit de superflues ; l’ensemble n’aura pas le mérite de l’ordre, qui répand la lumiere sur toutes les parties, en en fixant la correspondance, qui les fait retenir l’une par l’autre en les enchaînant, qui le, féconde en en facilitant l’application. Peut-être même faut-il à l’auteur une dose de métaphysique d’autant plus forte, que les enfans ne doivent pas en trouver la moindre teinte dans son ouvrage.

Ce n’est pas assez pour réussir dans ce genre de travail, d’avoir vû les principes un à un ; il faut les avoir vûs en corps, & les avoir comparés. Ce n’est pas assez de les avoir envisagés dans un état d’abstraction, & d’avoir, si l’on veut, imaginé le système le plus parfait en apparence ; il faut avoir essayé le tout par la pratique : la théorie ne montre les principes que dans un état de mort ; c’est la pratique qui les vivifie en quelque sorte ; c’est l’expérience qui les justifie. Il ne faut donc regarder les principes grammaticaux comme certains, comme nécessaires, comme admissibles dans nos élémens, qu’après s’être assuré qu’en effet ils fondent les usages qui y ont trait, & qu’ils doivent servir à les expliquer.

Afin d’indiquer à-peu-près l’espece de principes qui peut convenir à la méthode analytique dont je conseille l’usage, qu’il me soit permis d’insérer ici un essai d’analyse, conformément aux vûes que j’insinue dans cet article, & dans l’article Inversion, & dont on trouvera les principes répandus & développés en divers endroits de cet ouvrage. On y verra l’application d’une méthode que j’ai pratiquée avec succès, & que toutes sortes de raisons me portent à croire la meilleure que l’on puisse suivre à l’égard des langues transpositives ; je ne la propose cependant au public que comme une matiere qui

peut donner lieu à des expériences intéressantes pour la religion & pour la patrie, puisqu’elles tendront à perfectionner une partie nécessaire de l’éducation.

Quelques lecteurs délicats trouveront peut-être mauvais que j’ose les occuper de pareilles minuties, & d’observations pédantesques : mais ceux qui peuvent être dans ces dispositions, n’ont pas même entamé la lecture de cet article. Je puis continuer sans conséquence pour eux ; les autres qui seroient venus jusqu’ici, & qui seroient insensibles au motif que je viens de leur présenter, je les plains de cette insensibilité ; qu’ils me plaignent, qu’ils me blâment, s’ils veulent, de celle que j’ai pour leur délicatesse ; mais qu’ils ne s’offensent point, si traitant un point de grammaire, j’emprunte le langage qui y convient, & descens dans un détail minutieux, si l’on veut, mais important, puisqu’il est fondamental.

Je reprens le discours de la mere de Sp. Carvilius à son fils, dont j’avois entamé l’explication (article Inversion) d’après les principes de M. Pluche.

Quin prodis, mi Spuri, ut quotiescunque gradum facies,
Toties tibi tuarum virtutum veniat in mentem.

Quin est un adverbe conjonctif & négatif. Quin, par apocope, pour quine, qui est composé de l’ablatif commun quî, & de la négation ne ; & cet ablatif quî est le complément de la préposition sous-entendue pro pour ; ainsi quin est équivalent à pro quî ne, pour quoi ne ou ne pas ; quin est donc un adverbe ; puisqu’il équivaut à la préposition pro avec son complément quî ; & cet adverbe est lui-même le complément circonstanciel de cause du verbe prodis. Voyez Régime. Quin est conjonctif, puisqu’il renferme dans sa signification le mot conjonctif qui ; & en cette qualité il sert à joindre la proposition incidente dont il s’agit (voyez Incidente) avec un antécédent qui est ici sous-entendu, & dont nous ferons la recherche en tems & lieu : enfin quin est négatif, puisqu’il renferme encore dans sa signification la négation ne qui tombe ici sur prodis.

Prodis (tu vas publiquement) est à la seconde personne du singulier du présent indéfini (voyez Présent) de l’indicatif du verbe prodire, prodeo, is, ivi, & par syncope, ii, itum, verbe absolu actif, (voyez Verbe) & irrégulier, de la quatrieme conjugaison : ce verbe est composé du verbe ire, aller, & de la particule pro, qui dans la composition signifie publiquement ou en public, parce qu’on suppose à la préposition pro le complément ore omnium, pro ore omnium (devant la face de tous) le d a été inséré entre les deux racines par euphonie (voyez Euphonie) pour empêcher l’hiatus : prodis est à la seconde personne du singulier, pour s’accorder en nombre & en personne avec son sujet naturel, mi Spuri. Voyez Sujet.

Mi (mon) est au vocatif singulier masculin de meus, a, eum, adjectif hétéroclite, de la premiere déclinaison. Voyez Paradigme. Mi est au vocatif singulier masculin, pour s’accorder en cas, en nombre & en genre avec le nom propre Spuri, auquel il a un rapport d’identité. Voyez Concordance & Identité.

Spuri (Spurius) est au vocatif singulier de Spurius, ii, nom propre, masculin & hétéroclite, de la deuxieme déclinaison : Spuri est au vocatif, parce que c’est le sujet grammatical de la seconde personne, ou auquel le discours est adressé. Voyez Vocatif.

Mi Spuri (mon Spurius) est le sujet logique de la seconde personne.

Ut (que) est une conjonction déterminative, dont l’office est ici de réunir à l’antécédent sous-entendu hanc finem, la proposition incidente déterminative, quotiescumque gradum facies, toties tibi tuarum virtutum veniat in mentem.