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qui n’ont point une consistence solide. On trouve des prairies tremblantes au-dessus de tous les endroits qui renferment de la tourbe. Voyez l’art. Tourbe.

7°. La grette de Notre-Dame de la Balme ; elle ressemble à toutes les autres grottes, étant remplie de stalactites & de congélations, ou concrétions pierreuses. On dit que du tems de François I. il y avoit un abîme au fond de cette grotte, dans lequel l’eau d’une riviere se perdoit avec un bruit effrayant ; aujourd’hui ces phénomenes ont disparu.

Aux merveilles qui viennent d’être décrites, quelques auteurs en ajoutent encore d’autres ; telles sont la fontaine vineuse, qui est une source d’une eau minérale qui se trouve à Saint-Pierre d’Argenson ; elle a, dit-on, un goût vineux, & est un remede assuré contre la fievre ; ce goût aigrelet est commun à un grand nombre d’eaux minérales acidules. Le ruisseau de Barberon est encore regardé comme une merveille du Dauphiné ; par la quantité de ses eaux on juge de la fertilité de l’année. Enfin on peut mettre encore au même rang les eaux thermales de la Motte, qui sont dans le Graisivaudan, à cinq lieues de Grenoble sur le bord du Drac ; elles sont, dit-on, très-efficaces contre les paralysies & les rhumatismes. (—)

Merveille du Perou, voyez Belle-de-nuit.

Merveille, Pomme de (Botan. exot.) c’est ainsi qu’on nomme en françois le fruit du genre de plante étrangere que les Botanistes appellent momordica. Voyez Momordica.

MERVEILLEUX, adj. (Littérat.) terme consacré à la poésie épique, par lequel on entend certaines fictions hardies, mais cependant vraissemblables, qui étant hors du cercle des idées communes, étonnent l’esprit. Telle est l’intervention des divinités du Paganisme dans les poëmes d’Homere & de Virgile. Tels sont les êtres métaphysiques personnifiés dans les écrits des modernes, comme la Discorde, l’Amour, le Fanatisme, &c. C’est ce qu’on appelle autrement machines. Voyez Machines.

Nous avons dit sous ce mot que même dans le merveilleux, le vraissemblable a ses bornes, & que le merveilleux des anciens ne conviendroit peut-être pas dans un poëme moderne. Nous n’examinerons ni l’un ni l’autre de ces points.

1°. Il y a dans le merveilleux une certaine discrétion à garder, & des convenances à observer ; car ce merveilleux varie selon les tems, ce qui paroissoit tel aux Grecs & aux Romains ne l’est plus pour nous. Minerve & Junon, Mars & Venus, qui jouent de si grands rôles dans l’Iliade & dans l’Enéide, ne seroient aujourd’hui dans un poëme épique que des noms sans réalité, auxquels le lecteur n’attacheroit aucune idée distincte, parce qu’il est né dans une religion toute contraire, ou élevé dans des principes tout différens. « L’Iliade est pleine de dieux & de combats, dit M. de Voltaire dans son essai sur la poésie épique ; ces sujets plaisent naturellement aux hommes : ils aiment ce qui leur paroît terrible, ils sont comme les enfans qui écoutent avidement ces contes de sorciers qui les effraient. Il y a des fables pour tout âge ; il n’y a point de nation qui n’ait eu les siennes ». Voilà sans doute une des causes du plaisir que cause le merveilleux ; mais pour le faire adopter, tout dépend du choix, de l’usage & de l’application que le poëte fera des idées reçues dans son siecle & dans sa nation, pour imaginer ces fictions qui frappent, qui étonnent & qui plaisent ; ce qui suppose également que ce merveilleux ne doit point choquer la vraissemblance. Des exemples vont éclaircir ceci : qu’Homere dans l’Iliade fasse parler des chevaux, qu’il attribue à des trépiés & à des statues d’or la vertu de se mouvoir, & de se rendre toutes seules à l’assemblée des dieux ; que dans Virgile des monstres hideux & dégoutans viennent cor-

rompre les mets de la troupe d’Enée ; que dans Milton les anges rebelles s’amusent à bâtir un palais imaginaire

dans le moment qu’ils doivent être uniquement occupés de leur vengeance ; que le Tasse imagine un perroquet chantant des chansons de sa propre composition : tous ces traits ne sont pas assez nobles pour l’épopée, ou forment du sublime extravagant. Mais que Mars blessé jette un cri pareil à celui d’une armée ; que Jupiter par le mouvement de ses sourcils ébranle l’Olympe ; que Neptune & les Tritons dégagent eux-mêmes les vaisseaux d’Enée ensablés dans les syrtes ; ce merveilleux paroît plus sage & transporte les lecteurs. De-là il s’ensuit que pour juger de la convenance du merveilleux, il faut se transporter en esprit dans les tems où les Poëtes ont écrit, épouser pour un moment les idées, les mœurs, les sentimens des peuples pour lesquels ils ont écrit. Le merveilleux d’Homere & de Virgile considéré de ce point de vue, sera toujours admirable : si l’on s’en écarte il devient faux & absurde ; ce sont des beautés que l’on peut nommer beautés locales. Il en est d’autres qui sont de tous les pays & de tous les tems. Ainsi dans la Lusiade, lorsque la flotte portugaise commandée par Vasco de Gama, est prête à doubler le cap de Bonne-Espérance, appellé alors le Promontoire des Tempêtes, on apperçoit tout à-coup un personnage formidable qui s’éleve du fond de la mer, sa tête touche aux nues ; les tempêtes, les vents, les tonnerres sont autour de lui ; ses bras s’étendent sur la surface des eaux. Ce monstre ou ce dieu est le gardien de cet océan, dont aucun vaisseau n’avoit encore fendu les flots. Il menace la flotte, il se plaint de l’audace des Portugais qui viennent lui disputer l’empire de ces mers ; il leur annonce toutes les calamités qu’ils doivent essuyer dans leur entreprise. Il étoit difficile d’en mieux allégorier la difficulté, & cela est grand en tout tems & en tout pays sans doute. M. de Voltaire, de qui nous empruntons cette remarque, nous fournira lui-même un exemple de ces fictions grandes & nobles qui doivent plaire à toutes les nations & dans tous les siecles. Dans le septieme chant de son poëme, saint Louis transporte Henri IV. en esprit au ciel & aux enfers ; enfin il l’introduit dans le palais des destins, & lui fait voir sa postérité & les grands hommes que la France doit produire. Il lui trace les caracteres de ces héros d’une maniere courte, vraie, & très-intéressante pour notre nation. Virgile avoit fait la même chose, & c’est ce qui prouve qu’il y a une sorte de merveilleux capable de faire par-tout & en tout tems les mêmes impressions. Or à cet égard il y a une sorte de goût universel, que le poëte doit connoître & consulter. Les fictions & les allégories, qui sont les parties du système merveilleux, ne sauroient plaire à des lecteurs éclairés, qu’autant qu’elles sont prises dans la nature, soutenues avec vraissemblance & justesse, enfin conformes aux idées reçues ; car si, selon M. Despréaux, il est des occasions où

Le vrai peut quelquefois n’être pas vraissemblable,


à combien plus forte raison, une fiction pourra-t-elle ne l’être pas, à moins qu’elle ne soit imaginée & conduite avec tant d’art, que le lecteur sans se défier de l’illusion qu’on lui fait, s’y livre au contraire avec plaisir & facilite l’impression qu’il en reçoit ? Quoique Milton soit tombé à cet égard dans des fautes grossieres & inexcusables, il finit néanmoins son poëme par une fiction admirable. L’ange qui vient par l’ordre de Dieu pour chasser Adam du Paradis terrestre, conduit cet infortuné sur une haute montagne : là l’avenir se peint aux yeux d’Adam ; le premier objet qui frappe sa vue, est un homme d’une douceur qui le touche, sur lequel fond un autre homme féroce qui le massacre. Adam comprend alors